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« Les taux d’intérêt négatifs appartiennent au passé », assurait le mois dernier Joachim Nagel, le patron de la Bundesbank. Le temps lui a donné raison. Jeudi, le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a acté la fin d’une époque qui dure depuis dix ans en annonçant son « intention de relever les taux directeurs de 25 points de base lors de la réunion en juillet ». Un nouveau relèvement interviendra ensuite en septembre, « dont le calibrage dépendra des perspectives actualisées d’inflation à moyen terme ». Si elles « se maintiennent ou se détériorent, une hausse plus importante sera appropriée lors de la réunion de septembre », ont-ils prévu.
Rien de surprenant au vu de l’inflation galopante qui sévit en Europe, comme partout dans le monde. Selon les nouvelles prévisions de la BCE publiées à l’issue de la réunion jeudi, elle devrait atteindre 6,8% en 2022 dans la zone euro, soit bien au-dessus de son objectif de 2%. Après avoir soutenu pendant des mois, avant le déclenchement du conflit en Ukraine, que la hausse des prix était « transitoire » et refusé d’envisager un resserrement de sa politique monétaire, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a finalement changé de cap fin mai. En quoi consiste ce resserrement monétaire ? Quelles en sont les conséquences ? Aura-t-il vraiment un impact sur l’inflation ? La Tribune fait le point sur la décision prise par les gouverneurs de la BCE.
Jusqu’alors, en maintenant ses taux directeurs au plus bas, l’institution monétaire encourageait la consommation dans un contexte d’inflation maîtrisée. Mais après plusieurs arrêts de l’économie, la reprise extrêmement rapide de l’activité mondiale a massivement désorganisé les outils de production, incapables de suivre la demande, entraînant, de facto, une augmentation des prix. Après avoir tergiversé, la BCE s’est donc résolue à remonter ses taux pour freiner la consommation, et donc, tenter de faire baisser les prix.
Concrètement, la BCE dispose de trois taux directeurs qu’elle augmente ou diminue en fonction de sa politique : le taux de dépôt, qui correspond au taux d’intérêt appliqué aux banques commerciales lorsqu’elles placent de l’argent en réserve auprès de la banque centrale européenne. Le taux de refinancement qui concerne les prêts que les banques commerciales souscrivent auprès de la BCE pour avoir des liquidités. Il s’agit de prêts hebdomadaires qu’elles doivent rembourser chaque semaine pour pouvoir emprunter de nouveau. Et le taux de prêt marginal : il s’agit des mêmes prêts que ceux de refinancement, mais ils se font quotidiennement et doivent donc être remboursés le jour suivant. Ce sont donc ces trois taux qui seront soumis à une hausse de 0,25 point avec pour effet de freiner la demande et la consommation. En effet, plus les taux d’intérêts que la BCE accorde aux banques commerciales sont hauts, plus ceux des prêts accordés par les banques commerciales le sont aussi.
Avec le relèvement des taux, la banque centrale européenne dispose d’un autre levier pour tenter d’influer sur la hausse des prix : son programme d’achats d’actifs classiques (APP). L’institution monétaire achète en effet des obligations d’État, des titres émis par des institutions supranationales européennes ou encore des obligations d’entreprise afin de faire baisser les coûts de financement et donc de stimuler l’économie. Au total, quelque 5.000 milliards d’euros d’obligations ont été rachetées par la BCE depuis 2015. Mais cet outil n’a plus de sens dans le contexte inflationniste actuel. C’est la raison pour laquelle le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé ce jeudi y mettre fin « le 1er juillet », un préalable au relèvement de ses taux.
Ce resserrement monétaire arrive-t-il trop tard ?
L’annonce du Conseil des gouverneurs de la BCE ce jeudi intervient après plusieurs mois de tergiversation en Europe sur la pertinence d’une hausse des taux face à l’inflation que l’institution pensait « temporaire » avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Bien d’autres banques centrales ont opéré un resserrement monétaire en particulier les Etats-Unis. Dès le début du mois de mai, la Fed a engagé un relèvement des taux qui se trouvent désormais dans une fourchette de 0,75 à 1,00% et a signalé que d’autres hausses « seraient justifiées » à l’avenir.
Mais le contexte n’est pas le même en Europe qu’outre-Atlantique. Les salaires y sont en forte hausse faisant planer le risque d’une spirale inflationniste : l’inflation conduit à une hausse de la rémunération qui entraîne une baisse des marges des entreprises. Ces dernières sont donc contraintes d’augmenter leurs prix ce qui alimente l’inflation et ainsi de suite.
Si « la BCE veut à tout prix éviter ce type de situation », elle ne veut pas pour autant « créer un choc trop important », analyse Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management. « Elle ne veut pas dire qu’elle agit dans la précipitation et de ce fait, elle préfère opérer deux baisses de 0,25 point qu’une seule de 0,50 », explique-t-il. D’autant que « si elle augmentait de 0,50 point en juillet et que l’inflation ne baissait pas, elle serait à nouveau obligée d’augmenter du même pourcentage et prendrait le risque d’inquiéter les investisseurs », ajoute-t-il.
