Tandis que les entreprises se bousculent afin de pourvoir, à distance, un nombre record de postes, Internet est inondé de conseils aux candidats qui cherchent à se distinguer de la masse. Mais qu’en est-il des employeurs à l’autre bout de la connexion ? Pour eux aussi, il est crucial de maîtriser les codes de l’entretien à distance. Les erreurs d’embauche coûtent cher et nuisent au moral des troupes. Sans les nombreuses informations qu’on obtient uniquement en présentiel (l’effet d’une poignée de main, celui que produit l’entrée d’un candidat dans la pièce), les recruteurs doivent développer de nouvelles stratégies pour évaluer si tel ou tel candidat fera l’affaire.
L’entretien à distance est là pour durer, tandis que la pandémie et la vague de démissions qui l’accompagnent continuent de remodeler le monde du travail. Voici quelques conseils aux employeurs désireux de maîtriser cet outil pour identifier les meilleurs talents à distance.
On fonde souvent les décisions d’embauche sur les compétences et l’intelligence (ou sur la perception qu’on a du QI d’un candidat). Mais l’intelligence émotionnelle (QE) est souvent plus utile pour réussir dans le monde du travail. En période de très forte incertitude, quand les entreprises annoncent des plans ambitieux de recrutement un jour et y renoncent brutalement le lendemain, le QE apparaît plus important que jamais. Le QE mesure la capacité d’un individu à établir des relations avec les autres, à encaisser les coups, à gérer les situations difficiles avec doigté et à décoder une ambiance (ce qui est particulièrement difficile par écran interposé). Lors d’un entretien à distance, il peut être tentant de renoncer à la dimension QE, puisque c’est une qualité qui s’apprécie mieux en présentiel. Mais cela peut conduire à de mauvaises décisions. En préparant vos questions, anticipez ce que chaque réponse pourrait vous dire du QE du candidat. Voici un échantillon de mes préférées :
– Si vous deviez créer une entreprise demain, quelles seraient ses trois valeurs principales ?
– Parlez-moi d’un conflit dans lequel vous avez été impliqué, avec des collègues ou une autre personne de l’entreprise. Comment l’avez-vous géré ? Avez-vous pu le résoudre ?
– S’il vous est déjà arrivé de rendre compte à plusieurs responsables à la fois, comment avez-vous fait pour connaître leurs préférences et jongler avec des priorités contradictoires ?
– Parlez-moi d’une évaluation de votre performance avec laquelle vous n’étiez pas d’accord. Comment avez-vous géré la situation ?
– Qu’est-ce qui vous inspire ?
On déplore volontiers tout ce qui se perd quand les interactions passent par les écrans. En réalité, ces mêmes écrans facilitent une certaine intimité. Lors d’un entretien à distance, le recruteur et le candidat sont presque nez à nez. L’écran crée un sentiment de sécurité psychologique qui permet parfois aux gens de se livrer plus qu’ils ne le feraient en présentiel. Les employeurs peuvent tirer parti de ce phénomène pour que les candidats se révèlent plus vite. Un client, directeur d’une école privée d’élite, m’a confié qu’il s’intéresse « d’entrée de jeu à la vie du candidat : son origine, sa famille, ce qui le fait vibrer ».
A la question classique : « Quel est votre principal défaut ? », réponse classique : « Je travaille trop ! » La crise actuelle offre la possibilité de dépasser cette posture banale. Depuis quasiment deux ans, nous avons tous été confrontés à un vaste éventail de difficultés ; il est ainsi possible d’en apprendre beaucoup sur quelqu’un en l’interrogeant sur la façon dont il ou elle a traversé les turbulences de la pandémie. Posez, par exemple, cette question : « Quel est le plus gros défi auquel vous avez été confronté pendant le Covid et comment l’avez-vous surmonté ? » Puis guettez les signes qui vous indiqueront que la réponse est sincère : le candidat prend-il le temps de réfléchir à la question ? L’expression de son visage est-elle cohérente avec le ton de sa voix ?
