Joël Le Pavous
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Cent mille personnes. Le 28 octobre, les Magyars ont manifesté en masse à Budapest pour dire «nem» (non) à la taxe Internet programmée par le pouvoir. Bousculant l’inébranlable Viktor Orbán. Du moins, jusqu’à une consultation nationale organisée en janvier 2015.
Cet éventuel «impôt sur le clic» vient s’ajouter à un arsenal fiscal maison aussi contraignant qu’insolite. Petit best-of.
L’ÁFA (Általános Forgalmi Adó), comme on l’appelle en Hongrie, était déjà l’une des plus élevées du Vieux Continent jusqu’au 1er janvier 2012. Depuis, les 25% sont devenus 27% sur décision du Premier ministre. Faisant de Budapest LA capitale de la TVA en Europe devant Stockholm, Zagreb et Copenhague, prélevant toutes trois le quart des additions et factures. Des taux réduits s’appliquent sur l’hôtellerie (18%), les livres et les journaux (5%). Soins dentaires et œuvres sociales sont exemptés.
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Conséquence? Des fraudes en cascade. András Horváth, agent de l’office des douanes et taxes (NAV), a été viré en novembre 2013 après avoir révélé une affaire de TVA «évadée». Montant du préjudice en un an: mille milliards de forints[1], soit 5% à 6% du PIB hongrois. «A la suite d’une rapide enquête interne, la NAV a affirmé que ses accusations étaient fausses. Pour se couvrir, elle l’a licencié. Très vite, la police s’est rendue chez lui et a emporté les preuves», dénonce la journaliste Ėva Balogh sur son blog.
Deux forints (0,006 euros) par minute ou par texto. C’est la somme dont tout abonné Vodafone, Telenor ou T-Mobile, les trois principaux opérateurs du pays, doit s’acquitter à chaque coup de fil ou SMS. Arborée comme «impôt de crise» en octobre 2010, la ponction pèse également sur le chiffre d’affaires des pourvoyeurs de ligne. Jusqu’à 6,5% en fonction des revenus, hors TVA. Paris avait été blâmée en voulant imiter le procédé à la suite de la disparition de la publicité après 20 heures sur France TV.
La Commission est montée au créneau, jugeant cette contribution «illégale». Motif: Budapest outrepasse une directive européenne qui dispose qu’une telle charge doit financer les coûts administratifs ou la règlementation du secteur. Et non un budget central. Malgré une demande formelle d’abolition (septembre 2011), une assignation en justice (mars 2012) et une procédure d’infraction (janvier 2013), la «taxe télécoms» est officiellement en vigueur depuis mai 2012. Gain: 200 millions d’euros par an.
Qu’ils mangent à Budapest, Györ, Pécs, ou Debrecen, les McDo-philes, Burger King-addicts ou KFC-maniaques n’ont rien à craindre. La taxe «hamburger» lancée en septembre 2011 ne concerne pas les hamburgers. Objectif: lutter contre l’obésité, qui touche 20% de la population hongroise. Quatre ans auparavant, un rapport du magazine Forbes classait la Hongrie 87e pays le plus «gros» du monde. Idée de base? Financer des campagnes de sensibilisation incitant à une meilleure hygiène alimentaire.
En fait, la «taxe hamburger» a surtout écopé des comptes publics mis à mal, entre autres, par une aide de 20 milliards d’euros octroyée en 2008 par le FMI pour sauver la Hongrie de la faillite. Sodas, glace, friandises, boissons énergétiques, snacks salés et soupes instantanées subissent un surcoût.
Dans l’ordre: 15 forints (0,05€)/litre, 100 (0,3€)/kg, 200 (0,6€)/kg, 300 (1€)/l, 400 (1,3€)/kg, 500 (1,6€)/kg. Paris a suivi l’exemple magyar. La France prend 0,02€ par canette de soda et 1 € par litre de Red Bull.