Une chose en entraînant une autre, les ménages européens et notamment français ressentiront eux aussi les conséquences du resserrement opéré par la BCE. D’une part pour leurs achats immobiliers : les taux d’intérêt de la banque centrale étant hauts, il en vaudra de même pour ceux des crédits immobiliers pratiqués par les banques commerciales. Selon la BCE, cela pourrait également avoir une incidence sur les prix : elle prévoit d’ailleurs qu’ils pourraient baisser de 0,83 à 1,17% à chaque relèvement de dix points de base des taux de crédit immobilier, après prise en compte de l’inflation.
Les autres types de taux comme ceux des prêts à la consommation devraient eux aussi augmenter mécaniquement. Rien de moins logique, la volonté de la BCE étant de freiner la consommation pour endiguer l’inflation.
L’impact risque de se faire d’autant plus ressentir du côté des entreprises, alerte Philippe Waechter. « Les entreprises s’endettent sans cesse. Or certaines pouvaient jusqu’alors se financer à coût très bas alors même qu’elles n’auraient pas eu la capacité de le faire si les taux d’intérêt n’étaient pas si bas », explique-t-il.
Si une hausse des taux de la BCE permet de lutter contre l’inflation, le resserrement de la politique monétaire européenne influe également sur la santé économique des Etats de la zone euro, en particulier sur leur niveau de dette publique. C’est ce sur quoi alertait début mai le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. Il existe en effet un lien entre le niveau de la dette publique des Etats et les taux d’intérêts des banques centrales. Si les taux de la BCE sont bas, cela allège la charge d’endettement des Etats. En remontant ses taux, la BCE alourdit donc la dette publique.
Or en France, celle-ci s’est déjà considérablement creusée à cause de la crise sanitaire et des plans successifs mis en place par le gouvernement pour soutenir l’économie. Elle est ainsi passée d’un peu moins de 100% du produit intérieur brut (PIB) en 2019 à près de 113% fin 2021. D’autant que ces chiffres ne prennent pas en compte les effets de la guerre en Ukraine et des nouvelles dépenses annoncées pour contrer l’inflation. Selon la Banque de France, chaque hausse de 1% des taux d’intérêt représente au bout de dix ans un coût supplémentaire de près de 40 milliards d’euros par an, soit quasiment le budget actuel de la Défense. François Villeroy de Galhau a donc alerté sur la nécessité pour « les autorités budgétaires d’assurer la soutenabilité de la dette en contexte de hausse de taux ».
Une inquiétude que nuance toutefois Philippe Waechter pour qui la hausse des taux qui interviendra à partir de juillet reste assez mesurée pour ne pas peser trop lourdement sur la dette publique. « La dette actuelle est fixée selon les taux d’intérêts en vigueur en ce moment qui sont très bas. Ce sont donc les nouvelles émissions qui seront concernées par le resserrement de la BCE. Or, même deux hausses successives de 0,25 point, ce n’est pas pénalisant », estime-t-il. Le taux de dépôt de la BCE est pour l’instant fixé à -0,5% et Christine Lagarde a déclaré récemment qu’il pourrait être ramené à zéro ou légèrement au-dessus d’ici la fin du troisième trimestre. Mais du côté des marchés, on s’attend à une remontée plus rapide avec un relèvement de taux de 135 points de base d’ici la fin de l’année, soit une hausse lors de chaque réunion à partir de juillet, dont certaines de plus de 25 points.
 L’inflation actuelle est due à plusieurs facteurs. Elle était d’ailleurs déjà élevée avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier. La forte reprise de l’activité après les périodes de mise à l’arrêt de l’économie mondiale a, en effet, entraîné une hausse des prix. Un même phénomène avait pu être observé aux Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. L’inflation s’était brutalement accélérée avec la reprise de la consommation avant de retomber tout aussi vite. Mais dans le contexte actuel, un autre facteur imprévu est venu s’additionner. Depuis le début de la guerre à l’est de l’Europe, les prix de l’énergie (gaz, pétrole…) mais aussi des matières premières (blé, maïs…) ne cessent de grimper, renforcés d’autant plus par les sanctions économiques prises par l’Union européenne qui vient de s’accorder sur un embargo sur le pétrole russe.
Or, si la BCE peut freiner la consommation pour ralentir l’inflation, sa politique de hausse des taux aura un impact plus mesuré sur les facteurs extérieurs, comme le soulignait l’un des membres du directoire de la BCE, Fabio Panetta en avril dernier. Dans un discours prononcé en Italie, il avait fait valoir que la flambée des prix, due en grande partie aux coûts élevés de l’énergie, échappait largement au contrôle de la BCE et qu’une intervention trop rapide de l’institution serait risquée. « Un resserrement de la politique monétaire n’affecterait pas directement les prix de l’énergie et des produits alimentaires, qui sont influencés par des facteurs mondiaux et désormais par la guerre », avait-il expliqué, alertant sur le risque pour la croissance économique européenne alors que « les taux de croissance trimestriels seront très faibles cette année» et pourraient même passer «en territoire négatif ». L’institution a d’ailleurs revu ses estimations à la baisse et prévoit un PIB en hausse de 2,8% cette année pour la zone euro (2,1% en 2024) contre 4% avant la guerre en Ukraine.
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