Coup sur coup, les institutions africaines ont lancé deux grands projets pour permettre une croissance plus inclusive du continent et à terme réduire les inégalités. La zone de libre-échange pour l'ensemble de l'Afrique et la monnaie unique pour la partie occidentale de celle-ci constituent deux défis majeurs, tant politiques qu'économiques.
Par Michel De Grandi
Coup sur coup l'Afrique vient de lancer deux nouveaux projets susceptibles de faire basculer le continent, jadis familier de l'aide internationale, dans une ère nouvelle. Lancée par l'Union Africaine (UA), la zone de libre-échange à l'échelle du continent est entrée en vigueur début juillet. Ce projet auquel se sont ralliés tardivement les deux principales économies du continent, l'Afrique du Sud et le Nigeria, n'en est encore qu'aux prémices malgré une volonté politique affichée de l'UA. Quasiment en même temps, les quinze membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) – dont le Ghana – sont tombés d'accord pour adopter, dès 2020, une monnaie unique, l'eco.
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Ce dernier projet, dont on parle depuis plusieurs décennies, est certes limité à l'Afrique de l'Ouest et n'a pas vocation à irriguer l'ensemble du continent, mais dans chacun de ces deux cas, il s'agit de décisions politiques censées donner à l'Afrique de nouveaux outils pour un développement plus cohérent.
Les bases à peine jetées
Pour chacun de ces deux projets, les bases sont à peine jetées. La zone de libre-échange doit avant tout renforcer le commerce intrarégional africain qui ne représente que 15 % du total des échanges contre 67 % pour l 'Union européenne et son marché unique . S'agissant de la monnaie unique, le calendrier de 2020 fixé par les 15 architectes de l'eco, il est tout simplement irréaliste. « On n'a même pas fait les maquettes des coupures », explique un expert. Pour beaucoup, 2025 voire 2030 sont des dates butoirs plus réalistes.
Huit sur quinze utilisent le franc CFA
Actuellement, huit pays de la Cédéao utilisent le franc CFA, tandis que les sept autres manient autant de devises qui ne sont pas convertibles entre elles. Or, ces huit de la zone franc CFA s'en sortent plutôt mieux sur le plan économique : selon les derniers chiffres publiés, la croissance des pays de l'Uemoa s'est maintenue à 6,6 % en 2018 « le même niveau qu'en 2017 », s'est félicité le président ivoirien Alassane Ouattara, à l'ouverture mi-juillet d'un sommet des chefs d'Etat de l'Uemoa. Ces huit pays utilisateurs du franc CFA, qui comptent environ 90 millions d'habitants n'ont pourtant que peu de poids face au Nigeria voisin. Tout au plus représentent-ils ensemble 22 % de son PIB. Le géant de près de 200 millions d'habitants qui n'utilise pas le franc CFA et reste surtout très dépendant des cours du pétrole, ne parvient pas, de son côté, à faire décoller sa croissance qui devrait en 2019 plafonner à +2,1 %.
Garantie du Trésor français
Reste que la montée en puissance de l'eco risque de signer la fin du franc CFA. Un sujet hautement sensible dont la France accepte de débattre de façon « apaisée » a récemment indiqué Emmanuel Macron tout en admettant que le sujet reste « délicat ». « Nous avons décidé d'ouvrir » ce chapitre « ensemble avec nos partenaires africains, […] sans culte du symbole, sans tabou ni totem » a expliqué le chef de l'Etat qui recevait son homologue Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire . Un point qui aura certainement son poids dans les discussions à venir : la garantie de l'Etat français dont bénéficie le franc CFA sera-t-elle étendue à l'eco ? Aujourd'hui, les Etats africains doivent déposer 50 % de leurs réserves en France. En contrepartie, leur convertibilité illimitée avec l'euro leur donne une crédibilité internationale. Mais en même temps, ce phénomène crée une dépendance monétaire des pays africains vis-à-vis de la France.
Michel De Grandi
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