En faisant preuve de complaisance envers Vladimir Poutine, le Premier ministre hongrois fâche son traditionnel allié polonais et s’éloigne du groupe de Visegrad.
Ils étaient jusque-là les meilleurs alliés en Europe. Mais l’invasion russe et la guerre en Ukraine bouleversent la relation entre la Pologne et la Hongrie, deux pays aux gouvernements illibéraux.
« Si Orban dit qu’il ne voit pas clairement ce qu’il s’est passé à Boutcha, il devrait aller voir un ophtalmologiste », a cinglé Jarosław Kaczyński, le dirigeant du parti polonais au pouvoir, Droit et justice (PiS), le 8 avril.
Des mots inhabituellement durs envers le Premier ministre hongrois, qui a adopté un discours en demi-teinte sur…
Ils étaient jusque-là les meilleurs alliés en Europe. Mais l’invasion russe et la guerre en Ukraine bouleversent la relation entre la Pologne et la Hongrie, deux pays aux gouvernements illibéraux.
« Si Orban dit qu’il ne voit pas clairement ce qu’il s’est passé à Boutcha, il devrait aller voir un ophtalmologiste », a cinglé Jarosław Kaczyński, le dirigeant du parti polonais au pouvoir, Droit et justice (PiS), le 8 avril.
Des mots inhabituellement durs envers le Premier ministre hongrois, qui a adopté un discours en demi-teinte sur cette ville ukrainienne où des dizaines de cadavres de civils ont été retrouvés après le retrait de l’armée russe.
A contrario, le gouvernement polonais dénonce avec vigueur tous les signaux de crimes de guerre de la part de la Russie depuis le début du conflit.

L’isolement de Budapest

La divergence entre Varsovie et de Budapest sur la Russie n’est pas nouvelle. Pour la Pologne, l’expansionnisme russe est une menace vitale contre sa souveraineté, tandis que l’eurosceptique Viktor Orban a développé ces dernières années une politique tournée vers l’est et Moscou. Le conflit en Ukraine y jette une lumière crue : impossible désormais de cacher ces contradictions sous le tapis. Le groupe de Visegrad, qui regroupe la Tchéquie, la Slovaquie, en plus de la Pologne et de la Hongrie se fissure.
Seul Budapest fait preuve de complaisance envers Moscou, tandis que tous les autres gouvernements affichent un soutien sans équivoque à l’Ukraine
Seul Budapest fait preuve de complaisance envers Moscou, tandis que tous les autres gouvernements affichent un soutien sans équivoque à l’Ukraine. L’organisation intergouvernementale, créée en 1991 pour accélérer le chemin de ces pays vers l’adhésion à l’Union européenne (UE), avait connu une nouvelle dynamique à partir de 2015 quand les quatre gouvernements s’étaient unis pour s’opposer à l’accueil des migrants.
Une réunion du groupe de Visegrad entre les différents ministres de la Défense a été annulée le 30 mars dernier à Budapest. La représentante tchèque, suivie par son homologue polonais, avait annoncé qu’elle refusait de s’y rendre en raison de la position de Viktor Orban sur la guerre en Ukraine. Quant au Premier ministre slovaque, Eduard Heger, il n’a pas félicité publiquement l’homme fort hongrois pour sa réélection le 3 avril, se contentant d’un SMS.
« Depuis qu’ils ont changé de gouvernement, la Slovaquie début 2020 et la Tchéquie à l’automne dernier, ces deux pays sont beaucoup moins enclins à afficher leur proximité avec la Hongrie et la Pologne », relève Jana Vargovcikova, maîtresse de conférences en science politique à l’Inalco.

