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Alexandre, César et Lucrèce alimentent la chronique des scandales depuis la Renaissance. À l’occasion d’une exposition, Le Point.fr démêle le vrai du faux.
Temps de lecture : 7 min

Aujourd’hui, le nom de Borgia rime avec luxure, pouvoir et violence. La faute à Hugo et sa pièce Lucrèce, à Dumas et sa Série des crimes célèbres. Puis au petit écran, qui a bien compris le filon. Mais si les Borgia étaient un peu plus que ça ? Éléments de réponse avec Federica Fruttero, la responsable des expositions du musée Maillol qui accueille Rodrigue, César et Lucrèce Borgia le temps de l’exposition “Les Borgia et leur temps”, qui se tient jusqu’au 15 février 2015.
REGARDEZ le teaser de l’exposition
Le Point.fr : Les Borgia étaient-ils réellement assoiffés de pouvoir ?
Federica Fruttero : Le plus grand désir de Rodrigue Borgia était l’expansion. Il vient d’une famille de la petite noblesse d’Aragon, c’est sans doute pour cela qu’il choisit la carrière ecclésiastique, qui permet de s’élever rapidement dans l’échelle sociale. Son oncle, Alonso Borgia, est élu pape un peu par hasard en 1455 et prend le nom de Calixte III. Il meurt en 1458, mais a le temps de mettre en place un réseau d’Aragonais et de nommer son neveu Rodrigue cardinal à l’âge de 24 ans. Ce dernier est ensuite élu pape en 1492. Il devient Alexandre VI, en référence à Alexandre le Grand. Il n’y a pas de preuves formelles selon lesquelles il aurait acheté les voix pour être élu, mais il a sans doute placé avant l’élection les bonnes personnes aux bons endroits pour influencer les cardinaux. Une fois élu, il place ses enfants et ses proches aux postes clés pour mieux contrôler la situation et assurer le futur de sa famille, les hautes fonctions dans la curie romaine rapportant beaucoup d’argent. Mais son but, partagé ensuite par son fils César, était avant tout politique. En mettant fin au schisme d’Occident, Calixte III a permis à la papauté de revenir définitivement à Rome, redonnant à cette ville sa place parmi les cours italiennes. Rodrigue et César Borgia veulent alors renforcer le pouvoir temporel du pape et l’étendre à toute l’Italie, alors morcelée en différentes principautés et cités. S’ils avaient réussi à unifier l’Italie, ça aurait sans doute rejailli sur l’Espagne, leur pays d’origine. Indéniablement, cette façon de privilégier le pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel est étonnante de la part d’un pape. Mais on peut aussi le voir du côté positif. Le projet des Borgia aurait permis de dépasser cette vision de la Cité-État qui existait en Italie depuis la civilisation étrusque, pour arriver à une forme d’État plus unifié et faire le poids face aux autres grandes puissances. Forme que l’Italie n’a adoptée qu’il y a 150 ans, et encore…
Les Borgia étaient-ils vraiment des débauchés ?
Rodrigue Borgia a eu deux maîtresses importantes : Vannozza Cattanei et Giulia Farnèse. Il aura quatre enfants de la première, dont César et Lucrèce, et un de la deuxième. Mais on sait qu’il a eu en tout neuf enfants. Les quatre restants sont donc le fruit de ses nombreuses aventures. De plus, sa liaison avec Giulia Farnèse a des parfums de scandale : en 1489, quand elle devient sa maîtresse, elle a 15 ans et lui, 58. Il la marie avec un aristocrate, Orso Orsini, afin de sauver les apparences, mais il l’installe à côté du palais pontifical pour en profiter à sa guise. Cependant, au regard des différents travaux historiques réalisés sur les Borgia, on se rend compte que leurs moeurs étaient monnaie courante dans le Vatican du XVe siècle. Un grand nombre de cardinaux entretenaient des maîtresses et avaient des enfants cachés. Ce qui a marqué les esprits, c’est que Rodrigue Borgia, autour de qui tout tourne, a reconnu officiellement les enfants de Vannozza, et ça, c’est une première pour un homme d’Église. C’est sans doute à cause de cela qu’on leur a fait ensuite une réputation de débauchés. À César Borgia, on prête de nombreuses aventures, mais, là encore, il y a peu de différences entre son comportement et celui de son environnement. Quant à Lucrèce, elle a certes été mariée trois fois, mais c’était pour servir les desseins politiques de son père et de son frère.
Il y a tout de même cette histoire d’inceste. César aurait été amoureux de sa soeur…
Il n’y a aucun écrit relatant une relation incestueuse, même si deux éléments ont nourri cette accusation. Le premier est un épisode du journal de Jean Burckard, maître de cérémonie du Vatican, qui raconte que Rodrigue, César et Lucrèce ont regardé ensemble des scènes d’orgie. Mais, au sens strict, cela ne signifie pas qu’il y ait eu inceste. Ensuite, il y a un épisode étrange qui se déroule en 1498 : César Borgia tue Pedro Caldès, un jeune homme attaché à la personne du pape, qui aurait mis Lucrèce Borgia enceinte. On a dit que César avait tué Caldès parce qu’il aimait trop sa soeur et qu’il n’avait pas supporté cette liaison. Mais visiblement ce meurtre s’explique avant tout pour des raisons tactiques. César aurait tué cet amant, car il n’avait aucun poids politique, et cela ne servait pas les intérêts de la famille.
Ce qui accrédite par contre leur réputation de grande cruauté.
