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C’est un anniversaire sur lequel on se montre assez discret à Bruxelles. Le 1erjuillet 2013, la Croatie devenait le 28ème Etat membre de l’UE sous les vivats et les discours officiels. Mais un an après, le bilan de cette adhésion est bien mitigée sur le plan économique. 
Dans toute la Croatie, l’adhésion n’a en réalité rien changé. Le pays vit sa sixième année consécutive de récession. Depuis 2009, le PIB s’est déjà contracté de 13,6 % et il devrait encore perdre 0,6 % cette année. Au premier trimestre 2014, le recul était de 0,4 %. Depuis 2009, le pays n’a connu que deux trimestres de croissance. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat est tout juste au-dessus du niveau de 2006. Quant au chômage, il a un peu reculé, mais reste très élevé à 16,3 % de la population en avril, contre 17,1 % un an plus tôt.
Certes, cette crise n’est pas la conséquence directe de l’adhésion. « La Croatie, comme beaucoup d’autres pays du Sud-est de l’Europe (Slovénie, Bosnie Herzégovine ou Bulgarie), ne s’est jamais vraiment remise de la crise de 2008-2009 », souligne Hermine Vidovic, économiste à l’institut économique viennois WIIW, spécialisé dans l’Europe centrale et orientale. La très forte croissance du début des années 2000 avait été acquise en grande partie par de la dette privée. L’effondrement des marchés extérieurs a entraîné une forte baisse de la richesse qui a conduit à une phase violente et durable de désendettement des ménages et des entreprises. La consommation s’est effondrée, le désinvestissement s’est installé, le chômage de masse s’est installé. La Croatie s’est installée dans une spirale récessive. Faute de demande interne, les entreprises ont continué à couper dans leurs coûts. Et ont entretenu ainsi la crise.
Deux puissances pouvaient stopper ce cercle infernal : l’Etat et la politique monétaire. Mais ils sont inexploitables en Croatie. La banque centrale n’a pour d’autres buts, conformément à la doxa monétariste allemande dominante dans les Balkans (comme en Bosnie, au Monténégro et en Bulgarie), que d’assurer « la stabilité » de la kuna, la monnaie nationale, face à l’euro. En empêchant la dépréciation naturelle de la monnaie pour compenser la perte de compétitivité du pays, la banque nationale de Croatie (HNB), a dû mener une politique restrictive qui a encore aggravé les maux du pays. Le taux de refinancement de la HNB est de 7 %, soit un taux réel de 7,2 %. De quoi, compte tenu de la récession, achever d’étrangler les entreprises locales et de conduire le pays tout droit à la déflation. Depuis deux mois, le taux d’inflation est négatif en Croatie. Quant à l’Etat, il est paralysé depuis le début de la crise par la baisse des recettes qui creuse son déficit qui a atteint 6 % du PIB en 2013. Là encore, sa seule réponse a été une hausse de la TVA de 22 % en 2009 à  25 % en 2012 (ce qui en fait le plus haut taux de l’UE à égalité avec le Danemark et la Suède !) et des coupes dans les dépenses publiques. Autant d’actions qui ont encore aggravé la crise et… empêché le déficit public de se résorber.
« Ni les ménages, ni les entreprises, ni l’Etat ne peuvent plus constituer de moteurs à la croissance croate », constate Hermine Vidovic. Pour faire sortir l’économie croate de cette récession, il faudrait des investissements extérieurs. Mais les investisseurs privés évitent un pays aussi rudement touché par la crise. « Il n’y a pas eu d’effet positif de l’adhésion sur les investissements étrangers », admet Hermine Vidovic. Premier échec pour une UE qui promet aux pays candidats qu’une adhésion attire les investissements.
Mais alors, l’UE aurait pu agir par elle-même et aider un de ses pays les plus pauvres à briser le cercle de la récession. Mais c’est précisément le contraire qui s’est produit. Bruxelles estiment que la crise croate ne s’explique que par l’incapacité du pays à « se réformer » et à « faire évoluer son Etat providence. » En janvier, la Commission place Zagreb sous la procédure de déficit excessif et demande au gouvernement croate des mesures pour revenir dans les clous du pacte de stabilité d’ici à 2016. Bruxelles rejette même comme trop faible un plan « d’ajustement » présenté par Zagreb. Bref, l’UE réclame plus d’austérité et ajoute proprement de l’huile sur le feu.