Ça nous arrive à tous : on sonne à la porte, un chien aboie, un enfant pleure ou un appel d’urgence tombe au beau milieu d’un entretien à distance. Si le cas se présente, c’est l’occasion de percevoir une autre facette du candidat. A-t-il (elle) été déstabilisé(e) et s’est-il (elle) déconcentré(e) ? A-t-il (elle) géré l’interruption avec le doigté que vous attendriez de lui (d’elle) devant un client ou un collègue ? Si l’entretien n’est pas perturbé, pensez à poser cette question : vous souvenez-vous, lorsque vous étiez en réunion à distance, avoir déjà été dérangé ou distrait par un incident ? Par quoi ? Comment avez-vous réagi ? Ou plus directement encore : « Racontez-moi votre pire cauchemar sur Zoom : que s’est-il passé et comment avez-vous réagi ? »
Il est possible techniquement d’enchaîner les entretiens sans quitter son fauteuil. Une de mes clientes, associée d’un cabinet d’avocats en droit du travail, qui a mené de nombreux entretiens, le déconseille vivement. « Vous devez prendre une dizaine de minutes entre chaque rendez-vous pour vous lever, faire quelques mouvements et enregistrer vos réflexions et impressions, dit-elle. Comme les facteurs de différenciation marquants sont moins nombreux en format vidéo, prenez tout de suite note de vos impressions. »
L’entretien à distance diminue les risques d’interviews mal menés. Pourquoi ne pas profiter des avantages de l’outil pour ajouter quelques candidats atypiques ? Par exemple, un profil issu d’un domaine complètement différent, ou bien qui ne remplit pas les prérequis habituels mais dont la lettre de motivation pétille d’énergie. Ce peut-être aussi un haut potentiel qui vit dans une autre région ou un autre pays ou, pourquoi pas, une candidature repérée sur TikTok Resumes.
Une cliente vient de trouver un emploi après une recherche qui s’est conclue par de multiples propositions. L’entreprise qu’elle a choisie s’est distinguée entre autres par son processus d’entretiens. A chaque fois qu’elle devait rencontrer quelqu’un, elle recevait un programme détaillé comprenant un lien vers la biographie de son interlocuteur. « Le plus impressionnant est qu’avant chaque rendez-vous, je recevais une fiche ‘comment se préparer à un entretien virtuel‘, donnant des conseils du type comment changer son fond d’écran Zoom ou résoudre des problèmes techniques. Ça m’a vraiment donné l’impression qu’ils voulaient que ça se passe bien et qu’ils me soutenaient. Maintenant que j’y suis, je sais qu’ils envoient ce document à tous les candidats afin de rendre le processus plus équitable et donner à chacun un coup de pouce. »
Comme l’illustre le témoignage ci-dessus, les meilleurs candidats reçoivent actuellement plusieurs propositions. La façon dont vous, le recruteur, vous présentez – le choix de vos vêtements, de votre arrière-plan, de vos questions, leur rythme et leur ton – vont déterminer le regard que vos futurs salariés porteront sur votre entreprise. C’est pourquoi, si ces conseils pour réussir du premier coup un entretien en ligne peuvent s’adresser à la foule record de chercheurs d’emploi, ils sont de plus en plus pertinents pour ceux qui les proposent.
Aujourd’hui, les candidats ne cherchent pas seulement à doper leur salaire. Ils veulent aussi de la flexibilité, du bien-être et une culture d’entreprise en phase avec leurs valeurs et leur sensibilité. Les entretiens qui abordent ces sujets fourniront aux deux parties des informations précieuses sur les probabilités qu’un salarié potentiel se sente épanoui et engagé dans telle ou telle entreprise. Ces échanges sont tout à fait possibles en « face à face », même si on ne se trouve pas physiquement dans la même pièce.
Rae Ringel
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