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Il n’y a pas si longtemps, le Japon était la star de la croissance économique. Quels enseignements le Québec peut-il tirer de son déclin ?
Blogue EconomieSi vous avez 50 ans ou plus et une bonne mémoire, vous vous rappellerez qu’il n’y a pas si longtemps le Japon était la star de la croissance économique. Tel qu’indiqué sur le graphique 1, de 1956 à 1973 l’économie japonaise progressait en moyenne de 9,5 % par année (inflation déduite). Contrairement à ce que la plupart des gens croient, il n’y a rien de nouveau dans les taux de croissance annuels de 8 % à 10 % que la Chine a enregistrés depuis 30 ans. C’est arrivé au Japon dans les décennies 1950 et 1960, et aussi en Corée du Sud dans les décennies 1960, 1970 et 1980. Des taux de croissance initialement élevés sont plus ou moins ce qui fait qu’un pays est «émergent».
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En continuant sur la trajectoire du graphique 1, on constate que, par la suite, l’économie japonaise a modéré ses transports. De 1973 à 1991, le PIB japonais s’est accru non plus de 9,5 % par année comme dans les années antérieures, mais deux fois moins vite, soit de 4,1 % par année.
Néanmoins, à l’époque, ce rythme annuel de 4,1 % était encore supérieur à celui de la croissance américaine, qui tournait autour de 3 %. La «bataille de la croissance» entre le pays du Soleil-Levant et l’Amérique du Nord fut l’un des thèmes les plus répandus de la littérature populaire de l’époque. Les Américains se désespéraient de voir leur économie prise de vitesse par les Japonais.
Les décennies 1970 et 1980 furent cependant les dernières où les Japonais ont fait figure de «maîtres de l’univers». Comme l’indique la dernière partie de la trajectoire du graphique 1, à partir de 1991 la croissance japonaise s’est plus ou moins effondrée. De 1991 à aujourd’hui, l’économie a continué à croître, mais à un rythme digne de la fameuse tortue de la fable de La Fontaine : 0,8 % par année. Une croissance de misère cinq fois plus lente que les 4,1 % de 1973 à 1991, et trois fois plus lente que la moyenne de 2,6 % affichée par les États-Unis depuis 1991.
On entend maintenant répéter que «le Japon a perdu deux décennies de croissance». Dans la presse populaire américaine, les cris de «maman, les Japonais vont nous coiffer» ont été remplacés par des «yé, je vous l’avais bien dit, le modèle japonais ne marche pas.»
Il faut évidemment dépasser ce genre de réaction chauvine et puérile. L’économie du Japon est la deuxième en importance parmi les économies avancées. Les causes et les conséquences de son ralentissement des deux dernières décennies méritent d’être analysées avec un peu plus d’objectivité et de subtilité. Il se peut même qu’on puisse en tirer des enseignements utiles pour les autres économies avancées – y compris la nôtre – et pour les économies émergentes.
C’est ce que je vais essayer de faire dans la suite de ce billet. Pour résumer d’avance mon propos, j’identifie trois grandes causes du ralentissement qu’a subi l’économie japonaise depuis 25 ans :
1) la fin du rattrapage économique amorcé après la Seconde Guerre mondiale et complété dans les décennies 1950 à 1980,
2) l’effondrement démographique rapide et soudain de la population d’âge actif à partir des années 1990,
3) la chute dramatique de l’investissement dans un effort d’adaptation à cet environnement économique et démographique rétréci.
La fin du rattrapage
Le graphique 1 parle de lui-même. Un simple coup d’œil sur l’évolution qu’il trace du PIB japonais ne laisse aucune équivoque sur le comportement historique de l’économie japonaise depuis 60 ans. Après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ont entrepris un effort tous azimuts de rattrapage de l’Occident. Le graphique permet de supposer que le rattrapage a été complété et la convergence, enfin réussie, à la fin de la décennie 1980.
Comme on peut constater, le rattrapage ne s’est pas effectué toujours au même rythme, en ligne droite. Sa trajectoire s’est infléchie en cours de route. Au départ, dans les décennies 1950 et 1960, l’élan de croissance a été fulgurant. Il s’est ensuite poursuivi à une vitesse plus modérée dans les décennies 1970 et 1980. Puis il s’est calmé pour de bon dans les années 1990 et 2000.
C’est le gros bon sens. Quand on est loin en arrière, on n’a qu’à imiter ceux qui sont en avant. C’est relativement facile et on peut aller très vite. On envoie ses enfants à l’école, on absorbe les technologies existantes, on développe ses infrastructures, on organise le travail, on bâtit son industrie et sa finance, on se frotte à la concurrence internationale. Mais plus on s’approche de la tête, plus les occasions de faire de grands bonds en avant sont rares. On continue de rattraper, mais ça va moins vite. Enfin, lorsqu’on a rejoint la tête, on fait soi-même partie des leaders qui ne peuvent croître que s’ils réussissent à innover et à repousser les frontières du développement. C’est plus difficile, donc encore plus lent.
L’évolution de l’économie du Japon depuis 60 ans contient un enseignement clair pour les pays émergents qui sont en croissance rapide, telles la Corée du Sud et la Chine. Comme le Japon autrefois, ces pays traversent présentement une période de rattrapage économique accéléré. On observe des taux de croissance annuels du PIB de 4 % ou 5 % en Corée (plus avancée) et de 7 % à 9 % en Chine (moins avancée), alors que la norme se situe autour de 2,0 à 2,5 % dans les pays leaders de l’Amérique du Nord et de l’Europe – quand ça va bien. Un ralentissement progressif de la croissance, analogue à ce qu’a connu le Japon dans les décennies passées, apparaît inévitable dans les années futures en Corée et en Chine.
