Alors que la Corée du Nord traverse sa première épidémie de COVID-19, l’ensemble de la population est sur le pont. L'armée se mobilise pour distribuer des médicaments ; les employés du gouvernement pulvérisent du désinfectant et nettoient les surfaces ; les infirmières transmettent les mesures d'hygiène à suivre ; des paniers de produits frais sont livrés à domicile et les pharmaciens distribuent des « remèdes » aux malades.
Ce ne sont là que quelques-unes des photos mises en scène que la République populaire démocratique de Corée veut que vous voyiez – toutes, bien sûr, soigneusement contrôlées et savamment orchestrées par le gouvernement de Kim Jong-un, la machine de propagande du régime s'emballant au même rythme que la crise de santé publique qui traverse la partie nord de la péninsule coréenne.
Alors que les images laissent transparaître une réponse robuste et efficace de la part du gouvernement, les rapports officiels et les statistiques provenant du pays brossent un tableau beaucoup plus sombre, échappant à tout contrôle.
Un employé de la Pyongyang Dental Hygiene Products Factory désinfecte une salle de restauration, lundi 16 mai. Photo : AP Photo/Cha Song Ho via AP Images
Des employés désinfectent l’entrée de la gare de Pyongyang, photo publiée par KCNA le 18 mai. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Mardi 17 mai, quelques jours après que Kim Jong-un a déclaré publiquement que le variant Omicron avait été détecté à l'intérieur des frontières nord-coréennes, le nombre total de citoyens souffrant de symptômes « fiévreux » a atteint 1 715 950. Plus d'un million d'entre eux se seraient rétablis, tandis qu'au moins 691 000 sont toujours sous traitement médical. Le nombre total de décès est officiellement de 62.
Kim a imputé l’épidémie à « l’immaturité », au « laxisme » et à une « attitude non-positive » des agents de l’État.
La Corée du Nord manque cruellement de ressources en matière d’infrastructures sanitaires et de capacités pour tester en masse sa population. Ce qui signifie que le gouvernement ne peut pas confirmer que tous ces cas sont des COVID et que le nombre réel d'infections et de décès dus au Coronavirus est indubitablement plus élevé.
Lors d'une réunion tenue le même jour par le Présidium du Bureau politique du Comité central du Parti des travailleurs de Corée, la plus haute instance décisionnelle du gouvernement, Kim a imputé l'épidémie à « l'immaturité », au « laxisme » et à une « attitude non-positive » des agents de l'État. Il a affirmé que ces « maux » et ces « faillites » ont entravé la réponse du pays aux premiers stades épidémiques, lorsque le temps était compté.
Kim Jong-un en visite dans une pharmacie de Pyongyang la semaine dernière. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Kim Jong-un lors d’une réunion du Comité central le 17 mai. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Plus tôt dans la semaine, le dirigeant nord-coréen a appelé à la mobilisation du personnel militaire de l'Armée populaire pour stabiliser l'approvisionnement de Pyongyang en médicaments et assurer la livraison de ce que les médias d'État appellent « l'élixir de vie ».
Il a également accusé le secteur de la santé publique de ne pas avoir « retroussé ses manches » et « correctement interprété les signes de la crise actuelle ».
Les infirmiers de l’armée mobilisés pour contrôler la propagation de l’épidémie le 16 mai. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Des officiers de l’armée répondent à l’appel de fournir des médicaments aux Nord-coréens dans le besoin. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Les experts ont averti que la situation en Corée du Nord pourrait se détériorer jusqu’à devenir une catastrophe à grande échelle.
Le pays est l'un des deux seuls, avec l'Érythrée, à ne pas avoir déployé de vaccins contre le COVID à destination de sa population ; l’état de ses hôpitaux en fait un des pires au monde en matière de santé publique. Ayant été l'un des premiers à fermer ses frontières commerciales au début de la pandémie, son économie est au bord de l’asphyxie. 
