La Fed s’accommode bien du statut de valeur refuge de sa monnaie, car il l’aide à lutter contre l’inflation importée. Mais il complique la vie du reste du monde, particulièrement des pays émergents
C’est une de ces envolées à faire pâlir toutes celles du franc, même parmi les plus spectaculaires. Depuis un an, le dollar a bondi de 13%. Sur le seul mois d’avril dernier, la monnaie américaine a même gagné 6% face à un panier de devises, dont l’euro, le franc, la livre britannique. Cet indice du dollar, pondéré en fonction des échanges commerciaux, n’avait plus été si haut depuis deux ans.
Daily trade-weighted U.S. dollar index was measuring 114.3 as of April 29 (January 2006=100). Track the long-term trend in FRED: https://t.co/vKbnqIhHUP pic.twitter.com/u8RSDtJCWx
Cette vigueur du «greenback» peut sembler paradoxale, alors qu’on ne cesse de douter de la pérennité de son statut de monnaie de réserve, surtout depuis l’invasion de l’Ukraine et des sanctions financières imposées à la Russie. Le yuan, estimaient beaucoup de prévisionnistes, devait en profiter.
Sauf que, pour l’instant, c’est tout le contraire qui se produit. Le dollar flambe, pendant que le yuan perd du terrain. L’explication est quadruple. D’abord, la monnaie américaine bénéficie d’un statut de monnaie refuge qui se vérifie encore aujourd’hui alors que les incertitudes sur l’économie mondiale sont importantes. Ensuite, les perspectives de hausses des taux aux Etats-Unis – il devrait y en avoir encore deux cette année, après celle de mercredi dernier – font augmenter les rendements et attirent les investisseurs. La semaine dernière, le taux à dix ans a d’ailleurs dépassé les 3% pour la première fois depuis 2018.
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Surtout, à l’exception notamment de la Banque d’Angleterre, la plupart des autres banques centrales n’ont pas encore procédé à des hausses de taux. Cela crée un différentiel encore plus favorable au dollar. De fait, ce dernier a gagné plus que 7% face à l’euro depuis le début de l’année, 4% face au yuan et même 12,7% et 7% face aux monnaies refuge que sont le yen et le franc.
En outre, les perspectives de la Chine se sont largement assombries. La lutte contre le covid et les confinements à répétition vont affecter le pays qui a été ces dernières années le moteur de la croissance mondiale. Or, là aussi, dès que des doutes apparaissent sur la santé de l’économie mondiale, le dollar prospère.
A cela s’ajoute la hausse des prix de l’énergie, liée à l’invasion de l’Ukraine, qui a profité aux monnaies dites «commodities» parce que leur pays est un producteur de matières premières, ajoute Claudio Wewel, stratège spécialisé dans le marché des changes à la banque J. Safra Sarasin. Dans une note, il explique qu’aucun de ces facteurs n’est près de se calmer, ce qui devrait contribuer à ce que le dollar reste fort ces prochains mois. Une prédiction partagée par la plupart des analystes.
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Même si elle a ses limites: «Je ne vois pas de raison structurelle qui explique le rallye du dollar, ce qui signifie qu’il ne durera pas éternellement. La Fed a été la première banque centrale à sortir du bois en relevant ses taux d’intérêt. Mais attendez que la Banque centrale européenne, ou, oui, la Banque nationale suisse aussi s’y mettent et cela fera disparaître cet avantage», estime Peter Rosenstreich, responsable des produits d’investissement chez Swissquote. Dans tous les cas, le dollar pourrait néanmoins conserver son avance parce que même si ses homologues se mettent à resserrer leurs taux, elles iront moins vite que la Fed.
Pour cette dernière, l’envolée actuelle du dollar apparaît comme une bénédiction au moins sur un plan: elle l’aide à lutter contre l’inflation importée. Alors que les prix à la consommation ont augmenté de 8,5% en mars et que la banque centrale peine à enrayer ce renchérissement, aucune aide n’est de trop.
Moins orientée sur les exportations que la Suisse, par exemple, l’économie américaine est moins à la merci de sa monnaie lorsqu’elle s’apprécie. Mais même dans ce pays, certaines entreprises se plaignent déjà du dollar fort. C’est le cas par exemple d’Alphabet, la maison mère de Google qui, malgré de bons résultats trimestriels, assurait que sa croissance aurait été supérieure de 6 points de pourcentage si le dollar ne s’était pas autant apprécié depuis le début de l’année. D’après la société de recherche financière FactSet, citée par le Wall Street Journal, les entreprises qui figurent dans l’indice S&P500 enregistrent 40% de leurs revenus hors des Etats-Unis.
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Mais c’est pour le reste du monde que la hausse du billet vert risque d’avoir le plus de conséquences. «Un dollar fort pénalise sévèrement les économies émergentes, en renchérissant le coût des importations des denrées alimentaires et de l’énergie», rappellent des analystes de Pictet dans une note. Car les matières premières sont le plus souvent libellées en dollars. Cela affecte aussi l’Europe et le Japon, mais les pays émergents font face à un problème supplémentaire: «Cela accroît les coûts de financement, car les taux des obligations émergentes en devises fortes sont corrélés aux taux américains», ajoute la banque. Dans un contexte où beaucoup d’entre eux font face à des finances publiques qui se sont détériorées en raison de la pandémie, ce n’est pas une bonne nouvelle.
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«C’est notre monnaie, mais votre problème», disait John Connally, le secrétaire d’Etat au Trésor de l’administration Nixon, en 1971 à des membres du G10 légèrement choqués. Le dollar s’était alors violemment déprécié suite à la décision d’arrêter la convertibilité en or. Une phrase restée célèbre et dont la véracité se vérifie encore. Même si le mouvement est aujourd’hui inverse.
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