Institution indépendante régie par le droit public français et européen, membre de l’Eurosystème, système fédéral qui regroupe la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales de la zone euro
La Banque de France contribue à la définition de la politique monétaire de la zone euro et s’assure de sa mise en œuvre en France pour le compte de l’Eurosystème.
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Bloc-notes Eco publie des articles pédagogiques qui présentent la recherche, les études et l’expertise économique de la Banque de France. Le blog vise un public d’étudiants, de professionnels, de journalistes et d’universitaires. Certains articles seront consacrés à des analyses réalisées par le réseau de la Banque, sur des thèmes spécifiques. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Banque de France, de l’Eurosystème, ou des institutions employeuses de ces auteurs.
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Par Emmanuelle Politronacci, Elodie Ninlias, Enda Palazzeschi, Ghjuvanni Torre
Dans une union monétaire, la quantité de billets circulant dans un Etat membre est inconnue car les migrations transfrontières de billets ne peuvent pas être tracées. Il existe plusieurs approximations qui ont l’inconvénient de varier du simple au triple. Néanmoins, la mise en circulation de la nouvelle gamme des billets en euros, ainsi que des enquêtes, permettent de préciser ces chiffres. Seulement 10% des billets émis par la France seraient utilisés à des fins de transaction en France.
La mesure de la quantité de billets en circulation en France est importante à plusieurs titres : évaluer au plus juste les besoins nationaux en cas de renouvellement de la gamme, mieux comprendre et gérer l’évolution de la qualité des billets en circulation, et approfondir la connaissance de l’usage des espèces et son évolution dans le temps.
La première consiste à répartir la circulation des billets pour moitié en fonction de la part de chaque pays dans la population de la zone euro et pour l’autre moitié en fonction de la part de chaque pays dans le PIB de la zone euro. La principale limite de cette méthode est qu’elle suppose une utilisation des billets identique au sein de la zone euro alors que les usages nationaux en matière de paiement sont hétérogènes (Esselink et Hernandez, 2017). Ainsi, la France se distingue de ses voisins européens par une utilisation plus faible des espèces et un usage plus intensif des cartes dans les paiements. Autre limite, selon les estimations de la BCE, un tiers des billets en circulation serait détenu hors de la zone euro.
La deuxième exploite les délais de retour des billets dans la zone euro, c’est-à-dire la durée moyenne qui s’écoule entre la mise en circulation d’un billet en euros et son retour au guichet d’une banque centrale. Cette « durée de circulation » d’un billet (en mois) multipliée par le volume de billets retournés aux guichets de la Banque de France permet d’évaluer le nombre de billets en circulation en France.
Comme la première méthode, ce calcul présente un biais car il intègre les billets détenus en dehors de la zone euro. Ceci allonge les délais estimés puisque ces billets reviennent rarement aux guichets. En conséquence, la méthode tend à surestimer la circulation dans un pays donné.
En outre, elle fait l’hypothèse que les délais de retour sont les mêmes entre tous les pays de la zone euro, ce qui n’est pas le cas. Par exemple, le developpement plus ou moins avancé dans certains pays du recyclage des billets par des opérateurs privés joue aussi sur les délais de retour.
Ces deux méthodes aboutissent aux estimations les plus hautes (respectivement 210 et 125 milliards d’euros en 2015), vraisemblablement surévaluées en raison de la prise en compte de la circulation fiduciaire hors zone euro. Pour mémoire, les dépenses de consommation finale des ménages en valeurs courantes s’élevaient à 1 143 milliards d’euros en 2015.
Le renouvellement de la première gamme des billets en euros a permis d’affiner ces estimations. En effet, depuis 2013, l’Eurosystème remplace progressivement les billets émis depuis 2002 par des billets dotés de signes de sécurité renforcés.
Il est ainsi possible de repérer le moment où la nouvelle gamme de billets s’est substituée à l’ancienne. La substitution s’opérant assez rapidement, le volume des nouveaux billets émis donne une approximation de la circulation nationale, sans biais excessif dû aux migrations transfrontières de billets. A partir de cette date de substitution, l’évolution de la quantité de monnaie en circulation est recalculée au rythme du taux de croissance des dépenses de consommation finale des ménages. Les résultats de cette méthode semblent robustes à la date de substitution. En revanche, au-delà de cette date, l’hypothèse de croissance de la circulation au rythme de la consommation des ménages ne prend pas en compte des facteurs plus structurels, tels que l’usage croissant des moyens de paiement scripturaux.