Le retournement démographique
Le graphique 1 soulève toutefois une anomalie. Dans la dernière phase de la trajectoire, soit celle qui s’étend de 1991 à 2014, le PIB du Japon a crû en moyenne de 0,8 % par année seulement. Comme j’ai observé plus haut, c’est trois fois moins vite que le PIB des États-Unis, qui a progressé au taux annuel de 2,6 % au cours de cette période. Est-ce que cela veut dire qu’après avoir rattrapé le leader américain autour de 1990, le Japon aurait commencé à emprunter le chemin inverse et à perdre le terrain gagné sur les États-Unis dans les décennies antérieures ?
Pas nécessairement. La croissance totale du PIB est un hybride qui reflète non seulement la performance économique proprement dite, mais aussi l’évolution de la démographie. Car l’une des sources d’augmentation du PIB d’un pays est la croissance de sa population d’âge actif, soit principalement de celle qui est âgée de 15 à 64 ans. Plus nombreux, on peut produire plus de richesse. Moins nombreux, on en produit moins.
C’est ce dernier problème qui afflige le Japon depuis 20 ans. Sa population de 15 à 64 ans s’est mise à diminuer, et ce retournement démographique a plombé sa croissance. Le graphique 2 montre qu’après avoir augmenté de 9 millions de personnes de 1980 à 1995, le nombre de Japonais de cette grande catégorie d’âge, à l’inverse, a diminué de 9,5 millions de 1995 à 2014. Selon les projections démographiques présentement disponibles, le pays devrait continuer à perdre quelque 7 millions de personnes de 15 à 64 ans par décennie au moins jusqu’en 2050.
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Aux États-Unis, pendant ce temps, la population de 15 à 64 ans s’est agrandie de 45 millions de personnes. Le graphique 3 illustre la conséquence de cette évolution divergente de la démographie dans les deux pays. Il trace l’évolution du PIB de 1991 à 2014, une fois qu’on a fait abstraction de l’influence de la démographie, négative au Japon et positive aux États-Unis. Le PIB ainsi «nettoyé» de la démographie est le PIB par habitant de 15 à 64 ans de chaque pays. C’est sa trajectoire que trace le graphique 3. Cette mesure permet de capter uniquement la capacité des personnes de cette catégorie d’âge à créer la richesse, indépendamment de leur nombre.
Le graphique montre que la baisse dramatique de la population de 15 à 64 ans du Japon a coupé les jambes de son PIB de 1991 à 2014. Sans cette perte, le PIB se serait accru annuellement de 1,3 % plutôt que de 0,8 %. Exactement le contraire s’est produit aux États-Unis. Sans l’ajout de dizaines de millions de personnes de 15 à 64 ans, le PIB américain aurait progressé annuellement de 1,5 % au lieu de 2,6 %.
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La croissance plus lente du PIB japonais que du PIB américain pendant cette période de 23 ans résulte donc principalement des tendances divergentes de la démographie dans les deux pays. Globalement, l’écart de croissance annuelle moyen entre les deux PIB est de 1,8 unité (= 2,6 – 0,8) si on inclut l’impact de la démographie, mais il n’est plus que de 0,2 unité (= 1,5 – 1,3) entre les deux PIB par habitant de 15 à 64 ans, si on retranche l’effet de la démographie.
La chute de l’investissement
Malgré tout, il faut reconnaître que, même en faisant abstraction de l’influence de la démographie, la croissance japonaise a été bien lente de 1991 à 2014.
À quoi peut-on attribuer cette lenteur excessive ?
Plusieurs facteurs passagers ont pu jouer comme, par exemple, la réduction de la semaine normale de travail de 44 heures à 40 heures au Japon au début de la décennie 1990. Mais le facteur le plus important qui a freiné la croissance japonaise est la chute de l’investissement. On le constate immédiatement à l’examen du graphique 4, qui trace l’évolution de l’investissement total en pourcentage du PIB au Japon de 1983 à 2013.
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On voit d’abord qu’au milieu des années 1980 l’investissement japonais équivalait à 28 % du PIB. Puis, tout à coup, dans la seconde moitié de cette décennie, il a connu un élan remarquable, atteignant un sommet de 32 % du PIB en 1991. Depuis cette date, cependant, le poids de l’investissement dans l’économie a presque continuellement diminué. Cumulativement, il a perdu 10 unités de pourcentage, pour se retrouver à 22 % du PIB en 2013. En comparaison, le ratio investissement/PIB de 2013 était de 19 % aux États-Unis et en Ontario et de 21 % au Québec.
Comment expliquer l’élan de l’investissement au Japon de 1986 à 1991, puis son effondrement de 1991 à aujourd’hui ?
Il faut se rappeler que l’investissement remplit deux fonctions : 1) maintenir le stock d’équipement existant en réparant ou en remplaçant ses éléments usés ou dépréciés, et 2) lui ajouter de nouveaux éléments afin de lui permettre de répondre adéquatement à la croissance prévue de la production de biens et de services. En vertu de cette dernière fonction, le poids de l’investissement dans l’économie d’un pays est étroitement lié aux prévisions que ses entreprises et ses administrations publiques font de la croissance à venir de son PIB. Cela donne la clé de l’explication.
Au courant de la décennie 1980, les marchés immobilier et boursier se sont emballés au Japon. Ils ont été emportés par d’importantes bulles spéculatives. (Pour une analyse des causes de ces bulles, on se reprendra une autre fois !) Le graphique 5 ci-dessous rend compte de ces dérapages financiers. On y constate qu’à la fin de la décennie, les indices des prix des actions boursières et des terrains en sol urbain ont atteint de 3,5 à 4 fois leurs niveaux de 1983. Cette euphorie immobilière et boursière s’est accompagnée d’une accélération de la croissance. Le PIB a progressé à un rythme annuel supérieur à 5 %.
