La nuit pose son voile sombre sur le style Renaissancede la place centrale de Lviv, en Ukraine. Des groupes de jeunes employés tout juste sortis du bureau s’agrègent aux touristes. Visiteurs et locaux poussent les portes d’un ancien grand magasin où, dans un décor de briques et de métal façon Brooklyn, des musiciens jouent entre de grandes cuves.
Nous sommes à Pravda, une brasserie créée au printemps 2014 à Lviv (730 000 habitants), métropole de l’Ouest ukrainien. Grâce à un marketing habilement dosé, Pravda a fait le buzz pour ses bières artisanales, et très politiques : des boissons originales, au goût très marqué, dont les bouteilles arborent l’effigie d’hommes politiques ou commentent la diplomatie mondiale.
Dans la boutique, une étiquette agrandie en poster saute aux yeux : Vladimir Poutine, en roi nu sur son trône, avec son Premier ministre Dmitri Medvedev, en bébé assis sur les genoux, non loin d’une peluche aux grandes oreilles, représentant l’ancien président ukrainien pro-Kremlin, Viktor Ianoukovitch. Nom de la bière : Putin Huilo. Traduisez trivialement par « tête de noeud ».
Obama Hope, une bière pour critiquer l’inaction du président américain dans la crise ukrainienne, en 2014. (Gaëlle Girbes pour Le Parisien Week-End)
« Vous ne la trouverez plus, elle est épuisée, explique en souriant Iouri Zastavniy, sympathique et élégant quadra, directeur et fondateur de la brasserie. L’an dernier, on l’a présentée au BeerFest de Bruxelles. Il y avait 40 brasseurs, 400 bières en compétition, les deux plus vendues en stand ont été la Poutine et notre bière Donald Trump ! »
A 46 ans, Iouri Zastavniy fait partie de cette nouvelle génération d’entrepreneurs bien décidés à changer les mentalités en Ukraine. Originaire de Lviv, il a fait ses études à Londres, puis a travaillé des années comme acheteur à Bruxelles pour une marque de vêtements.
« En Belgique, avec ces micro-brasseries fantastiques, j’ai compris que la bière pouvait être bonne et différente », explique-t-il. Revenu en Ukraine, Iouri mûrit son idée. « Lviv est un joyau riche de son héritage polonais, ukrainien, autrichien et juif, dit-il. Mais, après la période soviétique, la bière qu’on y produisait était devenue un produit de masse au goût insipide. »
Deux ans durant, il s’initie au métier auprès de brasseurs de renom, en Belgique et aux Pays-Bas. Il s’associe avec Fest, un puissant groupe de restauration de Lviv. « Et puis, on a créé la brasserie en 2014, à la fois au meilleur et au pire moment de l’histoire ukrainienne… »
Après la révolution de février, la Russie annexe la Crimée, péninsule ukrainienne sur la mer Noire. Un conflit armé éclate avec des séparatistes pro-russes, à 1 300 kilomètres de Lviv. « C’était une période terrible. Le cours de notre monnaie, la hryvnia, a été divisé par trois. Je payais mes investissements en euros et vendais mes bières à perte, se souvient Iouri. Tous les mois, on se rendait aux funérailles d’un copain qui s’était fait tuer à la guerre. Mais il fallait tenir, c’était le projet d’une vie. »
Il sollicite un célèbre brasseur belge et trois jeunes Ukrainiens, qui testent alors des dizaines de recettes. La première à marcher est une puissante brune baptisée Sila, « force » en ukrainien. « Sa bouteille représente la tour de l’aéroport de Donetsk, une des batailles les plus meurtrières de la guerre, lors de laquelle nos soldats ont résisté pendant plus d’un an », raconte Iouri.
Certaines bières encapsulent l’air du temps, d’autres sont à l’effigie de figures politiques. « Pour nous, les Ukrainiens, Poutine est un dictateur et le responsable d’une guerre qui déchire notre pays et qui n’aurait jamais dû se dérouler », déclare Iouri.
Les sous-bock reprennent les étiquettes des « bières politiques ». Ici, celles d’Angela Merkel et de Donald Trump. (Gaëlle Girbes pour Le Parisien Week-End)
« La bière Trump, c’était mon idée, admet, un peu rigolard, Cory McGuinness, le maître-brasseur américain de Pravda, originaire de l’Oregon. Quand j’ai entendu Donald Trump débiter son idée de mur à la frontière avec le Mexique, je me suis dit qu’il fallait qu’on lui dédie une blonde mexicaine, comme la Corona, que j’adore. » La bière, vendue 50 hryvnias (1,50 euro), prix élevé pour les locaux, fait pourtant un carton dans les supermarchés et contribue au succès de Pravda, dont l’activité a été multipliée par trois en deux ans.
On trouve déjà sa production dans des caves spécialisées en Pologne, en Allemagne, en Belgique ou en Suisse, et l’entreprise compte doubler son volume en 2018, alors que l’Ukraine connaît un timide retour de la croissance économique. La petite dernière sortie de leurs cuves s’appelle la Trudeau, une blonde « en hommage au Premier ministre canadien, une vraie idole en Ukraine », explique Iouri. Bientôt une bouteille à l’effigie de Macron ? « Pourquoi pas, on y a pensé, sourit-il. Mais on attend de voir ce qu’il fera pour notre pays. »
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