Le nouveau plan promet une nouvelle hausse de la TVA et des « réformes » dans les systèmes de retraite et de santé. Le but semble dérisoire : ramener le déficit à 5,5 % du PIB à la fin de l’année. Mais il pourrait bien aggraver encore un peu plus la récession. Et si les exportations commencent à timidement repartir, elles ne pourront pas, à elle seule, assurer le salut de l’économie. « A la différence des économies hongroises, slovaques ou tchèques, l’économie croate dispose d’un faible potentiel industriel », rappelle Hermine Vidovic. Encore une fois, on peut prendre conscience du peu de réalisme de la stratégie européenne. 
D’autant que l’entrée dans l’UE a soumis plusieurs secteurs à une concurrence nouvelle et sévère. Plusieurs entreprises croates ont perdu L’agriculture, notamment, a perdu ses subventions nationales que la PAC est loin de compenser. Le secteur traverse une crise profonde et le pays a perdu son indépendance alimentaire. La seule force de l’économie croate, c’est le tourisme. Mais dans le secteur méditerranéen, la concurrence est rude, notamment parce qu’Espagnols, Grecs et Chypriotes ont baissé leurs coûts et que la stabilité de la kuna ne laisse d’autre option aux Croates que de couper également dans les coûts salariaux pour conserver leur compétitivité. Surtout, si le secteur demeure dynamique, Hermine Vidovic souligne qu’il « n’est pas suffisant pour compenser la chute de la demande intérieure. »
Mais les fonds structurels ? Ces fameuses cornes d’abondance dont ont profité les pays entrés en 2004 et qui seraient bien utile dans ce cas… Et bien, la Croatie n’en a pas vu un seul euro ! Certes, ces fonds ont été attribués au pays dans le cadre budgétaire pluriannuel de l’UE à hauteur de 3 % du PIB par an. C’est assez peu généreux si on les compare aux pays entrés en 2004 et 2009, mais comme le rappelle Hermine Vidovic, « la Croatie est entrée dans l’UE en pleine crise et ses conditions sont nécessairement moins bonnes. » Mais le pire est encore à venir : ces fonds sont distribués dans le cadre du « cofinancement. » La puissance publique doit financer une partie des projets. Or, Zagreb veut réduire son déficit et n’investit pas. Les fonds restent donc bloqués et la Croatie pourrait envoyer plus d’argent à Bruxelles qu’elle n’en a reçu !
C’est dire si les Croates ont toutes les raisons d’être déçus, même s’ils ne se sont jamais bercés d’illusions sur les « bienfaits » de l’UE. Lors du référendum sur l’adhésion en janvier 2012, l’abstention avait atteint 56 %. Lors des Européennes d’avril 2013, elle avait été de près de 80 %. Elle atteignait encore 75 % en mai dernier… Lors de ce dernier scrutin, les forces eurosceptiques de droite (par la suite alliées aux Tories britanniques) ont obtenu 7 % des voix. Une nouveauté, même s’il n’y a là pas de quoi déclencher une vague anti-UE dans un pays où l’Union a surtout une valeur politique. C’est le signe d’une « occidentalité » revendiquée par les Croates catholiques soucieux de se distinguer des Serbes orthodoxes et des Mulsulmans de Bosnie. C’est aussi le moyen de peser sur les négociations d’adhésion en cours avec la Serbie pour obtenir le règlement de certains contentieux toujours en suspens avec Belgrade depuis la guerre de 1991-95.
Sans compter que si l’UE a agi envers le pays en dépit du bon sens, les vrais responsables des problèmes du pays sont les politiques croates qui ont adopté une idéologie économique de « stabilité » sans doute payante pour un pays mûr et industrialisé comme l’Allemagne, mais bien peu compatible avec le besoin de développement et de croissance de la Croatie. « La classe politique croate a perdu la confiance de la population, que ce soit les Sociaux-démocrates au pouvoir où les Conservateurs de la HDZ », souligne Hermine Vidovic. Face à cette défiance et au passif de politiques incapables de trouver la porte de sortie de la crise, l’Europe ne peut guère faire l’objet du même rejet que dans d’autres pays.
D’autant que l’UE peut demeurer un espoir, celui que les fonds structurels finiront par arriver pour faire sortir le pays de la crise. Ce vague espoir – qui n’est peut-être qu’en partie seulement justifié dans la mesure où les fondamentaux de l’économie croate sont désormais très faibles – empêche la déception et la colère des Croates de se tourner vers Bruxelles. Mais les candidats balkaniques au « graal » européen, Serbie, Monténégro, Albanie ou Macédoine sont prévenus : l’adhésion à l’UE n’est pas – loin de là – la garantie d’une prospérité immédiate.
 
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