L’investissement a répondu à cette euphorie comme il fallait s’y attendre. On s’est mis à croire que la croissance se poursuivrait de façon très rentable à ce rythme accéléré. On s’est dépêché d’agrandir le stock d’équipement pour être capable de produire un volume de biens et de services qu’on croyait devoir augmenter plus rapidement. L’investissement a alors grimpé de 8 % par année, de sorte que le rapport investissement/PIB a été porté à 32 % en 1991.
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Mais ces attentes ont été déçues. Après 1991, l’investissement a dégringolé presque sans arrêt pendant 20 ans parce que les perspectives de croissance se sont assombries et qu’il n’y avait plus lieu d’ajouter autant chaque année au parc d’équipement. Trois facteurs ont surtout joué :
1) Comme toutes les bulles spéculatives, celles du graphique 5, qui ont frappé le Japon à la fin des années 1980, ont fini par crever. Les attentes au sujet de la croissance et, par conséquent, la propension à investir se sont calmées à mesure que la bourse et l’immobilier ont retrouvé le plancher de la rentabilité normale.
2) En même temps, le Japon venait de compléter son rattrapage des économies occidentales. Son potentiel économique devait inévitablement commencer à épouser la norme de croissance plus modeste de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
3) Enfin, à mesure que la décennie 1990 avançait, la croissance japonaise a dû accuser le coup du déclin démographique. Le nombre de Japonais dans les âges actifs baissait, de sorte que la production nationale augmentait moins vite et que les additions requises au parc d’équipement devenaient moins importantes.
Bien d’autres événements singuliers ont marqué la saga japonaise depuis 1991 : les taux d’intérêt ont été maintenus au plancher ; les réformes nécessaires du secteur financier ont pris du temps ; la dette publique s’est emballée ; le chômage a augmenté ; les prix à la consommation ont baissé plus souvent qu’autrement – la déflation a été endémique.
Ces années ont été très éprouvantes pour le Japon. La consommation privée, les dépenses courantes du gouvernement et les exportations ne se sont pas trop mal comportées. Mais la chute de l’investissement a, comme on dit, emporté le paquet. Elle a ralenti l’économie à la suite de l’éclatement des bulles immobilière et boursière, de la fin du rattrapage économique et du retournement démographique.
On ne peut douter que le Japon ait atteint la frontière technologique mondiale depuis une vingtaine d’années. Il est, de plus, fort probable que le poids de l’investissement dans son PIB soit maintenant à peu près stabilisé. Le repli de sa population de 15 à 64 ans va se poursuivre encore longtemps, mais en temps normal la croissance de son PIB par habitant de 15 à 64 ans ne devrait pas être trop différente de celle des autres pays avancés.
Le graphique 3 donne, en tout cas, l’impression qu’un tel retour à la normale a commencé à se matérialiser. On peut en effet y constater que, par habitant de 15 à 64 ans, la croissance du PIB japonais a été nettement plus rapide de 2000 à 2014 que de 1991 à 2000, au point de dépasser la croissance américaine (qui a elle-même connu de sérieux problèmes) dans cette dernière période. La «politique des trois flèches» – monétaire, budgétaire et structurelle – du présent gouvernement Abe, dont il est abondamment question dans la presse économique et qui est souvent désignée par le vocable Abenomics, n’a pas d’autre objectif que de consolider cette tendance.
Quels enseignements pour nous ?
Comprendre la croissance japonaise des deux dernières décennies est important non seulement du pur point de vue scientifique, mais aussi pour deux autres raisons. La première est que la réputation du Japon a énormément souffert du sort qu’a subi son économie depuis un quart de siècle. Le pays fait souvent l’objet de rapports tout aussi biaisés que méprisants dans la presse économique nord-américaine. Pour rétablir la réputation économique du Japon, il faut d’abord reconnaître les faits et chercher à comprendre avant de juger, plutôt que l’inverse.
La seconde raison est que l’histoire économique et démographique contemporaine du Japon contient des enseignements utiles pour notre économie locale – celle du Québec –, qui s’engage présentement dans une transition démographique analogue à celle que le Japon connaît depuis le début des années 1990, quoique de moindre intensité.
Retenons surtout deux enseignements.
Le premier est que la performance économique véritable d’un pays ou d’une province doit être jugée à partir de la croissance de son PIB par habitant de 15 à 64 ans et non pas de celle de son PIB total.
Rien dans ce qui précède ne vise à nier que la croissance du PIB total a été plus lente au Japon qu’aux États-Unis depuis 1991. Le gâteau économique total s’est bel et bien agrandi moins vite au Japon qu’aux États-Unis : 0,8 % par année au Japon, 2,6 % aux États-Unis. Ce que le graphique 3 a permis de démontrer plutôt, c’est que la performance économique que le Japon a réalisée avec les ressources humaines dont il a disposé dans les âges actifs de 15 à 64 ans a été à peine moins bonne que celle des États-Unis : 1,3 % de croissance annuelle du PIB par habitant de 15 à 64 ans au Japon contre 1,5 % aux États-Unis. Si la croissance du PIB total du Japon a marqué le pas, c’est d’abord et avant tout à cause de la baisse de sa population de 15 à 64 ans.
Ce que la comparaison entre le Japon et les États-Unis nous enseigne est parfaitement applicable chez nous à la comparaison entre le Québec et l’Ontario. Si on observe la croissance du PIB total, qui inclut l’impact de la démographie, on ne peut que reconnaître que le Québec tire de l’arrière sur son voisin. Depuis 15 ans, par exemple, le PIB a crû en moyenne de 1,8 % par année au Québec et de 2,0 % en Ontario.
