Dans le pays, les prix augmentent, mais la banque centrale, gouvernée par un proche du premier ministre souverainiste Viktor Orban, refuse de relever son principal taux directeur
Cet été, bon nombre des 9,8 millions de Hongrois ont préféré passer leurs vacances au bord du fameux lac Balaton, destination traditionnelle. S’ils sont moins partis à l’étranger, c’est peut-être aussi à cause de la faiblesse du forint (HUF). Depuis la réélection, le 8 avril, du premier ministre souverainiste Viktor Orban, connu pour sa politique économique interventionniste, la devise nationale dégringole.
Fin juin, elle a approché son plus bas niveau historique face à l’euro: 326,4 forints pour 1 euro, à comparer aux 327,62 forints pour 1 euro enregistrés en janvier 2015. Le 30 juillet, il fallait encore 322 forints pour obtenir 1 euro, ce qui rend la destination hongroise très attractive pour les touristes et favorise les exportations, mais suscite des inquiétudes dans ce pays membre de l’Union européenne depuis 2004, resté en marge de la zone euro.
En cause: la politique monétaire de la Banque centrale hongroise (BCH). Depuis mai 2016, elle maintient son principal taux directeur à un niveau historiquement bas de 0,9%. «Il s’agit d’une politique non conventionnelle, puisque la Réserve fédérale américaine [Fed] ainsi que la banque centrale tchèque [pays de la région qui, lui non plus, ne fait pas partie de la zone euro] ont, elles, fait le choix de relever les leurs», commente Attila Weinhardt, analyste en macroéconomie pour le site internet spécialisé Portfolio.
Or, le relèvement des taux de la Fed a déclenché un mouvement de capitaux des pays émergents vers les Etats-Unis, offrant de meilleurs rendements. Ce mouvement, auquel s’ajoutent les incertitudes commerciales, a contribué à affaiblir le forint, gonflant au passage le prix des produits importés. Budapest n’est donc pas à l’abri d’un processus spéculatif. Selon M. Weinhardt, les signes d’une augmentation possible des prix à la consommation jusqu’à 4% sont déjà là, après un bond de 2,9% l’année dernière, contre 0,4% en 2016. La Hongrie reste encore loin des dérives observées en Argentine, au Zimbabwe ou encore au Venezuela – dans ce dernier pays, l’inflation devrait culminer à 1 000 000% cette année. Mais une grande partie de la dette publique, de celle des ménages et des entreprises est détenue en monnaie étrangère.
Dans ces conditions, toute baisse du forint gonfle le niveau d’endettement, dans un contexte de forte volatilité encouragée par les pressions exercées récemment par le président américain, Donald Trump, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, sur leurs instituts monétaires.
La situation est donc instable et Losoncz Miklos, de l’institut de recherche économique GKI, juge que «le manque d’attention porté par la BCH à ce contexte en grande évolution est pour le moins surprenant. La Banque centrale européenne [BCE], le Royaume-Uni et le Japon ont suivi la Fed ou ont donné des signaux pour rassurer les marchés. Or la Hongrie, elle, donne l’impression de faire cavalier seul et d’ignorer toutes les alarmes. Les investisseurs y voient un risque. Ils savent par ailleurs que les décisions de la BCH ne sont pas prises de manière indépendante.»
A la suite de son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban a en effet repris en main la banque centrale. La crédibilité de l’institution est écornée, car elle est soupçonnée de se faire dicter ses décisions par le cabinet du premier ministre. Le relèvement des taux directeurs est une mesure impopulaire, que la plupart des gouvernements préféreraient pouvoir éviter.
Il ne croit pas au marché, il pense que c’est au gouvernement d’orienter le marché
Depuis le mois d’avril 2013, le gouverneur de la BCH n’est autre que György Matolcsy, l’ancien ministre de l’Economie de Viktor Orban. Nommé après une modification constitutionnelle donnant plus de poids à l’exécutif dans les arcanes de l’institut monétaire, il est considéré comme l’inventeur des politiques non orthodoxes mises en place il y a huit ans par Viktor Orban pour redresser l’économie hongroise. Or le bilan de ces «orbanomics», des mesures patriotiques orientées sur la croissance, apparaît aujourd’hui contrasté.
Dans un entretien accordé en 2014 au site anglophone d’information Budapest Beacon, aujourd’hui disparu, l’ancien PDG de la Raiffeisen Bank en Hongrie avait émis un jugement sévère contre cette personnalité nationaliste. «Il ne croit pas au marché, il pense que c’est au gouvernement d’orienter le marché», jugeait Péter Felcsuti. Auprès du même journal en ligne, Lajos Bokros, ministre des Finances dans les années 1990, s’était montré plus lapidaire encore, en estimant que György Matolcsy était un «obligé politique, ne comprenant rien aux politiques monétaires et économiques». De quoi nourrir les inquiétudes au sujet d’une reprise en main de la banque centrale par le pouvoir, autoritaire.
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