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Changement de cycle ou phénomène passager ? L'euro, face au dollar, a baissé de près de 15% depuis janvier 2022. Sur un an, la chute est encore plus marquée. La monnaie unique se trouve au plus bas depuis 20 ans. Décryptage des causes et effets avec Vie-Publique.fr.

Par  La Rédaction

Temps de lecture  13 minutes
L’euro a un peu plus de 20 ans mais déjà son histoire est mouvementée. Depuis sa création en 1999, la monnaie unique a connu des hauts et des bas. Après avoir surmonté une certaine fragilité initiale (en octobre 2000, l’euro ne valait plus que 0,85 dollar), l’euro a entamé une solide phase de remontée le conduisant à 1,60 à l’été 2008. Avec la crise financière de 2008, qui se transforme, dans la zone euro, en crise des dettes souveraines, la monnaie unique baisse, mais  la politique de la Banque centrale européenne (BCE) et les efforts budgétaires des pays membres contribuent à la stabiliser. En 2022, en revanche, la baisse s’accélère et conduit la monnaie unique en automne en dessous de la parité avec le dollar.

Début 2022, deux événements font vaciller la monnaie unique. D’abord l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, puis l’annonce, aux États-Unis, d’un plan de relance massif de l’administration Biden en mars 2022, certes réduit depuis. L’euro, proche de 1,2 dollar à ce moment, entre dans une dynamique baissière et franchit un premier palier à 1,13 dollar. Sur fond de perspectives d’arrêt des livraisons de gaz russe et de la remontée des taux américains pour lutter contre l’inflation durant les mois d’été 2022, d’autres paliers cèdent successivement jusqu’à une relative stabilisation autour d’un euro pour un dollar en septembre 2022.
La faiblesse de l’euro n’est en revanche pas générale. Si elle s’observe également face au franc suisse, au yuan chinois et au dollar canadien (un peu moins de 10% de baisse depuis 1er janvier 2022), l’euro est stable vis-à-vis de la livre sterling et il s’est apprécié par rapport au yen japonais (de 10% depuis début 2022). La baisse de l’euro ne concerne pas toutes les monnaies, elle montre l’actuelle force du dollar.
Économiquement, l’effet du taux de change sur la stabilité des prix et la croissance est réel : “Lorsqu’un euro s’échange contre davantage de dollars (en d’autres termes, lorsque l’euro s’apprécie), les produits américains deviennent moins onéreux pour les habitants de la zone euro. Les prix à l’importation reculent. Ce mouvement a une incidence directe sur l’inflation dans la zone euro via les prix des biens de consommation importés, mais exerce également une influence indirecte via les prix des matières premières importées et des biens intermédiaires utilisés pour la production”, précise la BCE.