Votre pain à la boulangerie. Vos achats par carte bleue. Vos virements. Vos billets au distribanque. Ces situations font les frais, sans exception, d’une taxe sur les transactions adoptée à l’été 2012. György Matolcsy, ex-ministre de l’Economie, l’a incluse dans un vaste plan d’augmentation d’impôts de 367 milliards de forints (1,3 milliard d’euros) pour 2013. Son ambition? Montrer que la Hongrie s’attaquait à son déficit chronique, supérieur aux fameux 3% du PIB depuis l’entrée dans l’UE (2004).
Résultat: 0,3% sur les paiements en espèces, les chèques postaux et les transferts d’argent; 0,6 sur les retraits jusqu’à 500 euros. Cette offensive de l’Etat a gonflé le prix des services financiers (+46% sur janvier-septembre 2013)… et l’inflation (+2,1%).
«Les banques verront cela comme la dernière d’une longue série d’actions contre leur secteur. Une manière peu amène de stopper l’endettement de la Hongrie qui freinera la croissance», prévenait à l’époque Tim Ash, économiste à la Standard Bank.
Savons, shampooings, gels douche, crèmes, déodorants, désodorisants, lessives, adoucissants, produits de nettoyage. A compter de janvier 2015, ces produits de tous les jours seront spécifiquement taxés. Information confirmée par le site Internet du journal économique Világgazdaság. Pourquoi? L’hypothèse la plus présentable tient en deux mots: impact environnemental. Les futures cibles ont en commun d’être remplies d’éléments chimiques, nuisibles à la couche d’ozone. Un impôt écolo, donc.
Les tensioactifs, «composés indispensables à l’hygiène et à la cosmétologie», précise le CNRS, augmenteront de 11 forints (0,03€)/kg à la caisse. En résumé: tout ce qui lave et nous lave. Y compris le dentifrice et la mousse à raser. Maquillage et lait corporel grimperont de 57 forints (0,2€) le kilo. Les fleurs artificielles (et leurs colorants acidifiés) bondiront de 1.900 forints (6,3€) pour la même quantité. Ramettes de papier, cahiers, et classeurs prendront 19 forints (0,06€) par kg.
A l’aube de la Grande Guerre, le 3 juillet 1914, les députés français ont validé un tribut graduel, égalitaire, modernisant les finances et assurant les arrières du pays en cas de conflit. L’édifice tient toujours. Différence majeure entre Paris et Budapest? Un calcul individuel se substitue aux ménages ou aux foyers fiscaux. Avec déclaration indépendante. Pouponner donne droit à des ristournes sur la base imposable: 62.500 HUF (208€)/enfant/mois jusqu’à deux, 206.250 HUF (687,5€)/tête à partir de trois.
Le contribuable magyar lambda, 2,5 millions de forints/an (8.300€), lâche 16% de son salaire pour la collectivité. Plus 8,5% pour la sécu et 10 pour les retraites. Le choc de simplification façon Orbán.
«Le système hongrois est clair: taux fixe, peu de niches fiscales. On peut, certes, reprocher la non-progressivité effective de Budapest. Mais par exemple, celle-ci n’existe pas non plus dans l’impôt sur les sociétés tel qu’il est prélevé en France», précise un fin connaisseur basé sur les bords du Danube.
Peu avant Noël 2011, les parlementaires hongrois ont adopté une loi sur l’imposition des chiens par les communes. Le texte prévoyait 20.000 HUF (66€)/an pour les bêtes dites ou jugées dangereuses (pitbulls, rottweilers…) et 6.000 (20€) pour les canidés ne présentant aucun risque. En revanche, rien sur les chiens guides, secouristes ou militaires. Il était même question que les «races hongroises», comme le puli, soient aussi dispensées.