Mais si on retranche l’effet pur de la démographie et qu’on se concentre sur la croissance du PIB par habitant de 15 à 64 ans, le résultat s’inverse. Le graphique 6 montre que, depuis 1999, cet indicateur de performance économique a crû en moyenne de 1,2 % par année au Québec et de 0,7 % en Ontario. Indépendamment de leur nombre, la capacité des 15 à 64 ans à créer la richesse (et à faire ainsi augmenter le niveau de vie) a progressé plus rapidement – ou, si l’on veut, moins lentement – au Québec depuis le tournant des années 2000.
Rares sont les médias qui tiennent compte de l’impact de la démographie sur la croissance économique. Cela entraîne une erreur d’interprétation sérieuse et continuelle dans l’opinion publique sur la performance économique véritable du Québec, tout comme sur celle du Japon. Le fait que l’économie québécoise croisse moins rapidement que l’économie ontarienne est indéniable. Elle est très désavantageuse au moment même où des ressources accrues doivent être consacrées au bien-être de nos très nombreux aînés.
Mais également indéniable est le fait que, depuis 15 ans, nos travailleurs et nos entreprises ont mieux performé que les travailleurs et les entreprises ontariens. C’est juste que leur nombre a augmenté moins vite. (Cette bonne performance comparative du Québec n’a cependant rien d’automatique ou d’assuré pour l’avenir. On verra.)
Le second enseignement utile que nous pouvons tirer de l’histoire économique et démographique contemporaine du Japon est que le repli de la population de 15 à 64 ans au Québec dans les années futures va agir comme un frein sur la croissance de l’emploi et de l’investissement.
L’emploi, d’abord. Son évolution a deux sources : 1) celle de la population de 15 à 64 ans et 2) celle du taux d’emploi, c’est-à-dire du pourcentage de cette population qui occupe un emploi. Depuis le milieu des années 1990, au Japon, la population de 15 à 64 ans diminue à un rythme tellement rapide que l’emploi total du pays tend à reculer, même si le pourcentage des 15 à 64 ans détenant un emploi – le taux d’emploi – a continué à augmenter. Il y avait 65 millions de Japonais au travail en 1995 ; il n’y en avait plus que 63 millions en 2014.
Au Québec, il faut s’attendre à une augmentation du nombre de personnes employées dans les années à venir, parce que la décroissance de la population de 15 à 64 ans sera loin d’être aussi prononcée qu’au Japon et que le pourcentage de cette catégorie d’âge (et des 65 ans ou plus) qui occupera un emploi – le taux d’emploi – va, selon toute probabilité, continuer à augmenter assez vite pour que l’effet net sur l’emploi total soit positif.
De 2003 à 2008, il s’est créé au total 260 000 emplois au Québec, dans un contexte où la population source des 15 à 64 ans augmentait de 40 000 personnes par année. Mais, de 2013 à 2018, comme cette population va probablement diminuer de quelques milliers de personnes par année (selon le nouveau scénario de référence de l’Institut de la statistique du Québec), nous serons chanceux si la création d’emploi dépasse les 100 000 postes pour l’ensemble des cinq années. Un net ralentissement de la création d’emploi au Québec est inévitable.
L’investissement, ensuite. Au Japon, l’éclatement des bulles spéculatives, la fin du rattrapage et le retournement démographique ont considérablement assombri les perspectives de croissance du PIB dans les années 1990 et 2000. Les additions annuelles nécessaires au parc d’équipement productif, qui constituent une bonne part de l’investissement du pays, ont par conséquent été beaucoup plus faibles depuis 20 ans. On a observé au graphique 4 que la part du revenu national consacrée à l’investissement a ainsi plongé de 10 unités de pourcentage, soit de 32 % en 1991 à 22 % en 2014.
Au Québec, ce qui affaiblit nos perspectives de croissance, c’est essentiellement la baisse de la population de 15 à 64 ans qui s’amorce. Elle a pour conséquence que la croissance «normale» du PIB, qui a été de près de 2 % par année depuis 25 ans, aura de la difficulté à excéder 1,5 % dans l’avenir.
Cet affaiblissement va nuire à l’investissement au Québec. On sera loin de la dégringolade observée au Japon, où la baisse de la population est beaucoup plus marquée que chez nous dans les âges actifs, mais l’investissement, tout comme la création d’emploi, devra néanmoins ramer contre les vents contraires de la démographie.
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M Fortin je vous lis et ça me fâche. On dirait que vous faites tout pour dissimuler l’impact négatif de l’étatisme délirant du Québec et tout pour induire le lecteur en erreur afin qu’il adhère à vos théories.
Notamment, prétendre que le Québec est aussi, voir plus performant que l’Ontario en exhibant le PIB par habitant est un leurre. La croissance beaucoup plus forte de la population en l’Ontario fait évidemment baisser la moyenne de croissance par habitant. Normal que les nouveaux arrivants généralement plus pauvres fassent baisser la moyenne par habitant, mais s’ils arrivent justement c’est parce l’Ontario est plus attirante parce que l’économie y est plus performante. Les gens votent avec leurs pieds M Fortin et vous interprétez ce vote comme une faiblesse.
Et encore, sachant que la croissance au Québec repose (à ce jour…) plus sur l’endettement insoutenable de l’état on est en droit de se demander ce que valent réellement ces chiffres…
La même chose pour le Japon, si c’est la croissance par habitant qui compte et si celle-ci ne souffrait pas trop la comparaison avec les USA alors comment expliquez-vous que la dette du Japon ait atteint le niveau catastrophique que l’on connait?