Retour en grâce de Varsovie à Bruxelles

Le groupe de Visegrad, structure peu institutionnalisée, dépend des intérêts communs des quatre gouvernements. « Quand ils sont d’accord sur un dossier, ils utilisent le label “groupe de Visegrad” pour amplifier leur voix au sein de l’UE », détaille Jana Vargovcikova.
« Dernièrement, Viktor Orban ne parlait plus qu’avec les Polonais », rappelle l’eurodéputée EELV Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteure du Parlement européen sur l’Etat de droit en Hongrie. Les deux gouvernements se soutiennent mutuellement dans leur dérive illibérale d’érosion de la démocratie et des droits fondamentaux, et se protègent des mesures de sanctions de l’UE à leur encontre.
En adoptant une position très ferme contre Vladimir Poutine et en accueillant en masse les réfugiés ukrainiens, la Pologne revient ces derniers mois dans les bonnes grâces de Bruxelles. Un rapprochement que l’on peut même dater de la crise des réfugiés causée par le régime de Loukachenko, qui a propulsé des milliers d’exilés kurdes, irakiens ou encore afghans à la frontière bélarusso-polonaise.
« On a alors vu une unité européenne autour de Varsovie, contre l’arrivée des migrants, pour la construction d’un mur. Arrive ensuite la guerre en Ukraine et on observe une sorte de volonté de rendre sa pureté à la Pologne, une indulgence à son égard », dénonce l’élue écologiste.
La Hongrie de Viktor Orban s’isole dans ce conflit en Ukraine. Il s’agit maintenant de savoir dans quelle mesure Varsovie peut lâcher son allié historique.
« C’est impopulaire d’être vu comme un allié d’Orban ici, car il est perçu comme l’ami de Poutine », indique Mirosław Natanek, professeur à l’Institut des études européennes de l’université Jagellonne à Cracovie. « Alors le PiS fait très attention à s’en distancier, car il y aura des élections législatives à l’automne 2023. »
Pour autant, l’historien ne pense pas que Varsovie se retourne contre Budapest. Il a besoin de cette alliance dans les litiges et les conflits politiques qui les opposent à la Commission européenne et à la Cour de justice de l’UE.
« Même au sein du groupe de Visegrad, on imagine mal une ostracisation complète d’Orban. Il y a un impact sur l’intensité de la coopération, mais la Slovaquie et la Tchéquie ne vont pas cesser totalement de lui parler », estime Jana Vargovcikova.

Blocage des financements européens ?

A la suite de l’élection qui a reconduit Viktor Orban, la Commission européenne a déclenché le 5 avril la procédure de conditionnalité pour les fonds européens à l’encontre de la Hongrie, première étape d’un long processus pouvant mener au blocage de financements pour un pays violant l’Etat de droit.
La Pologne n’est pour l’instant pas visée par une procédure similaire. Mais, pour Gwendoline Delbos-Corfield, cela s’explique pour des raisons procédurales. « Il faut qu’il y ait un lien clair et direct entre les problèmes constatés dans le pays et l’utilisation de l’argent européen, ce qui est le cas en Hongrie, moins en Pologne », soulève-t-elle.
A la suite de l’élection qui a reconduit Viktor Orban, la Commission européenne a déclenché le 5 avril la procédure de conditionnalité pour les fonds européens à l’encontre de la Hongrie
La mesure, qui ne devrait pas produire d’effets avant au moins la prochaine vague de fonds, dans six mois, pourrait frapper un point sensible du système Orban : ses finances. L’inflation a dépassé les 7 % en un an, tandis que la monnaie locale, le forint, s’effondre.
Gwendoline Delbos-Corfield estime que Viktor Orban a bradé les dernières ressources de l’Etat pour se faire réélire, à travers le blocage des prix de produits de première nécessité notamment, ou des aides directes à la population (hausse du salaire minimum, augmentation des traitements des fonctionnaires, treizième mois pour les retraités, etc.).
A la suite de perturbations des marchés – l’indice de la Bourse de Budapest a perdu près de 6 % en quelques jours après l’annonce du déclenchement de la conditionnalité – le gouvernement hongrois s’est même fendu d’un communiqué pour rassurer les investisseurs, le 8 avril. Le document assure que la Hongrie sera « en mesure de répondre de manière satisfaisante aux conclusions de la Commission », et donc percevra les fonds européens.
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