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La Pologne jouerait-elle, l’accélérateur involontaire de l’amplification des crises politiques, économiques, sociales qui travaillent l’Union depuis plus d’une décennie ? L’entente de façade du fameux plan européen de relance, encore très largement dans les limbes, peine à cacher ce qu’est l’Union européenne aujourd’hui : une somme de désaccords et d’inquiétantes divergences économiques.
Pour résumer rapidement le litige à l’œuvre, il est possible d’affirmer que la Pologne multiplie les atteintes à l’État de droit, et que par une décision récente de son tribunal constitutionnel, elle a contesté la hiérarchie des normes de l’Union qui veut que le droit de cette dernière prime sur le droit national.
De ce fait et selon certains, la lutte opposerait plus que jamais une Union européenne scrupuleuse de défendre la justice et face à elle un État qui serait devenu un « État voyou » pour le dire avec la terminologie de George Bush junior. Encore une fois, le débat impossible s’installe en Europe et la logique binaire l’emporte entre un supposé souverainisme identitaire face à la logique démocratique défendue par l’Union.
L’affaire polonaise mérite d’être regardée sous un autre angle que celui-ci afin d’interroger profondément l’une des contradictions majeures de l’Union européenne. Elle veut défendre l’État de droit et en fait le pilier de l’adhésion d’un État à l’Union européenne. Plus encore, lors des négociations pour le plan de relance européen, le respect de l’État de droit fut au cœur des négociations pour faire de son respect une condition de l’octroi des fonds. Sans l’intervention de l’Allemagne pour ménager à la fois les positions européennes et celles de la Hongrie et de la Pologne, l’avenir du plan aurait été largement compromis.
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Mais cette défense de l’État de droit s’accompagne depuis plus d’une décennie pour ne prendre que cet horizon de temps comme référence, par des atteintes à la démocratie et par une dépossession du pouvoir de décider et de contrôle des citoyens de leur avenir. L’arme financière et économique est devenue un outil utilisé avec plus ou moins d’intensité pour modifier les politiques économiques décidées par les États nationaux ou encore agir dans la formation des gouvernements. L’affaire polonaise l’illustre, puisque désormais la Pologne est mise sous astreinte pour non-respect du droit européen et plus encore, les fonds destinés à cet État dans le cadre du plan européen de relance sont désormais suspendus.
La Pologne n’étant pas membre de la zone euro, la Banque centrale européenne ne peut se livrer à une opération de police comme elle le fit contre le printemps grec en 2015, en limitant son accès aux liquidités que par le canal d’urgence. Tout comme elle l’entreprit en 2011 face au gouvernement de Silvio Berlusconi en laissant la dette italienne dans la tourmente de la spéculation jusqu’à l’arrivée de Mario Monti.
Que l’on pense aussi à l’élection d’Alexis Tsipras qui avait été accueillie par la surprenante sortie de l’ancien président de la Commission européenne : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
On voit bien que l’UE, qui se veut le parangon de l’État de droit, exige son respect de la part des nations européennes pour obtenir soit une adhésion, soit l’obtention de fonds dans le cadre de son plan de relance. Mais dans le même temps elle n’hésite pas à vider la démocratie de l’intérieur ou en rend l’exercice compliqué.
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Il faut se souvenir combien dans les pays du sud dans les années 2011 et suivantes, il a été difficile de former des majorités, car les choix des citoyens risquaient d’être incompatibles avec les règles européennes. Que l’on se souvienne de la difficile accession du bloc des gauches au Portugal, du fonctionnement récent de la démocratie espagnole engluée dans les questions européennes, ou encore des nouveaux rôles des présidents italiens comme Napolitano ou Matarella, grands ordonnateurs de gouvernements européistes à l’exception de celui du premier gouvernement Conte. Ces gouvernements dits techniques en Italie comme ceux de Monti ou Mario Draghi ont engagé une série de réformes qui ont modifié en profondeur le marché du travail, la protection sociale sans aucune légitimité. L’Union européenne remplissant plus que jamais sa fonction première, à savoir la mise en œuvre d’une discipline de marché qui joue contre la démocratie plus que jamais.
La récente crise dite des dettes souveraines et celle du Covid ont renforcé ce que le politiste Guillaume Sacriste a fort justement appelé un « gouvernement hors les murs » composé des représentants des Trésors et des administrations financières des différents États membres de l’Euroland. S’y ajoute le poids d’une Banque centrale européenne à laquelle les États remettent leur droit de battre monnaie et à qui les traités fixent comme seule obligation de lutter contre l’inflation.
De sorte que l’appareil européen ainsi constitué, complété des différents traités de discipline budgétaire permet, comme l’a montré la crise des dettes souveraines, de mettre des États membres sous surveillance permanente, et éventuellement, comme l’ont montré les cas de Chypre et de la Grèce, de les asphyxier financièrement, afin d’empêcher tout pouvoir issu d’une alternance démocratique de s’émanciper de l’obligation de réduire sa dépense publique, de ramener ses services publics dans le secteur concurrentiel, de renoncer à tout moyen de contrainte du marché.
Le plan de relance européen a amplifié ce mouvement de dépossession, car désormais les plans nationaux qui doivent être approuvés par l’Union européenne pour obtenir les fonds de ce dispositif sont largement confiés à des organes financiers dépendants de la Commission européenne. La possibilité pour les citoyens de se prononcer sur leur contenu à travers un débat parlementaire national ou mieux d’un débat national est inexistante.
En Italie, le gouvernement de Mario Draghi a été nommé pour assurer la mise en œuvre des attentes de l’UE sans la moindre légitimité et remettant en cause des mesures sociales du premier gouvernement Conte en matière de retraites par exemple.
Alors que vaut la défense scrupuleuse de l’État de droit lorsque l’Union européenne se veut l’auxiliaire zélé de la grande dépossession des citoyens ? Il n’est donc pas surprenant que le nouveau terrain de la contestation devienne le droit en ce qu’il exprime l’un des centres de la souveraineté à savoir décider par soi-même et pour soi-même. Plus encore, l’économie et le droit sont les moteurs de la construction européenne et ce au détriment du politique. Là encore un nouveau paradoxe surgit, car si la construction européenne s’est voulue politique, elle s’est dans les faits organisée contre le politique. Il s’est agi de le museler car il était assimilé au nationalisme et à la guerre.
Le droit européen a eu pour fonction de le contrôler, de le limiter et en matière économique de faire des libertés économiques des libertés à défendre plus importantes que les droits sociaux. La concurrence libre et non faussée est devenue la matrice juridique centrale. Alors désormais face à un politique atone, à un exercice démocratique réduit à peau de chagrin, la reconquête de la souveraineté prend le chemin du droit et s’affirme sous forme inquiétante et identitaire. Il s’agit plus urgemment de rétablir une souveraineté politique et sociale.
L’action du gouvernement polonais exprime à notre sens la poursuite de la décomposition d’un ensemble juridique, politique et économique, l’Union européenne qui n’a plus vraiment de direction et qui est devenue une succursale inquiétante de la mondialisation.
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Par Frédéric Farah
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne