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La décapitation par Judith du général assyrien Holopherne a connu une fortune particulière chez Caravage et les peintres de la contre-réforme, comme métaphore du combat de l’Église contre le protestantisme.
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Décryptage : Judith et Holopherne, un symbole de la lutte contre l’hérésie
La peinture de Caravage Judith et Holoferne à l’occasion de l’exposition « Caravage et Bacon » au musée Borghese à Rome, en Septembre 2009.
Vincenzo Pinto/AFP
Rédigé autour du IIe siècle av. J.-C., le livre de Judith dans la Bible rapporte l’histoire d’une jeune veuve qui libéra sa ville de Béthulie en Israël, assiégée par les Assyriens, en séduisant puis décapitant leur général Holopherne, endormi ivre après un banquet. Ce texte a inspiré les artistes dès le Moyen Âge.
Judith symbolisait alors la fidélité, la chasteté et la continence triomphant de l’orgueil et de la luxure. Il a été réactivé à la Renaissance par Cranach et Giorgione, avec un écho particulier à Florence, où l’on y a vu une image de la victoire des républicains sur les ennemis du bien public. Mantegna, Botticelli, Donatello ou encore Giovanni della Robbia ont ainsi représenté des Judith…
Avec le Concile de Trente, l’Église catholique a redéfini les textes canoniques. Or à la différence des Protestants qui, suivant Luther, ne reconnaissent dans l’Ancien Testament que les livres écrits en hébreux, soit la Bible juive, le Concile y inclut des textes deutérocanoniques (issus d’un second canon), plus récents et rédigés en grec dont le livre de Judith. Cette différence va donner une aura nouvelle à ce récit.
« Judith est devenue le symbole de l’Église catholique romaine qui décapite l’hérésie luthérienne représentée par Holopherne », explique à La Croix, l’historienne de l’art Rossella Vodret, spécialiste de Caravage. D’où le succès de ce thème auprès des peintres de la contre-réforme comme Le Caravage, Artemisia Gentileschi ou Rubens.
Les deux premiers n’hésiteront pas à donner des représentations particulièrement violentes et crues de la décapitation d’Holopherne, dont le sang jaillit, afin d’impressionner le spectateur, là où les images anciennes privilégiaient plutôt le moment précédant ou suivant le meurtre.
Caravage, d’après les documents d’archives, aurait peint deux Judith et Holopherne. La première, aujourd’hui au Palais Barberini à Rome, a été réalisée pour l’un de ses grands commanditaires, le banquier d’origine génoise, Ottavio Costa. Judith y est richement vêtue, comme dans le texte biblique, « aussi belle que possible pour séduire tous les hommes » (Judith 10, 4).
Elle décapite Holopherne, avec le cimeterre de ce dernier, en le regardant d’un air douloureux, tandis que sa vieille servante tend avec un sac pour recueillir la tête. La deuxième peinture, mentionnée par une lettre de 1607 à Naples, n’était connue jusqu’ici que par une copie attribuée à Louis Finson détenue par la banque Intesa san Paolo.
La découverte récente d’une Judith et Holopherne à Toulouse, très proche mais d’exécution plusenlevée, est considérée par certains experts comme l’original de Caravage, par d’autres comme une nouvelle copie.
Quoi qu’il en soit, des différences avec la première version peinte à Rome intriguent : Judith, qui était veuve, y porte son vêtement noir de deuil, elle tient une épée et non plus le cimeterre mentionné dans la Bible, elle attrape la chevelure d’Holopherne d’une main un peu précieuse, le petit doigt en l’air alors que sa poigne était ferme dans le tableau romain et elle détourne le regard pour prendre le spectateur à témoin.
Faut-il y voir la main d’un autre peintre ? Ou le changement d’humeur d’un Caravage, qui avait fui à Naples après avoir été condamné à Rome pour avoir tué un homme lors d’une rixe ?
Le motif de la tête coupée revient en tout cas dans son œuvre comme un leitmotiv. Dès 1597-98, il peint deux têtes de Méduse décapitée (par Persée). Puis, on l’a vu, deux Judith décapitant Holopherne. On lui connaît aussi deux versions de David tenant la tête (coupée) de Goliath, l’une de 1601, l’autre plus tardive peinte autour de 1606-1607, dans laquelle il donne au géant ses propres traits balafrés lors d’une bagarre à Naples.
Enfin, il a représenté Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (autour de 1606) et une Décollation de saint Jean-Baptiste en 1608 dans la cathédrale Saint-Jean de La Valette à Malte. Selon une lecture psychanalytique, cette obsession pourrait traduire une peur de la castration, ou plus simplement la hantise de la mort chez cet artiste à la vie tumultueuse, décédé en 1610 à l’âge de 38 ans.
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