Si la dépréciation de l’euro améliore la compétitivité des biens et services vendus vers la zone dollar, elle renchérit les importations qui viennent de cette zone (biens de consommation, biens intermédiaires, matières premières). In fine, les conséquences de la dépréciation dépendent de l’effet qui l’emporte sur l’autre. Actuellement, en période de forte hausse des prix d’énergie, l’effet négatif pèse davantage : la zone euro est importatrice d’énergie et les énergies fossiles sont facturées en dollars. La dépréciation de l’euro rend les importations d’énergie (gaz et pétrole) encore plus chères et contribue à l’accélération du taux d’inflation en zone euro.
L’évolution des taux de change reflète largement celle des fondamentaux économiques, notamment de la croissance, de la situation du marché de l’emploi, du taux d’inflation et de la balance commerciale. Globalement, les États-Unis et l’Europe font face à un ensemble de facteurs macroéconomiques et géopolitiques communs :
Sur le front de l’énergie, le choc est particulièrement fort en Europe. La zone euro a noué des relations énergétiques étroites avec la Russie, notamment dans le domaine du gaz naturel. Dans certains pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Républiques slovaque et tchèque), la dépendance au gaz russe en pourcentage de la consommation totale d’énergie atteint jusqu’à 40%. Elle est moins forte en Autriche, Italie et Allemagne (la plus grande économie de la zone), mais suffisamment élevée pour peser sur l’activité en cas d’arrêt des livraisons.
En réaction au conflit en Ukraine, l’Union européenne a mis en place des sanctions économiques et financières conte la Russie et décidé de mettre fin à sa dépendance énergétique. La nouvelle donne nécessite de coûteuses réorganisations vers de nouveaux fournisseurs d’énergie qui prennent du temps à se mettre en place. En perspective de l’hiver 2022-2023, la situation énergétique dans les pays membres de l’Union européenne, y compris la France, est sous  tension. Les prix, notamment de l’électricité, ont fortement augmenté.
Les gouvernements européens doivent gérer une phase de transition inédite : trouver de nouveaux fournisseurs sur les marchés mondiaux du gaz naturel liquéfié (GNL), améliorer les infrastructures d’importation et de distribution du gaz pour réduire les goulets d’étranglement, mieux organiser le partage des approvisionnements en cas d’urgence dans toute l’UE (voir l’accord de solidarité réciproque entre la France et l’Allemagne sur l’approvisionnement en gaz), encourager les économies d’énergie.
La situation est très différente aux États-Unis qui sont aujourd’hui autonomes énergétiquement et même exportateur net d’hydrocarbures – tout le contraire de la situation lors des chocs pétroliers du siècle dernier. Ils sont moins touchés par la crise énergétique et profitent pleinement de la hausse des prix pétroliers et gaziers. La balance commerciale américaine s’apprécie depuis mars 2022, ce qui soutient le dollar. La situation est très différente en zone euro, dépendante d’importations d’énergie. La zone euro a enregistré un déficit des échanges de biens avec le reste du monde de 26,3 milliards d’euros en mai 2022, contre un excédent de 12 milliards d’euros en mai 2021, principalement dû au déficit commercial dans le domaine de l’énergie. Une balance commerciale qui se dégrade pèse sur le taux de change.
Le taux de change est également influencé par l’inflation. La dépréciation d’une monnaie exerce un effet de dilution sur la devise, elle perd de sa valeur. Cet effet peut être contrebalancé par :
Le dollar coche ses deux points : les tensions en Ukraine ravivent la fonction du billet vert comme monnaie refuge et le dollar devance toujours largement l’euro dans les réserves mondiales des banques centrales. Seulement 20% des réserves de change mondiales sont détenues en euro, environ trois fois moins qu’en dollar. Le taux de change du dollar est donc moins affecté par l’actuelle envolée inflationniste. L’inflation, pourtant à un niveau proche en Europe et aux États-Unis (autour de 9%), pèse davantage sur l’euro que sur le dollar.
Tout au long du premier semestre 2022, le chômage, déjà relativement bas, a encore légèrement reculé aux États-Unis et, dans une moindre mesure, dans la zone euro. Avec un taux de chômage de 3,5% en juillet 2022 (contre 6,6 pour la zone euro), le marché de l’emploi américain est proche du plein-emploi. Les données sur la croissance confirment ce différentiel : les États-Unis bénéficient d’un cumul de croissance 2019-2022 de 3,8% contre seulement 1,8% pour la zone euro.
La dépréciation de l’euro résulte donc en grande partie d’une incertitude plus grande sur les économies européennes, de tendances défavorables en zone euro et d’un effet refuge en faveur du dollar qui rendent l’euro moins attractif.
L’inflation élevée et la tension énergétique, qui mettent l’industrie européenne en difficultés et rognent le pouvoir d’achat des ménages européens, augmentent le risque de stagflation, voire de récession pour la zone euro. Les gouvernements européens essaient de réduire les conséquences négatives sur le pouvoir d’achat en mettant en place diverses formes d’aides (bouclier tarifaire, chèque énergie, baisse des tarifs des transports publics, etc.). Ces dépenses pèsent sur les budgets publics et augmentent la charge future de la dette. En France, lors du seul premier trimestre 2022, la dette publique au sens de Maastricht a augmenté de 88,8 milliards d’euros pour s’établir à 2 901,8 milliards d’euros, soit 114,5 % du PIB (les critères de Maastricht prévoient un niveau de 60%) – une augmentation de 100% sur vingt ans. Aux États-Unis, les perspectives conjoncturelles ne sont certes à peine meilleures, mais ils ont le dollar : “Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème” (John Bowden Connally).
La BCE a pour mission d’assurer la stabilité de l’euro. Pour cela, elle vise un taux d’inflation annuel de 2% à moyen terme. En revanche, la BCE n’a aucun objectif en termes de taux de change. Elle ne cherche pas à influencer ce taux, tout comme les autres plus grandes économies du monde, réunies au sein du G20. L’euro évolue donc dans un régime de changes flottants en fonction de l’offre et de la demande.
Toutefois, la politique monétaire de la BCE peut influer sur le taux de change, notamment via le canal du taux directeur. Aux États-Unis et dans la zone euro, les banques centrales ont commencé à mettre fin aux politiques monétaires quantitatives très accommodantes (taux d’intérêt très bas et achat massif d’actifs financiers), mais ni l’agenda, ni le rythme de ce changement ne sont les mêmes.
Pour contrer l’envolée de l’inflation, la Réserve fédérale des États-Unis (Fed, banque centrale américaine) a décidé de rendre plus coûteux les conditions de refinancement des banques auprès d’elle et ceci dès le début 2022. D’abord très modestement (+25 points de base), puis de plus en plus fermement avec plusieurs relevés de 75 points de base dont la dernière le 21 septembre 2022. Le principal taux de refinancement de la Fed est depuis fin septembre à 3,25%.

