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Bruno Moschetto (professeur de sciences économiques à l’université Paris-1 et à HEC)
Quelles que soient les modalités retenues pour traiter à chaud le problème chypriote, elles posent d’ores et déjà un problème de fond. Ainsi seuls les détenteurs d’avoirs monétaires sont invités à payer et non les détenteurs d’actifs financiers ou immobiliers.
Publié le 15 avril 2013 à 21h54, mis à jour le 15 avril 2013 à 21h54 Temps de Lecture 4 min.
Quelles que soient les modalités retenues pour traiter à chaud le problème chypriote, elles posent d'ores et déjà un problème de fond. En effet, les plans A et B font appel exclusivement à un prélèvement direct sur les dépôts bancaires afin de financer l'impasse et d'obtenir en contrepartie l'aide de la ” troïka “.
Une telle formule constitue une grande première puisqu'elle taxe les dépôts bancaires c'est-à-dire des créances sur les banques lesquelles correspondent pour l'essentiel à la monnaie en circulation.
Or, qu'est-ce que la monnaie ? C'est un des éléments qui caractérisent le concept d'Etat puisque celui-ci repose sur un triangle dont les côtés sont constitués par une population, un territoire et une monnaie. En effet l'ordre monétaire apparaît comme le soubassement fondamental de l'ordre social ainsi que l'a rappelé puissamment Jacques Rueff.
Donc la monnaie est un élément clef de celui-ci. A ce titre, il doit être sacralisé. C'est d'ailleurs à cela que se consacrent ses deux tuteurs que sont la trésorerie publique d'une part et la banque centrale d'autre part de chacun des espaces monétaires. Au sein de cette nécessaire tutelle, la banque centrale s'efforce d'être la gardienne de la valeur relative de la monnaie et par là, protège ses détenteurs contre l'inflation et veille à limiter la hausse généralisée et continue des prix.
Nul doute que dans la plupart des pays avancés et notamment au sein de la zone euro cette mission a été remplie depuis que celle-ci existe, Pour ce qui concerne la valeur absolue de la monnaie – à savoir la certitude pour les déposants de conserver leurs avoirs – c'est aux autorités politiques de veiller à ce que les banques ne deviennent pas insolvables si d'aventure leur exploitation compromettait leur capacité à rembourser les déposants.
MAÎTRISER LE RISQUE SYSTÉMIQUE
D'où l'arsenal des dispositions de réglementation prudentielle pour que les capitaux propres des banques permettent d'absorber toutes les pertes non prévues et non provisionnables et si ceux ci se révélaient insuffisants – il est du devoir des autorités financières afin de veiller à la stabilité de la place – de suppléer les actionnaires par la nationalisation des banques.
C'est ce à quoi l'on a procédé à l'occasion de la crise notamment au Royaume-Uni, en Allemagne et ce pour des banques nationales ou régionales. C'est la traduction de la volonté de maîtriser le risque systémique par l'adoption du principe ” too big to fail ” (trop grosses pour faire faillite).
Autrement dit, il est demandé, à l'occasion de la crise chypriote, aux gardiens de la monnaie en valeur relative et en valeur absolue de sacrifier celle-ci c'est-à-dire les détenteurs d'avoirs monétaires en lieu et place de l'ensemble des détenteurs d'actifs ou de revenus qui auraient dû être sollicités par un accroissement des prélèvements obligatoires afin de financer l'impasse.
Il y a là un paradoxe puisqu'il est demandé aux gardiens de la monnaie d'abandonner la défense des avoirs qu'ils ont la mission impérative de protéger. Sans compter que ce prélèvement direct résultant d'une taxation forfaitaire des dépôts quels que soient leur origine ou leur montant, ne passe pas par le creuset du budget, chambre de compensation des dépenses et des recettes publiques.
Il y a là, à l'évidence rupture du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ainsi seuls les détenteurs d'avoirs monétaires sont invités à payer et non les détenteurs d'actifs financiers ou immobiliers. Ces derniers auraient tous été mis à contribution par une augmentation de l'assiette et des taux des prélèvements fiscaux si une telle formule avait été adoptée.
TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE
Pourquoi ce traitement discriminatoire ? Il ne peut que porter atteinte à la confiance que les détenteurs doivent avoir dans leur unité monétaire et par là organiser la fuite de la monnaie , c'est-à-dire la conversion de celle-ci en actifs réels voire organiser sa fuite à destination d'autres places. Avec toutes les conséquences déstabilisatrices pour l'ordre social du pays qui en serait victime.
L'on peut espérer que ce traitement, à la limite de l'incohérence, sera cantonné au cas chypriote compte tenu du poids relatif de ses agrégats au sein de la zone euro. Il n'empêche qu'un sérieux coup vient d'être porté à la confiance que tous les détenteurs monétaires peuvent avoir dans leur monnaie puisque ses gardiens peuvent être défaillants dans sa protection.
Or la notion de confiance sous tend la valeur d'une monnaie. Toutes les monnaies intègrent ce concept nous rappelle l'économiste François Simiand (1873-1935), dans son analyse de l'évolution sociale et de la monnaie au terme de laquelle pour lui, toutes les monnaies sont fiduciaires – du latin fiducia : confiance -, y compris l'or .
Donc tout doit être fait pour ne pas porter atteinte à cette confiance. C'est précisément ce qui vient d'être fait par le traitement précipité de la crise chypriote.
Fasse le ciel que ce précédent n'ait pas d'effet domino dans la mesure où d'autres pays plus importants de la zone euro connaîtraient des difficultés graves nées de l'application de plans d'austérité aux effets déstabilisateurs. Donc, ne touchons plus au grisbi !
Bruno Moschetto (professeur de sciences économiques à l’université Paris-1 et à HEC)
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