Par Romaric Godin
Le vice-président de la BCE a reconnu que la menace de Grexit n’avait «jamais été lancée pour de vrai». Un aveu étonnant qui jette une nouvelle lumière sur les événements de l’été dernier.
C’est un aveu qui passera sans doute inaperçu, mais qui lève un voile sur la réalité brute de la stratégie des créanciers de la Grèce en juillet dernier. Dans un entretien accordé à Reuters [1] ce 16 septembre, le vice-président de la BCE, Vitor Constâncio, affirme, sans sourciller, que la menace d’expulsion de la Grèce de la zone euro, le fameux «Grexit», «n’a jamais été lancée pour de vrai parce que ce ne serait pas légal». Et le Portugais de regretter que, du coup, il est désormais nécessaire de «supprimer les doutes qui demeurent sur la viabilité du bloc monétaire».
La menace de Benoît Cœuré
Tout ceci n’était donc qu’une farce? Rien de vrai? Pourtant, la menace de Grexit a bel et bien été agitée, non seulement par Wolfgang Schäuble, mais aussi par la BCE. Mardi 30 juin, par exemple, trois jours après l’annonce par Alexis Tsipras de l’organisation d’un référendum [le 5 juillet] sur les propositions des créanciers, Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, affirmait dans un entretien accordé au quotidien Les Echos que «la sortie de la Grèce de la zone euro, qui était un objet théorique, ne peut malheureusement plus être exclue». Et il allait encore plus loin, en se projetant dans l’hypothèse d’un Grexit: «Ce serait un défi pour l’Europe qu’elle devrait relever au plus vite, en renforçant sérieusement son cadre institutionnel.» Avec ces mots très forts, le Français laissait entendre que la BCE était préparée à faire face à cette option. Ces déclarations étaient lourdes de conséquences, car seule la BCE pouvait, en privant la Grèce de liquidités, contraindre Athènes à sortir de l’Union monétaire.
Les déclarations du 3 juillet de Vitor Constâncio
Cet entretien était donc une véritable menace sur le gouvernement, mais aussi sur le peuple grec qui s’apprêtait à se prononcer dans le référendum. Mais Vitor Constâncio affirme aujourd’hui que ce n’était pas «pour de vrai». Pourtant, lui-même, quatre jours plus tard, le 3 juillet, déclarait que la BCE ne couperait pas le robinet de l’ELA (prêts d’urgence), sauf s’il avait le soutien des dirigeants de la zone euro. Autrement dit, il mettait en place un processus d’exclusion de la zone euro: l’Eurogroupe (instance «informelle» des ministres des Finances) estime qu’un pays n’est plus digne d’être membre de la zone euro et la BCE met la menace à exécution. Ceci n’était pas une parole en l’air. Dans la semaine qui a suivi le référendum, c’est ce qui a fait basculer le gouvernement grec.
Menaces supplétives de la stratégie de Wolfgang Schäuble
En effet, le 11 juillet, lorsque Wolfgang Schäuble a présenté son plan d’exclusion «temporaire» de 5 ans de la Grèce, Alexis Tsipras a pu croire que c’était «pour de vrai», puisque Vitor Constâncio avait indiqué qu’un feu vert pour le Grexit de l’Eurogroupe entraînerait la BCE à réaliser ce Grexit. Il a donc pris peur et cru qu’en effet, la Grèce était au bord de l’exclusion.
Il a alors accepté le 13 juillet le principe d’un troisième mémorandum qu’il a signé le 19 août. C’est dire si la BCE a parfaitement servi la stratégie de Wolfgang Schäuble qui, in fine, a permis le triomphe d’Angela Merkel. La chancelière a pu ainsi, comme son alliée François Hollande, se présenter comme «sauveur de l’euro».
