Vladimir Poutine ne s’arrêtera pas en si destructeur chemin, ainsi qu’il en a donné le signal après la prise de la ville stratégique de Lyssytchansk, clé de voûte de son plan de conquête du Donbass. La région de Louhansk étant maintenant conquise, les forces russes se lancent, ce qui ne surprend personne, à l’assaut de la région limitrophe de Donetsk — tout en poursuivant la guerre dans le sud du pays pour le contrôle des ports de la mer Noire. Sauf à voir Kiev capituler, ce qui ne se dessine pas du tout pour l’heure, la guerre lancée il y a maintenant plus de quatre mois contre l’Ukraine s’enfonce un peu plus chaque jour dans l’impasse de la durée.
La guerre dans un pays, remarquait en début de conflit un journaliste du magazine Le Point, ce sont des noms de villes, et de lieux, « qu’on découvre ou qu’on réentend autrement, martelés sur les ondes, à la télé, associés désormais à des bombes, à la destruction, à la catastrophe. Souvenons-nous en Bosnie, en Syrie, en Irak… » La guerre, lugubre leçon de géographie.
Si bien qu’il y avait quelque chose d’étrangement prématuré, du moins théorique, à voir cette semaine une cinquantaine de représentants d’États et d’organisations internationales se réunir à Lugano, en Suisse, pour préparer l’après-guerre d’un conflit dont on ne voit pas le bout. Non pas qu’il n’y ait pas lieu de poser en amont les jalons d’une reconstruction de l’Ukraine qui demandera forcément des sommes colossales. Kiev estime qu’il faudra au moins 750 milliardsde dollars américains pour relever le pays des ruines. L’exercice n’en sonne pas moins vaguement creux au regard de la fuite en avant militaire des Russes — avec la Biélorussie qui s’implique de plus en plus à leurs côtés — et de l’impéritie de la diplomatie et des Nations unies à trouver une voie de négociation ; au regard par ailleurs d’une aide militaire occidentale qui, importante sans être suffisante pour renverser la vapeur, revient pour les civils à prolonger le supplice. De quelle Ukraine, donc, s’agira-t-il quand les armes se seront tues ? Quel pays, exactement, sera reconstruit ?
L’extraordinaire courage du peuple ukrainien ne fait pas oublier qu’il est devenu le point focal, pour ne pas dire le pion, de bouleversements et de durcissements géopolitiques qui le dépassent. Avec, d’un côté, une OTAN renforcée comme jamais, à laquelle vont nouvellement se joindre la Suède et la Finlande — non sans malheureuses compromissions, il faut bien le souligner, à l’égard du quasi-dictateur qu’est le président turc, Recep Tayyip Erdoğan.
Avec, de l’autre, la consolidation d’une relation sino-russe qui n’est certes pas sans ambiguïtés, mais qui, à la faveur du conflit ukrainien, se constitue de plus en plus en nouveau « bloc de l’Est », fort de l’appui — relatif — de ses trois partenaires des BRICS que sont le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud.
Aux uns comme aux autres, la mainmise sur la région de Louhansk est un tournant et présente un dilemme. Pour les Occidentaux, les Américains et les Européens au premier chef, freiner la progression russe impliquerait nécessairement qu’ils augmentent sensiblement leur aide militaire à Kiev. Le feront-ils ? Ou espèrent-ils que les sanctions contre la Russie portent leurs fruits et forcent Poutine, si cela est possible, à s’asseoir à la table des négociations ? Or, pour le moment, la Russie ne souffre pas encore vraiment de l’effet cumulatif de ces sanctions, compensant notamment ses pertes en augmentant ses livraisons de matières premières à la Chine et à l’Inde.
Selon un général australien interrogé par l’AFP, le dilemme de Moscou place le gouvernement devant la difficulté de poursuivre son offensive à l’est, dans le Donbass russophone, tout en protégeant la région portuaire du sud que l’armée ukrainienne tente de reprendre. Le fait est, souligne ce général, que les ports de la mer Noire sont d’une importance stratégique autrement plus grande que le Donbass.
Et d’une grande importance économique aussi pour l’Ukraine, exportatrice majeure de céréales, comme la Russie. Les agriculteurs ukrainiens récoltent le blé et le maïs en juillet et en août. D’autres débouchés sont possibles, mais le blocus russe des ports ukrainiens empêchera en grande partie leur exportation vers les marchés de l’Afrique, de l’Asie et du Moyen-Orient. Chantage alimentaire de tous les dangers de la part de Moscou, à la fois pour la planète et pour les Ukrainiens. L’Union européenne et le Canada, entre autres, ont bien débloqué des fonds pour faire face à l’insécurité alimentaire que cette guerre va creuser. Mais cela ne suffira pas, évidemment. À laisser le conflit s’étirer, on installe un autre problème dans la durée : la pauvreté de dizaines de millions de personnes.
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