Faux. Ce sont tous les parrainages en Ontario qui font croitre son immigration. C’est pas du tout sa performance économique
M. Brasseur.
1 Parler d’« étatisme délirant » au Québec est une affirmation exagérée et purement idéologique. Les Québécois paient 37 % de leur revenu en impôts et taxes, contre 44 % en France et 31 % dans l’ensemble du Canada. Le Québec est donc au point milieu entre les deux. Cela ne veut pas dire que l’État provincial ne doit pas être aminci, comme le désire le gouvernement provincial actuel. J’ai moi-même déjà écrit une chronique dans L’actualité (mars 2012) qui affirme très fort que « l’État en fait trop » au Québec. Vous avez entièrement tort à la fois de prétendre que la situation est « délirante » et de m’accuser de « dissimuler » les problèmes qu’engendre la taille de l’État au Québec.
2 Vous avez tort également d’affirmer que « la croissance beaucoup plus forte de la population en l’Ontario fait évidemment baisser la moyenne de croissance par habitant. » Le PIB par habitant, c’est le PIB total divisé par le nombre d’habitants. S’il y a moins d’habitants, le dénominateur du PIB par habitant est plus faible en effet, mais vous oubliez que le numérateur (le PIB lui-même) diminue aussi, et proportionnellement. Si on a moins de monde, on va produire moins. Pour preuve, si on compare la croissance du PIB par habitant de 15 à 64 ans et la croissance de la population de cette catégorie d’âge cumulativement depuis 25 ans parmi les pays membres de l’OCDE, on trouve en effet que la corrélation entre les deux est exactement nulle comme je le suppose, et non pas négative comme vous le prétendez.
3 L’économie de l’Ontario a déjà été « plus attirante » que celle du Québec jusqu’en 1990, mais, depuis cette date, la croissance du PIB par habitant de 15 à 64 ans (inflation déduite) a été plus rapide au Québec, comme le montre le graphique 6 de mon billet. Que l’Ontario continue néanmoins à attirer plus d’immigrants que le Québec ne dépend pas de facteurs économiques, mais linguistiques et culturels. Mon affirmation ne signifie pas que la croissance est excellente au Québec, mais qu’elle est moins mauvaise qu’en Ontario.
4 Vous avez encore tort d’affirmer que l’endettement de l’État québécois est « insoutenable ». La dette brute du gouvernement du Québec a atteint 61 % du PIB en 1995, puis a diminué à 50 % de 1995 à 2008 avant de remonter à 55 % aujourd’hui, par suite de la récession mondiale et de la lenteur subséquente de la reprise. Cette remontée de 5 points depuis 2008 est inférieure à celles de 16 points en Ontario et de 40 points aux États-Unis. Le fardeau total de la dette sur les épaules des Québécois est présentement dans la médiane des nations de l’OCDE. Elle est parfaitement gérable comme elle est présentement, mais il est plus prudent de se conformer à l’objectif de réduction du rapport dette/PIB à 45 % comme la Loi sur la réduction de la dette de M. Charest nous y invite pour mars 2026. Quoi qu’il en soit, l’hystérie et la panique à l’insoutenabilité n’ont absolument pas leur place.
5 Enfin, les marchés financiers sont en total désaccord avec votre affirmation concernant la nature « catastrophique » de la dette du Japon. Les taux d’intérêt sont 0,00 % sur les obligations gouvernementales japonaises pour les échéances de 1 à 5 ans, de 0,23 % pour celles de 10 ans, et de 1,03 % pour celles de 25 ans. Les investisseurs n’envisagent pas autre chose qu’un long fleuve tranquille. On n’est pas en Grèce. Pourquoi ? Eh bien, le ratio dette brute/PIB du gouvernement japonais a beau être de 245 %, presque la moitié de cette dette est détenue par des portefeuilles gouvernementaux, de sorte que, nette des actifs financiers, le ratio au PIB atteint seulement la moitié de ce pourcentage, soit 138 %. De plus les Japonais ont un taux d’épargne astronomique. Comme l’investissement privé est faible parce que la croissance du PIB est lente, il leur reste des montagnes d’épargne pour aller acheter les émissions d’obligations du gouvernement. Parfaitement soutenable. Néanmoins, il est souhaitable que, tout comme le Québec, le Japon réduise prudemment le fardeau de la dette publique. C’est un des objectifs actuellement poursuivis par le gouvernement Abe.
M Fortin vous avez droit à vos opinions mais force est de constater qu’à part quelques « think tanks» de gauche et les centrales syndicales bien peu d’économistes y adhèrent. Nul doute cependant que vous convaincrez un bon nombre de journalistes avec vos vaillants efforts pour minimiser les problèmes du Québec, grand bien vous en fasse et à eux aussi
Mais en attendant la réalité se déroule inexorablement, malgré la dette nos infrastructures sont toujours en ruine et les universités songent à couper dans les salaires… Évidemment le «spin» sera de blâmer les politiques d’austérité pour nos problèmes alors qu’en fait l’appauvrissement est une conséquence inévitable quand on vit au-dessus de nos moyens.
À mon avis le Québec est sur le bord d’entrer en déflation et l’ensemble du Canada n’est pas loin derrière. La Banque du Canada en tous cas ne semble pas prendre ce risque à la légère…
EHHHHHH….pbrasseur,
La propagande qui rabaisse le portrait du Québec est efficace et tenace. Lorsque l’on s’efforce, comme M. Fortin, de dépasser les données brutes pour les expliquer dans un contexte plus éclairant, on se heurte à la sensibilité partisanne….
Danger…. Toute information qui supposerait que tout n’est pas minable au Québec, fait craindre l’émergence d’un encouragement à l’Autonomie….
