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ReportageLe petit Etat d’Afrique de l’Ouest voit revenir des ressortissants partis vivre et se former à l’étranger. Les autorités ont baptisé 2019 « l’année du retour » et voudraient que le phénomène s’amplifie.
Il assume la comparaison sans ciller : « Mon modèle, c’est Miami. » Sur un écran d’ordinateur, l’architecte et designer Michael Adumua fait défiler les plans de son projet-phare : un restaurant-boîte de nuit en bord de mer, comme on peut en trouver à foison dans la cité de Floride. Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique, sur une plage d’Accra, au Ghana, qu’il fait construire ce beach club branché. Un complexe détonnant sur un littoral peu exploité, où les baigneurs sont infiniment moins nombreux que les détritus.
Formé à Washington, à la prestigieuse université Howard, le quadragénaire croit pourtant dur comme fer au potentiel de son « bébé ». « Ici, en matière d’hôtellerie et de restauration, c’est encore le néant, lâche-t-il. Avec une classe moyenne qui commence à émerger, il y a tout à inventer pour satisfaire les nouvelles envies de consommation. » Resté plus d’une décennie aux Etats-Unis, Michael Adumua a fait ses classes à Las Vegas, travaillant pour diverses compagnies dans la conception d’hôtels ou de casinos.
La violence de la crise financière, il y a dix ans, l’a poussé à revenir dans son pays natal, alors en pleine croissance. Un choix qu’il ne regrette pas. « A Accra, je peux être mon propre patron et mon nom est une marque reconnue », se réjouit-il. Les commandes affluent. Dans son cabinet d’Osu, un quartier bourdonnant de la capitale ghanéenne, une dizaine de jeunes gens affairés étudient les maquettes en trois dimensions de futurs bureaux et appartements.
Avide de développement, le Ghana se réjouit du retour des « repats » qui, comme Michael, décident de renouer avec la terre de leurs origines pour fonder une entreprise ou relancer leur carrière. Nana Akufo-Addo, le président de ce petit Etat anglophone niché en pleine Afrique de l’Ouest francophone, a baptisé 2019 « l’année du retour ». Mois après mois, divers événements et festivals commémorent l’histoire de la traite négrière dont le Ghana fut l’un des principaux pays de départ.
Le président veut « convaincre la jeunesse que les opportunités sont ici, chez nous »
La campagne s’adresse à tous les Africains de la diaspora, invités à se souvenir de leurs racines, quatre siècles après la déportation de leurs ancêtres. Elle vise aussi plus spécifiquement les ressortissants nationaux partis vivre à l’étranger. Soucieux d’émanciper son pays de l’aide internationale afin qu’il « prenne son destin en main », Nana Akufo-Addo, élu en 2016, répète vouloir « convaincre la jeunesse que les opportunités sont ici, chez nous ».
Nicole Amarteifio ne dirait pas autre chose. Sourire vermillon et cheveux fous, elle est la productrice et réalisatrice de la websérie à succès An African City, tournée à Accra et inspirée de la sitcom américaine Sex and the City. Née au Ghana, la jeune femme a grandi à Londres puis aux Etats-Unis où elle a fait ses études dans le Massachusetts et à Washington DC. Employée par la Banque mondiale, elle revient au pays en 2012. Très vite, elle quitte le monde du développement pour la fiction télévisée. Un vieux rêve qui, aussitôt concrétisé, fait un tabac sur Internet.
« Pourtant, avant cela, je ne connaissais rien au milieu du film, s’amuse-t-elle. Cela dit quelque chose sur ce que l’on peut réussir. Aux Etats-Unis, je ne m’y serais pas risquée, la compétition est déjà trop étoffée. »
Combien sont-ils à avoir quitté leur vie à New York, la City ou Berlin pour tenter l’expérience du retour ? Aucun registre officiel n’établit de statistiques. Mais certains indices esquissent une tendance. Christabel Dadzie, fondatrice de l’association Ahaspora Young Professionals, réseau d’entraide pour ces returnees, comme on les nomme ici, note par exemple que sa base d’adhérents est passée de zéro à 2 000 membres en sept ans. L’attrait du pays d’origine lui semble évident. Y compris pour des profils chevronnés comme le sien. « Quand on dit que l’Afrique est la “nouvelle frontière” des affaires, c’est très juste, estime cette diplômée de l’université de Columbia (New York) revenue en 2010. Il y a d’énormes possibilités de développement dans des secteurs tels que l’agrobusiness, la technologie ou les infrastructures. »
Le Ghana a encore d’autres atouts à faire valoir. Modèle démocratique depuis les années 1990, ce pays de 29 millions d’habitants est réputé pour sa stabilité politique. Il est aussi un champion de la croissance : tirée par l’exploitation des gisements de pétrole, celle-ci devrait s’établir à plus de 8 % cette année. Malgré ce boom économique, les conditions de vie demeurent difficiles pour une large part de la population et les emplois qualifiés manquent cruellement. Selon les statistiques les plus récentes de la Banque mondiale, un Ghanéen sur sept vit toujours dans l’extrême pauvreté, soit avec moins de 1,90 dollar par jour (1,70 euro).