Si l’Allemagne et la Suisse ont importé la méthode, et si les Néerandais versent 117 € en moyenne par an pour leur quadrupède, la pilule n’est pas passée en Hongrie. Seules trois villes ont emboîté le pas: Mindszent (sud), Újfehértó (nord-est) et Kaposvár (sud-ouest). Les municipalités, souveraines, ont préféré botter en touche plutôt que d’avaliser une ponction impopulaire. Sage décision: 1,5 million de chiens taxés, c’est autant d’électeurs offensés. Sans parler du critère racial, risible à souhait. Fiasco.
Elles versent déjà jusqu’à 19% de leurs recettes en guise d’impôt sur les sociétés. Depuis 2010, les firmes privées pétrolières, de gaz, d’eau ou d’électricité sont assujetties à une taxe «Robin des Bois». Ce supplément se chiffre de 11% à 31% selon les bénéfices. Soit entre 30% et 50% TTC. Principales cibles: les compagnies étrangères, dont Viktor Orbán n’hésite pas à racheter les activités magyares tout en imposant des baisses drastiques de prix de l’énergie afin d’engranger les suffrages.
Tel le brigand au grand cœur de la forêt de Sherwood, le Premier ministre prend aux «riches» importateurs et défend les «pauvres» consommateurs. «Ces entreprises sont un bouc émissaire commode. Particulièrement les compagnies d’énergie, dirigées en majorité par des étrangers. De cette manière, le pouvoir empoche des voix à peu de frais en accusant les groupes d’enrichissement abusif sur des services de base», assure Csaba Tóth, directeur stratégique du think-tank Republikon.
15 mars 2012. L’office central d’agriculture (CAO, en anglais) et de la sécurité alimentaire (HFSO) fusionnent et donnent naissance au bureau national de surveillance de la chaîne alimentaire (NFCSO). «Contact direct avec les producteurs», «prévention des risques sanitaires», l’organisme se veut à la fois partenaire privilégié des propriétaires terriens (fermiers, vignerons…) et garant du bien-manger. Seulement voilà, au lieu d’un véritable interlocuteur, les agriculteurs ont plutôt affaire à un percepteur.
Les forces vives du secteur doivent céder 0,1% de leur chiffre d’affaires réalisé l’année précédente. Taille du domaine, activité exercée: zéro distinction. Le petit producteur de Tokaji, vin blanc chic, aussi sollicité que l’éleveur industriel de porc ou de bœuf à gulyás ou à pörkölt (ragoût). Comme si l’exploitant isolé du Limousin, au modeste cheptel alimentant les Auchan, Leclerc et autres, était logé à la même enseigne qu’un céréalier FNSEA de la Beauce. Le prix de la qualité magyare? Allez savoir.
Confortablement réélu maire de la capitale hongroise mi-octobre, István Tarlós (Fidesz, le parti de Viktor Orbán) a un penchant pour les idées loufoques mais loin d’être saugrenues. Ses derniers bijoux? Une taxe-bouchon (dugódíj), péage urbain global transformé en écot de passage rentable sur les sept ponts de Budapest. Mise en pratique dès 2016. L’autre: 100 forints (0,3€) par objet sur les souvenirs estampillés Buda, Pest, ou Budapest, couplés à 750.000 HUF (250€) par raison sociale mentionnant la ville. Aux oubliettes.
Appât du gain ou merchandising? Les deux. Les royalties attendus (un sacré magot, à bien y réfléchir) auraient fourni un coup de pouce en béton à la municipalité tout en valorisant la «marque» Budapest. Et puis, la démarche n’était pas stupide. Un peu à l’image de Paris, qui, depuis 2005, vend licences d’exploitation et droits d’auteur pour utiliser commercialement la Ville Lumière et/ou la Tour Eiffel. De quoi renflouer les comptes en jouant de son prestige. La «perle du Danube» a tout autant d’atouts.
En quatre ans, le gouvernement Orbán II a instauré une quarantaine de taxes, compilées par les soins de Gábor Kuncze, figure du défunt parti libéral SZDSZ. Un exploit. C’est ça, le génie fiscal magyar.

1 — Soit environ 3 milliards d’euros Retourner à l’article

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