Un endoctrinement profond dans le négativisme UTILE au statu quo… Il est IMPOSSIBLE que le Québec puisse faire mieux que quiconque dans quoique ce soit !!!! Du défaitisme à souhait !!!
Pour ma part, je félicite M. Fortin pour cette analyse macro-économique qui relativise les positions du Japon, des USA et du Québec. Ce qui incite à mieux faire et à espérer mieux…. En plus de renseigner sur les « forces » qui gouvernent le monde….
Vous voyez dans les commentaires de pbrasseur de l’endoctrinement, de la propagande, n’y voyez-vous pas, surtout, de l’ignorance ? La réplique de Pierre Fortin, nous le démontre assez bien. Par exemple, lorsque pbrasseur ergote sur le PIB par habitant, on se rend compte rapidement qu’il n’a aucune idée de ce qu’est le PIB et comment on le calcule.
Marc,
IGNORANCE, je ne crois pas…. Préjugés qui poussent aux conclusions hâtives, peut-être… Il est difficile de remettre en question ce que nous avons appris ( ou ressentis ) à l’adolescence… Et ce que toute notre mémoire sélective a retenu pour conforter ces impressions de savoir…
Aujourd’hui, alors que nous avons enfin le TEMPS, il est plus que jamais le moment de s’informer et de LIRE des ouvrages QUI NE VONT PAS nécessairement dans le sens qui nous attire INSTINCTIVEMENT….
Le monde change tellement plus vite, à notre époque. Le choc des idées, facilité par les réseaux sociaux, ouvrent tellement plus de portes. Ré-évaluons sans craintes nos concepts et ne soyons pas des FREINS sclérosés à une évolution plus » progressive «
héhéhé, vous êtes impayable.
Merci, Mathieu…. Mais, c’est complètement GRATUIT !!!! ( 🙂
Je ne vous répondais pas. Mon commentaire est frèe du votre et non enfant de vote commentaire
« La croissance beaucoup plus forte de la population en l’Ontario fait évidemment baisser la moyenne de croissance par habitant. Normal que les nouveaux arrivants généralement plus pauvres fassent baisser la moyenne par habitant. » Vous faites une affirmation non validée. Une étude récente de Statistique Canada démontre que depuis 2000 : « De même, l’immigration a eu peu d’effet direct sur les taux de faible revenu dans la plupart des régions ». (Immigration, faible revenu et inégalité des revenus au Canada :Quoi de neuf durant les années 2000? p.19)
Avez-vous vu qui a fait l’étude?
23% de 65 ans et plus au Japon contre 15% au Québec
Pourtant le Japon n’accueille pas des masses d’immigrants. Et il donne la nationalité à personne.
Le Japon sera toujours le Japon dans 100 ans. Mais que sera le Québec dans 100 ans?
Donc si j’ai bien compris le Québec va très bien merci, c’est juste la démographie qui le fait mal paraitre, pauvre de lui. Tant qu’à continuer les comparaisons boiteuses on pourrait en dire autant que l’Europe. Si les USA performent mieux globalement c’est juste à cause de la démographie et le fait que les É-U attirent plus d’immigrants n’a strictement rien à voir avec le dynamisme de leur économie. Des centaines de milliers de Français vont travailler aux USA mais c’est juste parce qu’ils aiment voyager!
Non mais on rit de qui ici?
Pbrasseur,
Et la notion de monnaie US « valeur refuge »… Et » l’efficatité des bourses américaines dérèglementées qui attire tous les gros spéculateurs créateurs de richesse personnelle. Tant qu’ils pourront maintenir la réputation de centre financier mondiale, les USA attireront ceux qui espèrent augmenter leur consommation… C’était le Royaume-Uni, au début du XX siècle, et d’autre avant eux….
Mr Fortin
Vous faites des calculs de PIB par habitants de 15 à 64 ans, en considérant qu’ils sont la population active. Par contre, la retraite au Québec se fait de plus en plus tôt. Plusieurs ne seront donc plus actifs à partir de 55 ans.
De plus, les jeunes restent dans les écoles plus longtemps. Il faudrait peut-être utiliser comme population active au Québec les 20-55 ans, ou même juste les 25-55 ans. Au Japon, les retraités travaillent souvent après 65 ans, ce qui peut augmenter le PIB. La population active au Japon serait peut-être dans ce cas de 20-70 ans…
Avec des retraites à 55 ans, on aura beaucoup plus de gens âgés à soutenir au Québec qu’au Japon, ce qui pourrait annoncer une dégringolade plus rapide que ce qui est mentionné dans votre article.
M. Belley. Vous avez entièrement raison de soulever la question du choix de dénominateur approprié pour calculer le PIB par habitant. Si vous voulez mon avis, je serais d’accord pour étendre la population totale qui doit diviser le PIB aux âges de 15 à 74 ans. Je n’enlèverais pas les 15 à 19 ans parce qu’il y a beaucoup de travailleurs dans cette catégorie. J’ajouterais cependant les 65 à 74 ans. Si je ne l’ai pas fait dans mon texte, c’est parce que les données étaient beaucoup plus compliquées à obtenir et que l’OCDE base encore toutes ses statistiques d’emploi sur les 15 à 64 ans. Merci pour votre commentaire.
Monsieur Fortin,
Ayant moi-même beaucoup lu sur le Japon et y ayant été en octobre dernier avec un groupe et une guide locale, je me permets d’ajouter un facteur qui affaiblit beaucoup l’économie japonaise, mais qui constitue une piste de solution : l’absence relative des femmes du marché du travail. En effet, la culture japonaise impose encore la « mommy track » aux Japonaises, « invitées » à démissionner dès leur première grossesse. Celles qui continuent sont stigmatisées. Le peu d’entre elles qui retournent sur le marché du travail des années plus tard ne trouvent que des emplois mal payés et peu valorisants. Quand aux garderies, elles sont peu nombreuses et souvent chères.
