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Depuis la création de l’abeille dans le Lot-et-Garonne, en 2010, les projets de monnaies locales, ou complémentaires, ont essaimé en France. On en compte plus de 80 d’après le Mouvement Sol (la fédération des monnaies locales). En les reconnaissant comme moyen de paiement légal, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a encouragé leur développement, faisant d’ailleurs de la France le premier pays à se doter d’une telle législation. Mais combien sont réellement viables ou opérationnelles ? L’une d’entre elles, l’eusko, dans le Pays basque, se démarque nettement. Créée en 2013, elle est l’une des principales monnaies locales au monde, avec l’équivalent de plus de trois millions d’euros en circulation, là où les autres, en France, peinent généralement à atteindre les 100.000 unités. En effet, derrière la monnaie basque, “beaucoup de projets vivotent”, est forcé de constater Charles Lesage, délégué général du Mouvement Sol. “Il leur manque souvent un soutien des collectivités et des acteurs économiques structurants.” C’est pourquoi le mouvement a décidé fin 2021 de lancer un appel manifestation d’intérêt pour permettre aux projets les plus aboutis de “changer d’échelle”. Sept monnaies ont ainsi été sélectionnées pour être accompagnées dans ce changement : moneko (Pays de la Loire), bulle (Charente), miel (Gironde), roue (Paca), gonette (Rhône), pive (Franche-Comté) et florain (Nancy). L’eusko complète cette première promotion en tant que tête de pont. “L’enjeu de l’opération est de faire la démonstration que l’eusko n’est pas une exception due à l’identité basque, il y a bien d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte : ils ont su développer des outils, des méthodes, des partenariats… Tout ceci peut être répliqué ailleurs”, souligne Charles Lesage. Afin de proposer une formation complète, le Mouvement Sol s’est associé à l’Institut des monnaies locales et à Lokavaluto, un pôle informatique qui accompagnera les lauréats dans la digitalisation de leur monnaie, une étape importante du développement.
Ces monnaies locales “ont été retenues car elles sont déjà à une étape intermédiaire (avec plusieurs centaines d’utilisateurs, quelques centaines de professionnels, au moins un salarié…) et elles présentent un potentiel pour passer à un niveau supérieur avec le soutien d’une ou plusieurs collectivités de leur territoire”, explique Charles Lesage. Elles ont vocation à servir d’exemple à l’ensemble des monnaies en France.
Souvent les collectivités ne sont pas à l’initiative du projet. Dans chacun des cas, c’est une association qui porte la monnaie et qui est la seule habilitée à émettre des titres. Pour se procurer de la monnaie, il faut donc adhérer à l’association. Mais pour les partenaires, la clé du succès réside dans la mobilisation de l’ensemble des acteurs territoriaux : collectivités territoriales, réseaux de l’ESS, agences et services déconcentrés de l’État, entreprises et commerces locaux, habitants, associations, chercheurs, etc. L’eusko bénéficie à cet égard d’un soutien très important de la municipalité de Bayonne et de la communauté d’agglomération du Pays basque.
Si les monnaies locales ont pour vocation de promouvoir le commerce et la production locale, elles ont “longtemps été incomprises”, “mais la crise sanitaire a changé le regard”, assure Charles Lesage. “On s’est rendu compte de l’intérêt de relocaliser les échanges. Alors pourquoi ne pas utiliser une monnaie pour cela ?” D’après lui, 22% des professionnels qui participent aux monnaies locales disent avoir perçu une évolution de leur chiffre d’affaires depuis leur adhésion. “Les dépenses en monnaie locale sur le territoire génèrent davantage de revenus au fil des transactions successives, entre 1,25 et 1,55 fois plus. On constate ainsi une diminution des fuites monétaires” à l’extérieur du territoire, argue-t-il encore.
Beaucoup de collectivités adhèrent à la monnaie de leur territoire et permettent de payer des prestations : transport, musée, cantine, bibliothèque… Inversement, certaines versent des aides sociales, c’est le cas de Toulouse, qui expérimente la distribution de bons alimentaires aux chômeurs et étudiants en sol-violettes. “Les collectivités auraient tout intérêt à ce qu’une partie des subventions soient émises en monnaie locale”, souligne Charles Lesage. Mais, elles rencontrent encore un obstacle : faute d’actualisation d’un arrêté de 2012 qui dresse la liste des moyens de paiement des collectivités, elles ne peuvent toujours pas ouvrir leur propre compte en monnaie locale pour payer et encaisser directement. Elles doivent donc passer par l’intermédiaire de l’association qui dispose d’un compte à la Nef. Pour Charles Lesage, l’un des enjeux à venir sera d’articuler ces monnaies locales avec les politiques publiques de type Action cœur de ville, Petites Villes de demain… “Il semble très intéressant d’imaginer des ponts.”














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