Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous, signe pour carenews.com une rubrique mensuelle. À travers des chroniques étudiant quelques cas d’études de mécénat culturel, Bernard Hasquenoph retrace l’historique des relations entre de grandes marques, souvent du luxe, et les institutions culturelles françaises. Croisant les problématiques de la philanthropie, du marketing, de l’image, du financement, du parrainage… ses récits sont au coeur d’une spécificité bien française, celle du mécénat culturel traditionnel, devenu nécessaire et omniprésent, parfois sans le dire, dans les musées, établissements publics, opéras, théâtres… Aujourd’hui, la Monnaie de Paris, la plus ancienne des institutions françaises, recourt au mécénat pour assurer ses missions de restauration de son lieu historique Quai Conti et la mise en valeur de son patrimoine culturel.
Le langage est plus cash que dans toute autre institution française. Si la Monnaie de Paris recherche du mécénat, c’est « pour accroître les fonds propres de l’entreprise » (sic) et pour « associer son image à de grandes marques », lit-on dans son dernier rapport de gestion. Il faut dire que le magnifique hôtel néoclassique qui l’abrite au 11 quai de Conti n’est rien d’autre qu’une usine mais du 18e siècle, classée monument historique. Construite en 1775 pour y frapper monnaies au nom du roi, 250 ans plus tard, elle est toujours en fonction, cas rare dans la capitale (1). À Paris, la fabrication de médailles et monnaies de collection par des artisans du métal ; à Pessac depuis 1973, près de Bordeaux, la production industrielle de monnaies courantes dans un bâtiment fortifié pour raison de sécurité. En sortent chaque année des millions d’euros. Monopole d’État, c’est la mission première mais peu rentable de l’institution muée, depuis 2007, en établissement public industriel et commercial (ÉPIC) sous tutelle du ministère de l’Économie. Pour accroître ses revenus, la Monnaie prospecte à l’international afin de produire des pièces étrangères : d’Arabie Saoudite, de Thaïlande ou de pays d’Afrique… « Notre difficulté est de faire comprendre que si l’on fabrique l’argent, on ne roule pas sur l’or », explique Chloë Joubert, responsable du mécénat et des partenariats. « Nous sommes une institution publique qui ne vit que sur ses fonds propres », insiste-t-elle. Mécénat et privatisation se concentrent sur son site historique parisien, vitrine de l’établissement qui a bien failli en être dessaisi pour une délocalisation complète à Pessac. Son changement de statut l’en a protégé. En retour, mission lui a été donné de le « mettre en valeur » et de l’ouvrir « sur la ville », au-delà de son vieux musée qui, juste rénové, sera fermé en 2010 afin de lancer les travaux de l’ambitieux projet MétaLmorphoses, visant à faire « découvrir ses patrimoines, ses savoir-faire et ses trésors de pierre, d’or et d’argent au plus grand nombre »(2). La mue enfin quasi achevée pour 75 millions d’euros (contre 49 au départ), un « parcours expérientiel » s’offre au visiteur à travers un ensemble architectural remarquable librement accessible en journée, une offre gastronomique haut de gamme (Guy Savoy), une boutique relookée, des expositions d’art contemporain pour « capter un public nouveau » et enfin, rouvert fin 2017 totalement rénové, le musée rebaptisé hermétiquement « musée du 11 Conti » mais rendu attractif par des dispositifs interactifs et vue sur les ateliers en action. Si la recherche de mécénat n’a pas concerné les gros travaux, regrette Chloë Joubert du fait de la création tardive de son poste en 2012, plus de 2 millions d’euros, selon nos sources, auront été récoltés (avec ou sans la manne des bâches publicitaires, secret défense) : nouvel Atelier Central d’Outillage (Crédit Agricole Île-de-France), éclairage des espaces d’exposition (Philips) et modélisation 3D de la nouvelle Monnaie utile à sa promotion (Dassault Systèmes). Le musée a reçu pour sa part le soutien de l’entreprise sud-coréenne Poongsan qui fournit l’institution en métal, et compte sur le mécénat pour enrichir ses collections. De même pour les expositions d’art contemporain afin de produire une sculpture géante à installer dans la cour d’Honneur. Reste à financer la création d’un jardin autour duquel devait s’installer un concept store de luxe (a priori abandonné) à la place d’un hangar à sheds pas jugé digne d’être conservé. Un démontage financé par la maison de joaillerie Boucheron qui, en retour, disposa des lieux pour sa publi-exposition Vendôrama. La contrepartie la plus originale proposée par la Monnaie de Paris à ses mécènes reste la frappe de médailles personnalisées à distribuer autour de soi. Les projets à mécéner ne manquent pas : restauration à venir d’un joyau caché au coeur de la Monnaie, le petit Hôtel de Conti, première réalisation connue du jeune Jules Hardouin-Mansart au 17e siècle et celle d’une chapelle redécouverte – cachée en partie par les bureaux des syndicats, ça ne s’invente pas – que l’on pourra soutenir via un ticket mécène. L’institution en est à sa troisième opération de crowfunding depuis 2016. Conçues comme un outil d’appropriation du lieu par le public, elles visent jusque là modestement les 15 000 euros, les atteignant avec succès en quelques mois : installation de ruches sur les toits, restauration de la statue de la Fortune, fabrication de bancs gravés à son nom par les élèves de l’école Boulle. C’est un prétexte, aussi, pour s’ancrer dans le quartier en démarchant sociétés et commerces avoisinants. Enfin, la particularité de la Monnaie de Paris est, par son statut d’Épic, de pouvoir pratiquer le mécénat entrant – ici décrit – comme sortant. Ainsi prend-elle en charge la création de trophées de cinéma – comme au Festival du film de Cabourg -, manière de faire connaître la fonderie d’art.
(1) La Monnaie de Paris revendique d’être « la dernière usine en activité dans Paris ». Il existe aussi l’usine Exacompta-Clairefontaine, quai de Jemmapes. (2) Sans précision de sources, les citations proviennent de documents officiels de la Monnaie de Paris.
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