La BCE, quant à elle, a commencé plus tard son cycle de remontée et ceci à un rythme un peu moins dynamique : 50 points de base en juillet et 75 points de base début septembre 2022. D’autres hausses vont sans doute suivre, mais le différentiel de taux qui s’installe entre la zone dollar et la zone euro est en défaveur de la monnaie unique : 3,25% aux États-Unis contre seulement 1,25% en zone euro (situation fin septembre 2022 pour les principales opérations de refinancement).
Plus une monnaie est rémunérée, plus elle est attractive aux yeux des investisseurs internationaux, toujours à la recherche d’obligations d’État comme les obligations assimilables du Trésor (OAT) ou le Bund allemand. Ces titres garantis par l’État sont considérés sans risque et particulièrement appréciés par les investisseurs. Dans la situation actuelle, les investisseurs ont tendance à vendre l’euro pour acheter le dollar afin de pouvoir se placer sur son marché. Les mouvements de capitaux qui se dirigent davantage vers la zone dollar exercent un effet de dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar : l’euro baisse.
La politique monétaire de la BCE peut influer sur le taux de change par les variations des taux directeurs, mais également par des modifications des spreads souverains. Ces spreads désignent la marge qui s’applique à un État ou un gouvernement dès lors qu’il souhaite emprunter sur les marchés de capitaux. La marge varie en fonction de la solvabilité de l’État et des anticipations des investisseurs ; elle est mesurée par rapport aux conditions de taux appliqués aux emprunts émis par les États bénéficiant des meilleures notations. En zone euro, la référence est toujours l’Allemagne (avec l’obligation la plus courante : le Bund allemand).
Une politique monétaire plus accommodante, donc des conditions de refinancement plus favorables dans la zone euro, pourrait réduire le risque d’écarts trop importants entre les États, et donc de fragmentation (sortie d’un État de la zone euro), en facilitant le refinancement des pays en situation économique plus difficile. Elle renforcerait ainsi la solidité de l’union monétaire, rassurerait les investisseurs et pourrait ainsi exercer un effet d’appréciation sur l’euro. Toutefois, il n’y a aucune certitude quant à l’interprétation par les investisseurs. Une politique particulièrement accommodante pourrait également être vue par certains investisseurs comme une entrave à la solidité de l’euro (par exemple via un risque de mutualisation des dettes).
Cette dernière interprétation ne semble cependant pas dominer, car la Banque de France a observé dans le passé une relation négative entre l’évolution du taux de change et celle des spreads souverains des pays considérés plus risqués de la zone euro, notamment en période de forte tension financières dans la zone : le taux de change baisse quand les spreads augmentent et vice versa.
Actuellement, nous ne sommes pas en forte tension de ces spreads, mais en phase de remontée des taux. Après les deux décisions de la BCE d’augmenter ses taux directeurs, les conditions de refinancement sont plus difficiles, notamment pour les États les plus endettés. Suivant la perception du risque par les investisseurs, les spreads pourraient cependant augmenter.

La BCE a donc une tâche particulièrement difficile, probablement plus délicate que celle de la Fed : elle doit non seulement assurer la stabilité interne de sa monnaie, mais également, assurer la stabilité de l’union monétaire (ce que n’a pas à faire la Fed). 
Définir une politique monétaire pour un ensemble de pays qui ne représente pas une zone monétaire optimale n’est pas aisé : quand la BCE prend une décision sur la base de données agrégées sur l’ensemble de la zone, il est possible que cette dernière ne convienne pas parfaitement à la situation locale dans un pays membre donné, compte tenu de sa situation budgétaire et économique. Lors de sa conférence en juillet 2022, la BCE a montré qu’elle ne perd pas de vue l’objectif de stabilité de l’union : le nouvel “instrument de protection de la transmission” (IPT) est destiné à s’assurer que les coûts d’emprunt des États membres de la zone euro ne s’écartent pas de manière trop importante.
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