Une autre méthode estime la circulation européenne « active », c’est-à-dire utilisée à des fins de transaction, en appliquant aux coupures de 5 à 50€ le délai de retour européen de la coupure de 10 euros. La coupure de 10 euros est utilisée car elle est représentative de l’utilisation des billets pour un usage de transaction et peu susceptible d’être thésaurisée. La circulation ainsi estimée à l’échelle de la zone euro est ensuite répartie entre pays selon la part de chaque pays dans la population et le PIB de la zone euro. Enfin, une correction est appliquée pour traduire les préférences nationales dans l’usage des coupures (cf. graphique 2).
Ces différentes méthodes donnent des résultats intermédiaires et surtout limités aux coupures de 5€ à 50€, les seules ayant fait l’objet d’un renouvellement à ce jour. En outre, elles seront peu pertinentes pour les coupures à haute valeur faciale pour lesquelles la thésaurisation est prédominante.
Note : les résultats des deux premières méthodes sont restreints aux coupures de 5 à 50€ afin de les rendre comparables. La méthode fondée sur le renouvellement de la gamme n’est pas présentée car l’émission de la coupure de 50€ est trop récente
La première de ces approches fait la différence entre les émissions nettes nationales (113 milliards d’euros fin 2015) et la circulation non résidente. Les émissions nettes françaises correspondent à l’écart entre la totalité des billets émis par la Banque de France et la totalité de ceux retournés à ses guichets depuis 2002. La demande de billets hors zone euro (banques, bureaux de change) est obtenue à partir des statistiques de balance des paiements et de position extérieure : cela permet d’approcher la détention non résidente d’espèces (33 milliards d’euros). Par soustraction, on peut en déduire la part des émissions nettes françaises qui serait détenue en France par des résidents (80 milliards d’euros) (cf. graphique 3).
Il s’agit néanmoins d’un plancher car les statistiques de la balance des paiements n’incluent pas les autres canaux de sorties de billets, comme le tourisme, les transferts de fonds des travailleurs migrants ou l’économie « non observée ». Les migrations de billets liées au tourisme sont, par exemple, vraisemblablement importantes : à fin 2015, la coupure de 20€ représentait 62,5% des émissions nettes françaises en volume, contre seulement 4,4% des émissions nettes de l’Eurosystème hors France. Ces ordres de grandeur laissent penser que la France est exportatrice nette de billets de 20€ dans la zone euro, même si cette coupure est plus utilisée en France qu’ailleurs.
Une deuxième approche est fondée sur des entretiens qualitatifs conduits avec des représentants de la filière fiduciaire française (banques, transporteurs de fonds, commerce). Elle évalue directement les encaisses transactionnelles détenues par les agents économiques. Au total, elle chiffre le stock d’encaisses correspondant à un motif de transaction en France à 12,2 milliards d’euros en 2015, décomposé de la manière suivante (cf. graphique 4) :
– 8,8 milliards d’euros dans les coffres des banques et chez les transporteurs de fonds ;
– 2,6 milliards d’euros détenus en portefeuille par les ménages ;
– 0,8 milliard d’euros dans le commerce.
Ce résultat, qui correspond à environ 10 % des émissions nettes nationales, est cohérent avec les résultats d’études européennes comparables, par exemple en Allemagne (Bartzsch et Uhl, 2017).
La comparaison des résultats entre les méthodes utilisées pour évaluer la quantité de billets en circulation laisse apparaître des écarts substantiels. En outre, avec un plancher d’encaisses transactionnelles qui représenterait seulement 10% des émissions nettes françaises, un « résidu » important reste inexpliqué : 90% des émissions nettes françaises seraient thésaurisées ou détenues à l’étranger. Le principal enjeu reste donc d’évaluer la thésaurisation et la détention non résidente de billets qui expliqueraient pourquoi les méthodes donnent des résultats si hétérogènes.