Monde Un laboratoire secret de l’armée impériale converti en musée
JAPON Le laboratoire Noborito fabriquait notamment des armes biologiques et du matériel de propagande…
De notre correspondant à Tokyo,
Sur le domaine paisible et verdoyant du campus Ikuta de l’université Meiji, l’une des plus prestigieuses du Japon, les étudiants flânent au soleil ou jouent au volley-ball. C’est à cet endroit précis, non loin de Tokyo, que se dressait il y a soixante-dix ans le laboratoire Noborito, nom de code d’un centre de recherche clandestin où l’armée impériale japonaise développait en secret des armes pour attaquer ses ennemis d’alors, les Etats-Unis et la Chine.
Pour témoigner de ce pan méconnu de l’histoire du pays, le seul bâtiment d’époque subsistant a été transformé en musée. Un lieu qui prend une importance particulière à l’approche des commémorations du 70e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, alors que le Premier ministre nippon Shinzo Abe, accusé par ses critiques de révisionnisme historique, prépare une déclaration très attendue par les voisins du Japon, victimes des exactions de l’armée impériale.
Dans ce laboratoire top secret mis en service en novembre 1937, seront notamment fabriquées les «ballons-bombes», destinées à traverser le Pacifique pour aller attaquer l’ennemi américain sur son sol. Mais le laboratoire Noborito développe également des armes biologiques pour détruire les récoltes et le bétail de l’ennemi, ainsi que tout un arsenal destiné à l’espionnage et au contre-espionnage.
Pour tester un poison à base d’acide cyanhydrique, les chercheurs collaborent même avec la tristement célèbre unité 731, qui menait des expérimentations sur des cobayes humains. Si aucun de ces tests n’a eu lieu au laboratoire Noborito, des employés ont cependant été envoyés à Nankin, en Chine occupée par l’armée japonaise, pour mener ces sinistres expérimentations.
 
Une planche de billets chinois contrefaits fabriqués par un laboratoire clandestin de l’armée impériale japonaise pendant la Seconde guerre mondiale. – YOSHIKAZU TSUNO / AFP
 
Akira Yamada, professeur à l’université Meiji et directeur du musée, estime qu’environ un millier de personnes travaillaient au laboratoire Noborito, dont un grand nombre d’habitants du voisinage, notamment des écoliers. Ces anciens employés, vivant dans la peur que leur passé soit découvert, ont longtemps tu l’existence du lieu après la guerre, y compris auprès de leurs familles.
Tsuguo Shoji n’avait qu’une quinzaine d’années quand il a été affecté à la fabrication de fausse monnaie chinoise destinée à déstabiliser le régime de Tchang Kaï-chek. Aujourd’hui âgé de 87 ans, il se souvient des efforts déployés après août 1945 pour effacer toute trace des activités du laboratoire Noborito: «Pour détruire les preuves, on aspergeait les billets d’essence avant de les brûler, témoigne-t-il. On nous disait que si les soldats [américains] les trouvaient on serait condamnés comme criminels de guerre.»
 
Akira Yamada, directeur du musée, montre l’emplacement du laboratoire Noborito photographié à plusieurs époques. – M.CENA/20 MINUTES
 
 
Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que les langues se délient quand Shigeo Ban, un ancien capitaine de l’armée, soulage sa conscience dans un livre. Un mouvement citoyen s’amorce, mené notamment par Kenji Watanabe, un professeur de lycée: «Shigeo Ban a été décoré par l’armée pour ses services, mais il vivait avec le poids de ses actes, explique-t-il. C’est pourquoi il a voulu s’ouvrir. Au début, il niait les expérimentations sur les humains, puis il a fini par se livrer devant les étudiants qui le questionnaient. Il s’est senti de nouveau humain. Ces hommes aussi ont souffert», insiste-t-il. «Pendant longtemps on a dû vivre avec ce fardeau, mais on peut maintenant en parler», confirme Tsuguo Shoji.
Faire parler, transmettre, c’est le but de ce musée, le seul du pays à évoquer la guerre clandestine. C’est aussi «pour ne pas oublier la vérité sur les agressions du Japon, pour montrer la vraie nature de la guerre, comment toute perspective éthique a été perdue», plaide Akira Yamada, qui reconnaît que «certains ne sont pas extrêmement heureux de l’existence de ce musée», entièrement financé par l’université privée.
Il dit réprouver «ce que fait le gouvernement [de Shinzo] Abe», qui tente d’effacer ce passé qui dérange. «On ne devrait pas chercher à le cacher simplement parce que ça donne une mauvaise image du Japon», estime Akira Yamada. Chaque année, un cours sur la paix dispensé ici est suivi par 200 étudiants. Pour comprendre le passé et enfin, se tourner vers l’avenir.
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