Ce n’est qu’un portrait à la volée qui laisse de côté de nombreux détails nuances. Cependant, les mentalités changent, lentement mais sûrement, et le gouvernement japonais tente d’inciter les mères à revenir au travail et à promouvoir la conciliation travail-famille. Ce pourrait être un début de solution pour la reprise au Japon. Évidemment, ce changement seul ne sortira pas l’économie japonaise de sa torpeur comme par magie, mais pourrait-il servir de moteur?
Pour le Québec, un tel changement n’est pas possible, puisque les mères peuvent déjà travailler, mais une amélioration de l’équilibre travail-famille pourrait amortir le déclin, de même que l’amélioration de la productivité, un sujet que vous pourriez traiter (et avez sûrement déjà traité) mieux que moi.
Qu’en pensez-vous?
Athéna,
Vous avez entièrement raison. Le taux d’activité féminin est le facteur le plus important (pas le seul, mais le plus important) qui a permis au niveau de vie moyen du Québec de rattraper celui de l’Ontario depuis 25 ans. Comme vous pouvez constater sur le graphique ci-dessous, la période de 2000 à 2003 a été particulièrement remarquable à cet égard. On y a observé littéralement une invasion féminine du marché du travail au Québec par suite de l’introduction des garderies à bas tarif. Je ne manque jamais de souligner cette évolution chaque fois que je fais un exposé sur la croissance québécoise.
Je ne connais pas aussi bien que vous les institutions et les politiques du Japon qui influent sur l’activité féminine, mais on peut observer, sur le graphique, un réveil évident des Japonaises depuis 2005. Comme on voit, le taux d’activité féminin (population active totale en pourcentage de la population de 15 à 64 ans) s’établissait en 2014 à 72 % au Japon, à 76 % en Ontario et à 77 % au Québec.
Merci d’avoir rappelé cet aspect de la question. Il est fondamental.
Pierre Fortin
Taux d'activité féminin (Japon, Ontario, Québec_
Monsieur Fortin, vos articles sont toujours une bonne source de réflexion et celui-ci ne fait pas exception. On ne dira jamais assez à quel point il est important d’analyser comme vous le faites la situation économique au Québec. D’autant que nous sommes à un tournant de notre histoire et qu’il nous faut un éclairage différent sur des enjeux inédits.
Cela dit, permettez-moi d’abord de répondre différemment à votre question de départ et de relativiser ensuite l’importance que vous accordez à la question démographique.
1. Les causes du ralentissement de l’économie japonaise et sa leçon pour le Québec
En réponse à votre question sur les causes du ralentissement de l’économie japonaise, vous soulevez trois raisons : les limites croissantes du rattrapage économique, les déséquilibres financiers et le vieillissement de la population active.
Ces raisons sont évidemment valables, mais je crois que l’explication réside surtout dans les trois raisons suivantes. Premièrement, à partir de la fin des années 80, on assiste à un recentrage — irrationnel et floué — du capital mondial vers les industries de haute technologie que sont l’informatique, les télécommunications, le pharmaceutique et les biotechnologies. Des secteurs dans lesquels le Japon n’est pas aussi dominant qu’il est dans le secteur manufacturier.
Deuxièmement, et c’est là le point le plus important, le modèle manufacturier d’exportation qui a fait du Japon une puissance mondiale n’est plus aussi performant qu’il l’a été, et ce dès la fin des années 80. L’énorme succès du modèle japonais avait sonné le réveil de l’Occident et de ses multinationales dès les années 80. Ces dernières mettant en œuvre leur propre stratégie de production à rabais. Comment? En allant s’approvisionner et en sous-traitant la fabrication à des pays dont les salaires sont inférieurs à ceux du Japon. Pour sa part, le Japon ne s’est pas aidé en comprenant sur le tard que sa stratégie exportatrice et ses avancées manufacturières, aussi formidables fussent-elles, allaient en fait lui faire perdre son avantage-coût.
Mais surtout, et c’est mon troisième point, le Japon, tout comme l’Occident n’avait pas imaginé à quel point leurs stratégies respectives de mondialisation allaient en fait profiter aux entreprises des pays émergents. Comment, en effet des pays comme la Chine, la Corée, l’Inde allaient réussir en très peu de temps à imiter la stratégie de production à rabais du Japon, et surtout, avec quelle vitesse, ces pays, pourtant moins sophistiqués en apparence, allaient réussir à faire leur conversion de la production bas de gamme à celle à valeur ajoutée.
De sorte que dès les années 90, il était déjà clair que Sony et Toshiba étaient dans la ligne de mire de Samsung et LG. Que Hyundai et Kia allaient parvenir à s’imposer dans l’automobile. Mais surtout, il devenait clair que le Japon ne pouvait plus compter sur un niveau de compétitivité de leurs entreprises comme par le passé.
Bref, tout cela pour dire que je veux bien admettre que le phénomène de rattrapage ait joué, que la population vieillissante et l’enrichissement de la classe moyenne aient coupé le souffle du Japon. Mais, je trouve plus concevable de comprendre le ralentissement de l’économie japonaise à la lumière du degré de compétitivité et des résultats des nombreuses batailles vécues par les entreprises japonaises durant cette période.
Ceci m’amène à mon second point qui est celui de l’importance que vous accordez à la question démographique, surtout en ce qui concerne le Québec.
