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FIGAROVOX/TRIBUNE – Le sommet bilatéral entre la France et l’Allemagne prévu le 26 octobre à Fontainebleau a été annulé mercredi, sans qu’aucune nouvelle date ne soit fixée. Le normalien et agrégé de philosophie revient sur les causes profondes des tensions entre les deux pays.
Ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Loup Bonnamy est agrégé de philosophie et spécialiste de philosophie politique.
Rien ne va plus entre Paris et Berlin. Le sommet bilatéral prévu le 26 octobre a été annulé mercredi. Aucune nouvelle date n’a été fixée. C’est la première fois, depuis sa création en 2003 par Jacques Chirac, que cette rencontre est annulée.
Cette annulation exprime l’agacement de Paris face au refus allemand d’un financement communautaire des dépenses énergétiques de l’UE, qui serait analogue au fonds de relance mis en place naguère par Angela Merkel et Emmanuel Macron dans le cadre de la pandémie de Covid-19.
Dans cette période de tensions qui s’ouvre avec Berlin, il faut que Paris sorte du déni et prenne conscience de quatre axiomes fondamentaux. Tout d’abord, le couple franco-allemand est une chimère. Cette expression n’est jamais employée outre-Rhin. Déjà en 1963, de Gaulle avait été déçu par l’attitude allemande lorsqu’il comprit que la RFA ferait toujours passer son engagement au sein de l’Otan avant l’alliance française. La réunification a aggravé les choses en faisant basculer le centre de gravité de l’Allemagne vers l’est, comme l’a bien analysé Coralie Delaume dans Le couple franco-allemand n’existe pas. Bonn, l’ancienne capitale de la RFA, n’était qu’à 250 kilomètres de Metz. Aujourd’hui, Berlin est à 800 kilomètres de Metz, mais à seulement quelques dizaines de kilomètres de la frontière polonaise. Ensuite, deuxième axiome, la France s’épuise en vain en demandant à Berlin de se montrer davantage coopératif, car l’Allemagne a, depuis sa réunification, une politique égoïste, se résumant à la stricte défense de ses intérêts nationaux. Puis, c’est le troisième axiome, l’Allemagne a opté pour une politique du « passager clandestin » vis-à-vis de l’UE. L’Allemagne soutient le projet européen à chaque fois qu’elle peut en tirer bénéfice. Mais elle freine des quatre fers lorsque ce projet impliquerait qu’elle mette la main au porte-monnaie. Enfin, il y a un malentendu entre l’Allemagne et la France. Nostalgique de Louis XIV et de Napoléon, la France veut utiliser l’UE pour restaurer sa puissance et retrouver son ancienne grandeur. Au contraire, traumatisée par le nazisme, l’Allemagne a abandonné toute ambition historique et a converti son ancien expansionnisme militaire (aujourd’hui maudit) en agressivité économique. L’Allemagne n’a que faire de la puissance et n’aspire qu’à une chose : sortir de l’Histoire, car l’Histoire lui a trop coûté. Surtout l’Allemagne n’a aucune envie d’aider la France à retrouver son rang.
Plus généralement, l’Allemagne a pour ambition de saper méthodiquement tous les restes de la puissance française.
La seule obsession de l’Allemagne, ce sont ses excédents commerciaux. Sur le plan comptable, ils sont vitaux pour porter la charge d’une démographie germanique vieillissante. Sur le plan affectif, l’Allemagne entretient une relation névrotique avec ses excédents qui sont pour elle un véritable fétiche, alors qu’ils déséquilibrent toute l’économie mondiale. Pour maintenir cet excédent, l’Allemagne bénéficie de l’avantage de l’euro. Surévalué par rapport au franc (et étouffant donc l’économie française), l’euro est sous-évalué par rapport au mark et donne à l’Allemagne un puissant avantage compétitif. Elle se distingue également par son opposition forcenée à tout protectionnisme européen. Un exemple est révélateur : les panneaux solaires chinois fabriqués bénéficient d’une politique de dumping de l’État chinois, des subventions publiques massives permettant aux entreprises chinoises de vendre à perte et ainsi d’asphyxier la concurrence européenne et américaine. Une PME allemande, Solar World, avait porté plainte devant la Commission européenne. Une fois n’est pas coutume, la Commission a reconnu que les règles de la concurrence n’étaient pas respectées et a mis en place des barrières protectionnistes. Par peur de voir ses propres exportations frappées de mesures de rétorsion par la Chine, l’Allemagne a fait pression et a finalement obtenu la suppression de cette protection antidumping, et ce, contre l’intérêt de tous les autres Européens et même des entreprises photovoltaïques allemandes.
