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Titré « Les manipulations graphiques de Marine Le Pen sur l’euro », l’article des Décodeurs promettait d’envoyer du lourd. Il s’agissait de montrer que le graphique brandi par Marine Le Pen lors du débat des 5 « gros » candidats sur TF1 le 20 mars, était trompeur. Celui-ci visait à montrer un lien de causalité entre, d’une part, l’introduction de l’euro et, d’autre part, la désindustrialisation de la France, notamment, et, inversement, la bonne tenue de l’industrie allemande, processus décrit par les statistiques de la production industrielle. L’euro responsable de la débâcle industrielle du pays, ce thème est un des principaux axes du Front national, qui propose la sortie de la monnaie unique, tandis que Jean-Luc Melenchon, lui aussi critique vis-à-vis de l’euro, évoque le retour à une monnaie commune.
Pour étayer son propos, la candidate du FN exhibe donc un graphique tiré de séries qui semblent être sourcées OCDE. Ce n’est pas ce point que contestent les Décodeurs, mais le fait d’avoir utiliser une base 100 en 2001.
Cette opération mathématique (on applique à chacune des courbes deux opérations, une division par la valeur qui est la leur au point de référence, puis une multiplication par cent) est une technique courante en économie pour apprécier et comparer des phénomènes. En math, cela s’appelle une homothétie, et cette opération (la multiplication par un scalaire positif) conserve les principales propriétés de la courbe, son sens, sa vitesse notamment. On peut même parfois voir des graphiques appliquant une autre transformation, le logarithme, mais qu’importe… La base 100, c’est standard.
Au passage, dire que l’utilisation de la base 100 « fait naturellement croiser les courbes », est mathématiquement faux, elle peuvent tangenter, à l’instar des trajectoires de deux boules de billard qui se cognent.
Une autre critique des Décodeurs est l’absence d’un référentiel extérieur à l’euro. En effet, si l’on veut tester l’hypothèse selon laquelle c’est le facteur euro qui explique la désindustrialisation de la France, il est nécessaire d’observer un autre pays qui ne dispose pas de la monnaie unique sur la même période. Ce qu’en effet Marine Le Pen ne fait pas. Comme les Décodeurs, Marianne a ajouté la courbe retraçant l’évolution de la production industrielle de la Grande-Bretagne, en corrigeant la petite erreur de nos confrères qui on mal calibré leur base 100 pour l’Allemagne…
Si Marine Le Pen affecte toute la responsabilité du déséquilibre entre la situation de l’Allemagne d’un coté et celles des autres pays de la zone euro de l’autre, les Décodeurs, eux, disculpent entièrement la monnaie unique, et chargent « la crise financière partie des Etats-Unis, en 2008, qui a largement fait chuter la production des secteurs industriels.»
[IMAGES-INLINE-1813007f86]Ce tableau 1 qui reprend celui de Marine Le Pen, avec la courbe britannique, montre bien que le facteur euro est un bon candidat pour expliquer une part non négligeable de la perte de compétitivité des pays du Sud, dont la France. Pas tout certes, mais les destins de la France et de la Grande Bretagne sont parallèles, et l’on voit bien que notre voisin d’outre-Manche, qui a la main sur sa monnaie, s’en tire mieux.
[IMAGES-INLINE-45fe33b3a7]Ce tableau 2, qui reprend les même données mais place la base 100 en 2007, permet, lui, d’appréhender le facteur « crise financière » sur l’évolution des productions industrielles. Si les 5 pays doivent faire face à une chute massive, l’Allemagne retrouve dès 2011 son niveau d’avant la crise, elle semble même retrouver sa croissance tendancielle pour finir à 103 en 2016. Ce n’est le cas d’aucune autre nation. En 2016, la production industrielle de l’Espagne, la plus amochée, demeurent 25% inférieure à son niveau de 2007, la France en perd 13% et la Grande-Bretagne 5%.
L’Allemagne a fait d’importants choix de société et d’organisation de son système de production à la suite, et même un peu avant, l’introduction de la monnaie unique. On peut ainsi citer : la modération salariale décidée sous Schroeder ; l’intensification de sa spécialisation dans des secteurs, comme les machines outils, portés par la croissance mondiale du commerce ; mais aussi l’approfondissement de la sous-traitance avec ses voisins de la mittle europa, Pologne et République tchèque en tête, qui ont eu la bonne idée de rester en dehors de l’euro, ce qui leur permet d’ajuster leur compétitivité coût aux besoins de leur grand voisin donneur d’ordres. Cette intensification des avantages compétitifs vis-à-vis de ses concurrents français, mais aussi britanniques et Américains, a permis à l’Allemagne de profiter pleinement des effets de la monnaie unique. Et notamment du taux de change.
Comme le taux de change de l’euro résultant de façon implicite comme la moyenne de ceux qui auraient dû s’appliquer pour chaque pays, l’Allemagne a pu profiter d’une monnaie plus faible que ses excédents commerciaux le laissait présager. Durant les années d’après guerre, le mark se renchérissait, les salaires allemands augmentaient au même rythme que la productivité et sa traduction, les excédents commerciaux. Ce n’est plus le cas après 2002, des montagnes de cash se sont accumulées outre-Rhin. Du cash qui a trouvé tout naturel de financer la bulle immobilière espagnole, comme le déficit grec. Ce déséquilibre inhérent à l’euro – ce que les économistes anticipaient parfaitement sachant que notre zone monétaire n’est pas optimale – a explosé avec la crise des subprimes venue d’Amérique.
Conclusion : aux effets de premier tour, l’euro a bien favorisé le pays disposant des meilleurs atouts, d’autant qu’il a tout fait pour les renforcer, s’ajoutent les effets de second tour, du fait des déséquilibres inhérents.
Mettre tout sur le dos de l’euro comme le fait Marine Le Pen n’a cependant pas plus de sens. La financiarisation des économies, la montée en puissance industrielle de la Chine, comme les déséquilibres mondiaux, sans compter, pour la France, les mauvais choix industriels de nos gouvernements successifs et des dirigeants (Areva, Alstom, Alcatel pour ne citer que ces trois catastrophes industrielles), ont une part notable dans le processus de perte de substance industrielle de l’hexagone. Mais l’euro est un facteur loin, très loin d’être marginal.
Réfléchir à l’avenir de notre monnaie, comme le font des économistes tel Thomas Piketty (lui souhaite un parlement de l’euro) loin d’être proche de la candidate frontriste n’a rien d’incroyable. Le débat est loin d’être éteint. Dans La Fin de l’Union européenne (*), Coralie Delaume et David Cayla évoquent une sortie, quand le prix Nobel Joseph Stiglitz l’appelle explicitement de ses voeux : l’Union européenne et la zone euro en particulier sont des échecs économiques. D’autres estiment que les coûts sont infiniment supérieurs aux bénéfices qu’une telle sortie entraînerait. C’est un débat, arguments contre arguments, qui ne peut être escamoté.
(*) La Fin de l’Union européenne, Edition Michalon, 255p., 19€
Le
Suite à la publication de notre article, Le Monde a publié une nouvelle version de son papier, reconnaissant que la version originale avait pu “susciter des malentendus”.
Par Emmanuel Lévy
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