Disons que le pape Alexandre VI était un fin politique qui ne s’embarrassait pas de scrupules. Peu avant sa mort, il avait un grand nombre d’ennemis. Lorsqu’il meurt en 1503, son cadavre sent tellement mauvais que la thèse de l’empoisonnement est aujourd’hui la plus probable, même si on ne sait pas qui est derrière le meurtre. César Borgia était, lui, un chef de guerre impitoyable. Il est ainsi soupçonné d’avoir fait assassiner son frère. Machiavel, envoyé comme ambassadeur de Florence au Vatican, décrit les choses affreuses que César fait à ses ennemis dans des lettres qu’il envoie en Toscane. À un moment, il raconte une conjuration élaborée contre César. Ce dernier parvient à la déjouer au dernier moment. Il réunit alors ceux qui ont trempé dans ce complot et les fait passer au fil de l’épée. Mais il faut noter que c’est ce même César Borgia que prendra Nicolas Machiavel en modèle pour écrire son célèbre traité Le Prince. Pour Lucrèce, les avis divergent. Jean Burckard en parle de façon épouvantable, tandis que, lorsqu’elle devient duchesse d’Este à Ferrare, en 1505, les chroniqueurs la décrivent comme une femme douce, gentille et très cultivée.
Les Borgia ont-ils été oui ou non de grands mécènes ?
Oui, c’est à partir des Borgia que la Rome de la Renaissance prend l’aspect qu’elle a aujourd’hui. Dans les années 1480, les grands centres culturels de la Renaissance sont des villes riches et bien établies comme Venise et Florence. Le pape Alexandre VI amorce la transformation de Rome en commandant au Pinturicchio, un des plus grands peintres de son temps, de magnifiques fresques à mi-chemin entre le gothique et la Renaissance, dans ses appartements privés du Vatican. Les Borgia ont également convoqué tous les grands artistes romains de leur temps, comme le peintre Antoniazzo Romano qui a décoré plusieurs églises de Rome, ou encore le sculpteur Andrea Bregno qui à l’époque était l’un des plus célèbres d’Italie. Ensuite, en mettant en place un système de favoritisme accompagné de larges rentes aux cardinaux, Alexandre VI permettait à ces derniers de construire leurs palais et, de ce fait, il a oeuvré pour l’embellissement de Rome. Il a nommé des superviseurs pour permettre aux architectes des cardinaux de construire des palais à tels endroits plutôt qu’à d’autres, de façon à préserver les vestiges de la Rome antique. Les Borgia avaient déjà le sens de la préservation des biens d’une civilisation qui avait existé avant eux. Mais l’art était également utilisé comme un instrument de pouvoir. C’est notamment le cas lorsqu’ils décident d’envoyer des artistes italiens à Valence, leur ville d’origine, afin de montrer qu’ils occupent désormais le sommet du monde.
Finalement, les Borgia étaient-ils croyants ?
Il est très difficile de répondre à cela. Les Borgia présentent des aspects contradictoires dans ce domaine. Tout d’abord, il est intéressant de noter qu’Alexandre VI avait une passion pour l’Égypte antique et ses mythes. Le taureau, symbole de la famille Borgia, serait ainsi une référence au taureau Apis de l’ancienne religion égyptienne. Or, c’est un des avatars du dieu Osiris, dieu de la fertilité et symbole de la vie après la mort. Ensuite, il y a quand même eu trois jubilés sous les Borgia, notamment celui de 1500 sous Alexandre VI, où l’accent est mis sur la fraternité et la rémission des péchés. Ce dernier a également aménagé des voies spéciales pour que les pèlerins puissent aller se recueillir sur la tombe de saint Pierre, dont la “via Alessandrina” qui reliait le Vatican à la porte Saint-Pierre. D’un autre côté, les Borgia étaient surtout attachés à la puissance temporelle de l’Église et aux plaisirs charnels. Alexandre VI a également mis en place le système des indulgences, où il fallait payer pour avoir le paradis, et utilisait l’excommunication comme arme politique. Enfin, on ne peut pas exclure qu’il ait eu une vision purement intéressée de la religion. Avant d’être pape, le fait d’avoir occupé les plus hautes fonctions dans la curie romaine lui a permis d’amasser un trésor considérable qu’il a pu léguer à ses enfants. De même, son fils César a été nommé cardinal très rapidement, et quand il délaisse la carrière ecclésiastique pour la carrière des armes en 1498, c’est avec l’argent et les biens qu’il a accumulés comme prince de l’Église qu’il lève ses armées et paie ses alliances.
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« On s’en fout » nous dit cet individu. « D’attraper la vérole… », disions nous lorsque nous étions étudiants. Cet esprit éclairé oublie que dans 50 ans bien de nos descendants traiteront l’Histoire de nos contemporains de la même manière que lui. À l’en croire, aussi bien déféquer de suite sur le présent et tirer la chasse.
… On parle de nous d’une manière assez objective. Cela montre que les petites turpitudes des Princes qui nous gouvernent (mal) actuellement ne sont que roupies de sansonnet en comparaison de nos exploits.
Sans doute ne laisseront-ils pas dans l’histoire un aussi fulgurant artéfact que celui que nous avons tracé. Chaque époque a les Princes qu’elle mérite !
Il a édité la bulle’inter caetera”en 1493 puis le traité de Tordesillas en 1494, qui ont partagé le Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal, ce qui a évité des guerres inutiles entre ces deux grands pays latins.
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