Plus généralement, l’Allemagne a pour ambition de saper méthodiquement tous les restes de la puissance française. En Australie, l’an dernier, c’est contre notre concurrent allemand TKMS que le français Naval Group avait décroché le contrat de vente des sous-marins. Peu adeptes du fair-play, nos «amis» allemands ont ardemment soutenu la campagne de presse et de lobbying qui a conduit à la rupture du contrat par les Australiens. Même ligne sur le plan énergétique. En 2011, Berlin a renoncé au nucléaire sans consulter ses partenaires européens. Peu importe que cela fasse bondir ses émissions de CO2 ou gêne les entreprises françaises. En effet, les centrales nucléaires émettent en moyenne 80 fois moins de CO2 par kilowattheure produit que les centrales à charbon et 45 fois moins que les centrales à gaz. En abandonnant le nucléaire et en portant l’éolien au pinacle, Angela Merkel a donc considérablement développé le charbon, ce qui a fait exploser la pollution émise par l’Allemagne, au grand détriment de la qualité de l’air en Allemagne et dans le monde. En Allemagne, 17 % de l’énergie provient du charbon (contre 3 % pour la France). Et 61 % provient du gaz et du pétrole (contre 45 % en France). L’Allemagne est aujourd’hui le sixième pollueur mondial, loin devant la France, émettant annuellement en moyenne plus du double de CO2 par rapport à nous. Le nucléaire français – synonyme d’indépendance stratégique, d’excellence technologique, d’électricité peu chère et d’énergie décarbonée – a pour principal ennemi les manigances allemandes. Que ce soit sur le gaz et les gazoducs (avec l’exigence de prolonger vers l’est le gazoduc franco-espagnol MidCat) ou sur le nucléaire, la politique allemande est un péril pour nos grands énergéticiens (et donc pour nos ménages et nos entreprises).
Au mieux de demander davantage de fédéralisme européen et d’exiger de l’Allemagne qu’elle s’implique davantage, il devrait militer pour moins d’Allemagne et moins d’Europe.
Paris a donc raison de taper (enfin !) du poing sur la table face à Berlin. Un bémol toutefois. Paris proteste pour de mauvaises raisons. En effet, Emmanuel Macron reproche aux Allemands leur égoïsme. Au lieu de critiquer cet égoïsme national, il ferait mieux de l’imiter. Au mieux de demander davantage de fédéralisme européen et d’exiger de l’Allemagne qu’elle s’implique davantage, il devrait militer pour moins d’Allemagne et moins d’Europe. En 1959 paraissait le livre de Claude Digeon intitulé La Crise allemande de la pensée française, dans lequel l’historien mettait en lumière la fascination qu’a exercée l’Allemagne sur une France vaincue et humiliée entre notre défaite de 1871 et 1914. Espérons que les années 2020 seront celles où nous tournerons définitivement la page de la crise allemande de la politique française.
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Ane aux mines
le
La déconnexion entre l’élite parisienne et la population est abyssale. Beaucoup de Français ont une histoire familiale qui ne leur fait pas voir les Allemands comme des amis. Le temps n’est plus à la rancoeur mais on ne partira pas en vacances ensemble.
MARIE COLINI
le
Excellente analyse. Quiconque a affaire aux Allemands (encore plus au niveau administratif) sait que cette pseudo « amitié » est un juste délire des différents présidents français!
PBa
le
Macron n’est qu’un eurolatre bêlant au lieu d’être un « Clemenceau « tapant du poing sur la table et envoyant paître la Commission Européenne lorsqu’elle ne tient pas compte des intérêts Français .
La plupart des arbitrages de la dite Commission nous sont défavorables. Au fil des décennies la France a été dépecée , souvent avec la complicité de ses dirigeants .
Il faut donc plus de souveraineté et moins d’Europe comme il est suggéré dans l’article .
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Jean-Loup Bonnamy: «Le couple franco-allemand est une chimère»
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