Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, à Szekesfehervar, ce vendredi. (Marton Monus/REUTERS)
«Pourquoi voudriez-vous que je change de gouvernement ?» Visage serein barré d’une sage moustache blanche, Sandor Galik est un retraité heureux. Blouson et veste de jean impeccablement repassés, il a récemment fait deux heures de train pour entendre Viktor Orbán parler à Budapest. «J’ai touché un 13e mois de retraite et une prime d’environ 300 euros», explique cet ex-fonctionnaire de 68 ans qui vit à Csengod, ville de 2 000 habitants au centre de la Hongrie. «Le gouvernement a remboursé à mes deux fils une année d’impôt sur le revenu et ma fille ne paie plus d’impôts, comme tous les jeunes de moins de 25 ans. Et le gaz est moins cher qu’ailleurs en Europe… Je me devais de monter à Budapest, c’est une façon de dire merci au Premier ministre», sourit Sandor, drapeau vert, blanc et rouge à la main. Dimanche, il votera pour le Fidesz, le parti de Viktor Orbán.
En bon populiste, ce dernier a rempli le porte-monnaie de ses compatriotes avant les élections. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février a changé la donne. Viktor Orbán, qui était encore en visite au Kremlin le 1er février, est aujourd’hui critiqué pour sa proximité avec Poutine. Pourtant l’homme fort de Budapest n’a pas toujours été aussi russophile. En 1989, jeune leader d’un parti progressiste, Orbán lançait un tonitruant «Dehors les Russes !» devant une foule immense à Budapest.
Lorsque les socialistes hongrois reviennent au pouvoir, il les accuse de placer le pays «sous l’emprise des Russes». Quelques mois avant de gagner les élections en 2010, Orbán rencontre Poutine à Moscou. Rien n’a jamais filtré de cette rencontre, mais c’est de là que date le virage surprenant du politicien magyar qui s’attelle à verrouiller la démocratie sur le modèle russe. En 2014, alors que Poutine annexe la Crimée, Orbán réclame l’autonomie de la minorité magyare d’Ukraine, comme s’il soutenait un éventuel dépeçage de ce pays.
Aujourd’hui l’opposition le brandit comme un épouvantail. «Voter pour Orbán, c’est voter Poutine ; le choix est entre l’Est et l’Ouest, entre Poutine ou l’Europe !» lance Péter Marki-Zay, candidat au poste de Premier ministre, dans ses meetings de campagne. «La Hongrie devient une petite Russie», s’inquiète Andras B., un ingénieur de 34 ans, qui votera pour l’opposition.
Péter Marki-Zay, 49 ans, avait créé la surprise en 2018, en faisant tomber un bastion du Fidesz, la ville de Hodmezovasarhely, dont il est devenu maire. Aujourd’hui, cet ancien directeur de marketing au visage rond et candide a pour atouts son profil de père de famille chrétien et de conservateur modéré et intègre, mais son manque d’expérience le dessert. A la télévision, il a déclaré que, s’il était Premier ministre, «si l’Otan le demandait, nous enverrions des armes et des soldats en Ukraine». Déformant ses propos, l’empire médiatique du Fidesz répète aussitôt que la gauche veut envoyer des Hongrois au front, tandis que Viktor Orbán martèle : «Nous voulons la paix. Avec nous, la Hongrie restera en dehors du conflit.»
Le pays tout entier est placardé de photos du Premier ministre en blouson bleu marine, avec le slogan : «Préservons la paix et la sécurité de la Hongrie». «Entre le narratif de l’opposition – l’Est ou l’Ouest – et celui d’Orbán – la paix ou la guerre –, il est difficile de dire lequel va l’emporter, même si la plupart des enquêtes donnent le parti au pouvoir gagnant», observe Andras Biro-Nagy, directeur du think-tank Policy Solutions. Le dernier sondage (40% des suffrages pour le Fidesz contre 32% à l’opposition) a été réalisé avant l’explosion de deux scandales.
Le 29 mars, le média d’investigation Direkt36 relate, documents à l’appui, que non seulement les services secrets russes ont totalement infiltré le service informatique du ministère hongrois des Affaires étrangères, mais que le gouvernement était au courant depuis des mois et n’a rien fait. Et le 31 mars, la découverte, dans une décharge en Roumanie, de bulletins de vote en faveur de l’opposition, laisse supposer une fraude électorale de la part du Fidesz.
Quelque 600 000 électeurs se disent encore indécis. Tibor, jeune médecin qui souhaite rester anonyme, déteste le régime actuel, «autoritaire et corrompu». Mais il doute des capacités de l’opposition à gouverner. «Si Viktor Orbán perd, il refusera de reconnaître sa défaite, comme Trump, et sèmera le chaos», s’inquiète Tibor, qui préférerait voir l’opposition rester dans l’opposition, tout en augmentant son nombre de sièges «pour empêcher Orbán de gouverner tout seul et de faire n’importe quoi».
© Libé 2022
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