2. Le problème du vieillissement de la population active est-il aussi nuisible qu’on le dit pour l’avenir du Québec?
Répondre par la négative serait irresponsable. Cela dit, il est important de relativiser la question. Pour moi, l’économie doit être avant tout le discours de l’action et la question démographique invite trop au fatalisme. Mais surtout, mon point est qu’elle nous porte à ignorer des enjeux nettement plus importants. Je m’explique.
Sans nier son importance, la principale raison que l’on parle tant d’une démographie vieillissante au Québec est que cette question met littéralement des bâtons dans les roues de nos programmes sociaux, principalement en santé, en éducation et en matière de sécurité du revenu. Des programmes, il faut bien le dire, étant de plus en plus déconnectés de notre capacité réelle de payer. La question du vieillissement ajoute clairement à ce déséquilibre et sert bien le discours de ceux qui appellent à la parcimonie.
Cela dit, le problème du Québec n’est pas tant que sa population vieillit. Le véritable problème est que notre économie vieillit encore plus vite et plus mal que sa population.
Je pourrais étayer l’argument à plusieurs niveaux, comme je l’ai fait dans d’autres écrits, mais aux fins du présent commentaire, je vais m’en tenir aux trois observations suivantes.
Ma première observation concerne l’état de notre secteur des ressources. Ce fut jadis une pierre d’assise de notre économie. Ce ne l’est plus. Nos filières de ressources se multinationalisent et la minceur de nos gisements connus, combinée à une logique d’exploitation mondiale des entités contrôlant dorénavant nos gisements, fait que le Québec n’est plus la fosse minérale qu’il fut jadis pour ses partenaires nord-américains. Mais surtout, et à moins que l’on gagne la loto géologique et que l’on découvre des gisements de classe mondiale — ce qui n’a certes pas été le cas durant la dernière ronde du Plan Nord — il est clair que l’économie de nos ressources ne sera plus le vecteur de développement qu’il a été par le passé.
Ma seconde observation concerne notre tissu industriel. Or, pas besoin d’élaborer longuement sur le fait que bon nombre de nos filières sectorielles, dont celle de l’aluminerie et de l’aérospatiale sont plus à risque qu’elles n’ont jamais été dans leur histoire. Le secteur pharmaceutique continue de se transformer en entrepôts de distribution. Il semble aussi que l’Hydro-électricité aussi va battre de l’aile encore un bout de temps même si à long terme, il y a matière, je crois, à être optimiste.
Cela dit, le portrait global du secteur manufacturier québécois montre en fait des problèmes majeurs lorsqu’on le regarde à la lumière de la vétusté de plusieurs équipements et du faible degré de compétitivité mondiale de plusieurs de nos entreprises. À cela s’ajoutent: les problèmes majeurs de certains de nos grands donneurs d’ordre (ex. Bombardier); le déplacement des sièges sociaux vers l’Ontario et l’Ouest; et les menaces constantes de déménagement des filiales de multinationales davantage intéressées par les nouveaux marchés stratégiques et les zones à faible coût de fabrication et de distribution.
Que dire aussi du fait qu’il est présentement très difficile d’imaginer la nouvelle génération d’entreprises allant assurer notre positionnement dans les industries de prochaine génération, sachant que les raisons ayant permis l’éclosion des Bombardier, SNC, Quebecor, de notre époque, ne sont plus au rendez-vous (c.-à-d. l’épargne et financement privilégié, des actifs locaux à rabais, protectionnisme de l’État, etc.)
Ma troisième observation, et possiblement la pire de toutes, est que l’économie du Québec est dorénavant l’affaire, soit d’un nombre croissant de multinationales et d’entreprises-pipelines de produits importés ou d’exportations à faible valeur ajoutée. Mais surtout, elle est l’affaire d’un Québec Inc. et d’un État omniprésent dans des secteurs essentiellement protégés ou directement contrôlés par ce dernier. Nous faisons référence ici aux secteurs des banques, de l’assurance, de la construction, des médias, des télécoms, de la santé, de l’électricité, des transports publics, de l’éducation, de l’agroalimentaire, et bien d’autres encore. Or, qu’on se le dise, ces secteurs représentent en soi un risque majeur pour l’avenir économique du Québec. Pourquoi? Parce que leur statut protégé sera vraisemblablement révisé dans les années à venir au fur et à mesure que la mondialisation et les ententes de libre-échange vont s’accélérer.
Quel est le problème? Il est double. D’une part, l’État et nos entreprises protégées sont aujourd’hui responsables, ou du moins elles influencent fortement la majeure partie des investissements, des emplois de qualité et des recettes fiscales au Québec. Son incidence sur la composition de la classe moyenne, la valeur des propriétés, l’économie régionale et la consommation est énorme. D’autre part, il ne faut pas jouer à l’autruche sur le degré de compétitivité de ces entreprises. Bon nombre d’entre elles ne sont déjà plus en mesure de rivaliser avec la concurrence mondiale. Dans bien des cas, ouvrir les protections équivaudrait à demander à Zellers de rivaliser avec Walmart. En effet, il est clair d’un point de vue strictement stratégique qu’une telle éventualité se solderait dans bien des cas par de simples acquisitions, des démantèlements et très certainement des pertes d’emplois massives et l’élimination de plusieurs fonctions à valeur ajoutée.
Pour conclure, il n’y a pas de doute que la question démographique est importante. Mais, s’il est une leçon que nous donne le Japon, c’est par rapport à l’importance grandissante d’avoir des entreprises compétitives pour soutenir la création de la richesse. Car ultimement, c’est cette dernière qui paie les acquis sociaux et permet d’accommoder les déséquilibres comme celui du vieillissement.
En ce sens, il me parait plus que temps que le discours économique du Québec s’affranchisse d’un passé dominé par la redistribution et que l’on s’attarde dorénavant aux véritables moyens pour créer cette nouvelle richesse.
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