Une activiste ukrainienne contrainte de fuir la ville portuaire sur la mer d’Azov raconte à La Croix l’ampleur des bombardements russes et le « cauchemar » dans lequel vivent les quelque 450 000 habitants assiégés.
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Ukraine : « Les Russes ne veulent pas capturer Marioupol, ils veulent en faire un champ de ruines »
Un incendie après un bombardement sur un quartier résidentiel de Marioupol, jeudi 3 mars. 
@AYBURLACHENKO/via REUTERS
A woman walks past the debris in the aftermath of Russian shelling, in Mariupol, Ukraine, Thursday, Feb. 24, 2022. Russia has launched a barrage of air and missile strikes on Ukraine early Thursday and Ukrainian officials said that Russian troops have rolled into the country from the north, east and south. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)
Evgeniy Maloletka/AP
Diana Berg ne voulait pas fuir. Pas à nouveau, pas après avoir déjà quitté sa ville natale de Donetsk huit ans plus tôt, lors de la saisie de la capitale régionale par des séparatistes soutenus par Moscou. Elle avait fait de Marioupol, port calme sur les bords de la mer d’Azov, sa ville d’adoption. Elle avait participé en activiste joyeuse et exubérante à la renaissance culturelle d’une ville presque miraculeusement devenue agréable, malgré la fumée âcre des usines sidérurgiques à sa périphérie. « Je voulais rester », répète-t-elle au téléphone, timbre chaud et voix agitée.
Marioupol, une ville stratégique assiégée et bombardée par l’armée russe
« Je voulais rester, aussi longtemps que possible, j’essayais de me rendre utile, d’aider, et puis c’est devenu intenable, cette horreur, cette obscurité dans tous les sens du terme. » Une semaine après le début de l’invasion russe, Diana Berg a fui l’enfer de Marioupol, transformée en quelques jours en ville assiégée et pilonnée, dépourvue d’eau, de nourriture, d’électricité et de tous moyens de communication.
Le 24 février, la guerre russo-ukrainienne a commencé à Marioupol, comme partout à travers le pays, avec le bruit étouffé d’explosions au loin. Pas, au départ, de quoi faire paniquer une ville qui vivait depuis 2015 à moins de 20 kilomètres de la ligne de front entre l’armée ukrainienne et les groupes séparatistes. « Mon premier réflexe ce matin-là a été de me demander s’il faudrait que j’annule le programme de résidence de Tiou, notre plateforme artistique », raconte-t-elle, sans pouvoir retenir un rire nerveux au souvenir d’une pensée normale devenue totalement dérisoire.
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Mais la situation se dégrade très vite. Alors que les séparatistes bombardent et tentent d’avancer depuis l’Est, l’armée russe débouche depuis la Crimée, à l’Ouest, et progresse rapidement le long des côtes. La tenaille est évidente, mais l’armée ukrainienne ne parvient pas à l’empêcher de se refermer : le 27 février, les quelque 450 000 habitants de Marioupol se réveillent dans une ville assiégée. Vingt-quatre heures plus tard, eau, électricité, gaz et Internet sont aussi coupés, alors que les troupes russes se mettent à pilonner sans relâche les quartiers résidentiels de la ville, faisant d’après le maire adjoint Sergueï Orlov « des centaines de morts ».
Avec le reste de la population, Diana Berg se retrouve dans un « cauchemar ». En se rappelant ces quelques jours, la rapidité avec laquelle la ville s’est retrouvée dans le chaos, le rythme de sa voix s’accélère et un flot de paroles se déverse : « Tout est bombardement et explosions autour de vous, vous essayez simplement de survivre alors qu’il n’y a plus de nourriture, plus d’essence, plus d’eau potable. Vous êtes dans le noir dans des maisons froides, vos téléphones et vos ordinateurs n’ont plus de batterie et même s’ils en avaient encore, vous ne pourriez pas appeler pour savoir si vos amis sont toujours vivants. Vous faites la queue pour avoir de l’eau potable parce qu’il n’y a plus d’eau, les bombes tombent tout autour de vous, des gens sont tués et vous ne pouvez pas les enterrer à cause des bombardements permanents. »
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Le siège de Marioupol se transforme très vite en catastrophe humanitaire, et deux tentatives d’évacuer la population capotent les 5 et 6 mars en raison de bombardements, Ukrainiens et Russes s’accusant mutuellement d’être responsables de l’échec.
La violence est insensée mais, pour cette activiste, froidement calculée : « Ils ne veulent pas capturer Marioupol, ils veulent simplement en faire un champ de ruines parce que Marioupol était un symbole de la résistance et ils veulent détruire ce symbole. » En 2014, les séparatistes soutenus par Moscou avaient échoué à s’emparer de la ville, offrant une rare victoire à une Ukraine encore sous le choc de l’annexion de la Crimée et du démarrage du conflit dans l’est du pays.
La mort dans l’âme, Diana Berg a fui le 3 mars, lors d’une échappée désespérée en voiture qui l’a vu croiser la route d’une colonne de véhicules blindés russes. Réfugiée quelque part dans le centre de l’Ukraine, elle tente aujourd’hui avec son mari d’organiser l’évacuation de ceux toujours piégés dans la ville.
Elle appelle l’Occident à la mise en place d’une zone d’interdiction aérienne, « seul moyen de sauver la population civile d’Ukraine ». Et réfléchit à son avenir, dans un pays sous le coup d’une invasion russe. « Je voudrais aider d’une manière ou d’une autre », assure-t-elle après un moment de silence. « Mais il faut d’abord que nous nous aidions nous-même, parce que nous avons énormément souffert, mentalement et physiquement. »
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