D’ailleurs, tout n’est pas rose, loin de là, insistent les « revenants ». Quand les uns déplorent une absence de procédures standardisées, voire un manque criant de transparence, les autres s’agacent d’une notion très « fluide » du temps. Certains s’inquiètent de la volatilité de la monnaie, au point de convertir chaque mois leurs cédis en dollars (1 cedi est égal à 0,17 euro), et beaucoup souffrent des coupures permanentes d’électricité…
Survoltée, Ruth Amoah reçoit dans son atelier de fabrication de chocolat où le courant, ce jour-là, a tout bonnement cessé de fonctionner. Le générateur est insuffisant pour faire tourner les machines, et la dizaine d’employés a été renvoyée à la maison. « Quand j’étais à Londres, mes amis ghanéens me disaient : “Tu ne tiendras pas une semaine”, s’esclaffe cette trentenaire dotée, elle, d’une énergie à revendre. C’est vrai que c’est dur, mais je suis là depuis plus de quatre ans et fière de leur donner tort. » Native du Royaume-Uni, cette diplômée en ressources humaines de l’université de Plymouth a travaillé dans des programmes d’accompagnement de jeunes pousses, à Londres puis à Accra. Jusqu’à lancer, en 2015, son propre projet entrepreneurial.
« On ne doit pas mentir quand on en appelle à la diaspora : ici, il faut avoir le cuir solide pour mener son affaire »
– Ruth Amoah, entrepreneuse
Sa société, The Sweet Art Company, confectionne des tablettes haut de gamme aux emballages très soignés. Un pari audacieux dans un Ghana qui est le deuxième producteur mondial de cacao, derrière la Côte d’Ivoire, mais exporte presque intégralement sa matière première sans l’avoir transformée. La filière est inexistante et Ruth espère contribuer à la structurer. Quitte à surmonter les mille et un obstacles se dressant sur sa route, de l’impossibilité de contracter un prêt à la difficulté de se procurer certains ingrédients nécessaires à la fabrication du chocolat. « Le pays est en transformation et plein de promesses, résume-t-elle dans une douce odeur de fèves torréfiées. Mais on ne doit pas mentir quand on en appelle à la diaspora : ici, il faut avoir le cuir solide pour mener son affaire. »
Certains « repats » ne peuvent d’ailleurs s’empêcher de sourire de ce nouveau battage médiatique autour du « retour ». « Quand je suis arrivé il y a six ans, l’atmosphère était tout autre, raconte Kwami Williams, un entrepreneur de 28 ans spécialisé dans l’exploitation et la transformation du moringa, un arbre aux nombreuses vertus thérapeutiques. On me disait : “Pourquoi donc quittes-tu les Etats-Unis et tes rêves de NASA pour te lancer dans l’agriculture au Ghana ? Reviens plutôt quand tu seras plus vieux et que tu auras déjà gagné de l’argent.” »
Brillant étudiant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Kwami semblait promis à une belle carrière dans l’aérospatiale. L’accomplissement d’un rêve d’enfant et une fierté pour ses parents, partis en 2000 aux Etats-Unis afin de lui offrir de meilleures perspectives professionnelles. Mais l’envie d’un projet plus social et le goût de changer les choses ont brusquement modifié sa trajectoire. Lui qui s’imaginait passer le reste de son existence en Amérique a refait, treize ans plus tard et un nouveau diplôme de développement en poche, le chemin en sens inverse.
Le jeune homme et son associée américaine Emily Cunningham ont planté 2 millions de moringas à travers le pays. En collaboration avec 5 000 agriculteurs, ils transforment les feuilles de l’arbre en aliments, vendus sur place, et ses graines en produits de beauté sous la marque True Moringa, essentiellement destinés aux Etats-Unis. Le Ghanéen continue d’ailleurs d’enjamber les deux cultures. Un avantage, confesse-t-il. Grâce à ses connexions, la quasi-totalité de son capital lui provient d’investisseurs occidentaux et ses clients sont majoritairement américains et européens. De quoi se mettre un peu à l’abri des vicissitudes locales.
Pour autant, plaident certains, rien ne remplace l’acculturation avec le pays d’origine. « On peut être très intelligent, très doué dans les technologies, ce sera toujours insuffisant si l’on manque d’un réseau sur place et que l’on ne comprend pas les nuances du pays », insiste Lucy Quist, ancienne patronne du groupe de télécoms Airtel Ghana. Pour cette femme d’affaires née à Londres et possédant la double citoyenneté, la prospérité de l’Afrique ne viendra pas du retour de jeunes gens hautement qualifiés mais bien davantage d’un changement général de mentalités.
« Beaucoup, ici, se plaignent que rien ne va, et les returnees encore plus souvent que les autres, regrette-t-elle. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une vision claire de ce que nous voulons. » Un message qu’elle vient de coucher dans un livre (The Bold New Normal, non traduit). Sa publication coïncide avec « l’année du retour » et c’est tant mieux, souligne-t-elle : « C’est le bon moment pour avoir cette discussion. »
Marie de Vergès Accra, envoyée spéciale
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