Les rues de Pyongyang pendant le confinement, le 17 mai. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Ryomyong street à Pyongyang, le 16 mai, quatre jours après la décision du gouvernement de réduire les déplacements pour endiguer la pandémie. Photo : AP Photo/Jon Chol Jin via AP Images
Même avant le COVID, en 2019, le pays faisait état d'importantes pénuries alimentaires en raison de mauvaises récoltes, tandis que l'aide humanitaire n'a cessé de baisser au cours de la dernière décennie.
Les facteurs de pauvreté, de malnutrition et d'une population qui n'a vraisemblablement que peu ou pas d'immunité contre le COVID-19 convergent pour créer ce qu'un expert a décrit comme une « tempête parfaite ».
« Les gens ne sont pas vaccinés, sont en mauvaise santé et le gouvernement ne semble pas avoir une approche responsable pour empêcher que cela empire », déclare Ethan Jewell, correspondant basé à Séoul pour NK News, qui fournit des informations et des analyses sur la Corée du Nord, à VICE.
« [Leur approche zéro COVID] pourrait déboucher sur une catastrophe humanitaire totale. »
Des produits frais sont livrés aux habitants confinés. Photo : AP Photo/Jon Chol Jin via AP Images
Des Nord-Coréens se font prendre leur température à Pyongyang. Photo : STR / KCNA VIA KNS / AFP via AFP
Jacob Lee, professeur et spécialiste des maladies infectieuses à l’Hallym University Kangnam Sacred Heart Hospital en Corée du Sud, a un diagnostic encore plus pessimiste.
« Aucun Nord-Coréen n'est vacciné et bien nourri », a-t-il confié à VICE. « Cela devrait donc entraîner une mort massive de la population. »
« Les médias d’État nord-coréens n’ont encore dévoilé aucun type de traitement, aucune image de citoyen en train d’être soigné ou de personne dans un lit d’hôpital » – Colin Zwirko
Les quelques photographies de l'intérieur de la Corée du Nord qui ont fait surface sur Internet au cours des six derniers jours montrent à l’inverse une population organisée et docile qui mène sa vie de manière calme et ordonnée.
Chacune de ces images a été capturée par des journalistes travaillant pour les médias d'État nord-coréens et, ensemble, elles constituent le récit sélectif que le gouvernement a décidé de montrer au monde. Colin Zwirko, correspondant chez NK News, a assuré à VICE que des photos comme celles-ci sont « à 100 % » contrôlées par le régime de Kim.
Des employées d’une usine de maille à Pyongyang, le 18 mai. Photo : AP Photo/Cha Song Ho via AP Images
Elles ne saisissent en aucun cas l’entière réalité de la situation sur le terrain. Alors même que les cas d'infection montent en flèche et que des centaines de milliers de personnes sont placées sous traitement médical d'urgence, certains détails sont manifestement absents de la couverture locale.
« Les médias d'État nord-coréens n’ont encore dévoilé aucun type de traitement, aucune image de citoyen en train d’être soigné ou de personne dans un lit d'hôpital – ils ne montrent rien de tel », a souligné Zwirko. « Ce qu'ils mettent en avant, ce sont des entretiens avec des gens à domicile, racontant qu’ils ont été malades quelques jours mais ils se sont très bien rétablis, et beaucoup d'annonces d'intérêt public, de propagande [et] de vidéos animées minimisant en quelque sorte la gravité d'Omicron. »
Des employés du Medicament Management Office à Pyongyang fournissent des médicaments aux habitants. Photo : AP Photo/Jon Chol Jin, via AP Images
Le correspondant ajoute que la couverture contraste fortement avec la façon dont les médias du monde entier ont couvert les épidémies de COVID au cours des deux dernières années et demie, où les plans de charniers et de lits d'hôpitaux et d'autres scènes « terrifiantes » sont monnaie courante.
« En ce moment, le régime envoie toutes les preuves d'un verrouillage. Il essaie de rassurer les Nord-Coréens en diffusant de nombreuses vidéos d'interviews et d’articles imprimés sur la façon dont vous pouvez vous isoler en quarantaine et récupérer », conclut-il. « Mais je ne m'attendrais certainement pas à ce qu'ils montrent la souffrance humaine à aucun moment, même s'il y en avait. »
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