La BCE avait un objectif politique
Ces déclarations de Vitor Constâncio mettent donc au jour le plan des créanciers: menacer de Grexit un gouvernement grec qui, il est vrai, était prompt à bien vouloir l’être, afin de remporter la victoire politique que les créanciers cherchaient depuis les élections du 25 janvier. Ces créanciers n’avaient, en réalité, aucunement l’intention de procéder à un Grexit qui les aurait tout autant fragilisés que la Grèce. Ils ont utilisé toute la force des institutions pour obtenir une victoire complète contre un gouvernement qui ne leur convenait pas afin de détruire la base politique de ce gouvernement.
Une pierre dans le jardin d’Alexis Tsipras
Cette déclaration de Vitor Constâncio induit trois conséquences. La première concerne Alexis Tsipras. L’aveu du Portugais détruit le storytelling de l’ancien premier ministre grec selon lequel il «n’avait pas le choix» et que, s’il refusait de signer l’accord du 13 juillet, la Grèce serait exclue de la zone euro. En réalité, on peut désormais affirmer que si Alexis Tsipras n’avait pas cédé, que s’il avait introduit un projet de monnaie parallèle, la balance des peurs aurait changé de camp. Si les créanciers craignaient réellement le Grexit, il aurait alors pu espérer obtenir un compromis plus favorable, sur la base de ses propositions du 22 juin. Alexis Tsipras s’est donc bien trop empressé de croire un Wolfgang Schäuble qui n’avait pas les moyens de ses menaces. C’est une mauvaise nouvelle pour le leader de Syriza à quatre jours de l’élection de dimanche.
La crédibilité de la BCE en question
Deuxième conséquence: la crédibilité de la BCE devrait être fortement atteinte par cet aveu. Voilà une banque centrale, une des trois ou quatre plus puissantes du monde, qui s’amuse à lancer des menaces sur l’avenir et la structure de sa propre monnaie «pour de faux»! Son vice-président peut, sans rire, affirmer tranquillement qu’il a menti en pleine crise. Il y a là de quoi s’interroger sur la gestion de l’euro et sur l’indépendance de la BCE. L’institution de Francfort (BCE) a donc bel et bien joué les supplétifs de la stratégie de Wolfgang Schäuble et de l’objectif politique des créanciers. Vitor Constâncio confirme que la BCE n’est pas une puissance indépendante dans la zone euro. Ceci permet sans doute de mieux d’apprécier ses prises de décision. Si la menace du Grexit n’était pas pour de vrai, alors le mythe selon lequel les décisions de la BCE sur la liquidité d’urgence ou sur l’acceptation des bons grecs à son guichet [prise en pension par la BCE des bons du Trésor émis par l’Etat grec] était également une farce.
L’irresponsabilité des dirigeants de la BCE
Troisième conséquence: une fois encore, donc, la BCE a pratiqué une forme de «chantage» sur un pouvoir démocratiquement élu d’un pays membre. Ce chantage devient presque un mode de gestion de l’euro. Il a déjà été pratiqué sur l’Irlande en 2010 et sur Chypre en 2013. Mais, ce qui est frappant, c’est qu’à chaque fois les dirigeants de la BCE ne sont aucunement rendus responsables de ces actes. Aucune poursuite, aucune enquête sur ces méthodes n’est possible. On a même vu dans le cas irlandais avec Jean-Claude Trichet [patron français de la BCE avant Draghi] que, une fois le mandat des dirigeants achevé, ils n’ont pas davantage de comptes à rendre [2].
L’indépendance de la BCE est à géométrie variable: elle est utile pour protéger les banquiers centraux, mais négligeable pour mettre au pas des gouvernements indisciplinés. Cette irresponsabilité est une faille démocratique désormais béante dans la construction de la zone euro, mais on voit bien que, dans les projets de réforme de la zone euro, il n’est pas question de revenir sur ce fonctionnement. Tant qu’il en sera ainsi, le désaveu populaire vis-à-vis de l’euro ne pourra que croître. (Publié sur le site du quotidien La Tribune en date du 16 septembre 2015)
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[1] Voir : http://www.ecb.europa.eu/press/inter/date/2015/html/sp150916.en.html
[2] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-bce-a-t-elle-menace-l-irlande-d-une-bombe-en-2011-504577.html
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