Le retour à la réalité pourrait avoir un impact important. Alors mieux vaut s’y préparer, et anticiper du mieux que possible le retournement de tendance sur les dettes, l’inflation, et la croissance…
Bill Bonner et Porter Stansberry ont débuté lundi une discussion sur les fantasmes qui contrôlent l’économie américaine. Après avoir parlé du problème le plus important, celui de la monnaie, ils ont continué hier ce débat en abordant la question de la transition énergétique.
Dans cette troisième et dernière partie de leur entretien, Bill et Porter reprennent leur discussion là où ils l’avaient laissée et s’intéressent aux conséquences d’un éventuel retour à la réalité, ainsi qu’aux pistes d’investissement qui en découlent.
Bonne lecture !
Porter Stansberry :
Bill, pour toi, quelles pourraient être les conséquences de cette confrontation entre ces fantasmes et la réalité ? Je me permets de commencer car celles que j’envisage sont assez simples.
Pour moi, il y a fort à parier que nous serons confrontés à une crise mondiale d’hyperinflation, comme celle qui a touché le marché des obligations d’État britanniques. Nous l’avons déjà vu sur le marché des obligations libellées en euros. Nous l’avons déjà vu sur le marché des obligations libellées en yens. Nous avons déjà vu ces monnaies s’effondrer.
La raison pour laquelle le dollar ne s’est pas encore effondré, c’est que notre économie est plus grande et plus forte, et que nos taux d’intérêt sont plus élevés. Mais les taux d’intérêt font encore pâle figure à côté des taux d’inflation. Or, rien ne porte à croire que l’inflation va refluer.
L’une des conséquences très intéressantes de la hausse de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt est que nous ne pouvons plus nous permettre de contracter de la dette. Or, je n’ai vu aucun commentateur expliquer que si le gouvernement américain devait payer un taux d’intérêt de 6% sur l’ensemble de la dette qu’il a contracté jusqu’à présent, ce montant serait supérieur à l’ensemble des recettes fiscales.
B B. :
Ça ne devrait pas tarder. La dette devrait atteindre 40 000 Mds$ d’ici deux ans et personne ne sait ce qui se passerait en cas de crise. A 40 000 Mds$ et au taux actuel de…
P.S. :
Et la durée moyenne de ces prêts est de trois à quatre ans.
B B. :
Oui, de trois à quatre ans. Il faut donc la refinancer au fil du temps. A chaque fois à des taux plus élevés. C’est donc exactement l’inverse de que nous avons connu ces 40 dernières années. Au cours des 40 dernières années, nous n’avons cessé d’accumuler de la dette, mais nous la refinancions à des taux d’intérêt de plus en plus bas. Les montants à rembourser ont donc diminué. Désormais, non seulement la dette s’accumule à une vitesse vertigineuse, mais en plus, le coût de refinancement augmente de plus en plus rapidement. Tout cela va exploser. Quand ? Personne ne sait.
P.S. :
Le plus effrayant à ce sujet est que la monnaie américaine, le dollar, est le pilier du système commercial mondial. Les banques centrales du monde entier règlent leurs dettes commerciales en dollars. Toutes les marchandises ou presque s’échangent en dollars. Les conséquences ne sont pas simplement effrayantes pour les Américains, qui perdent du pouvoir d’achat. Elles le sont également pour les gens du monde entier.
B B. :
Nous nous rapprochons d’un effondrement mondial. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Toutes les devises du monde, les grandes devises, dépendent du dollar, à une exception près : le rouble russe. Toutes les monnaies du monde suivent le même schéma. Tous les gouvernements dépensent sans compter et couvrent leurs dettes en faisant tourner la planche à billets, à commencer par la Fed.
Nous allons donc assister à une poussée d’inflation partout dans le monde. L’Angleterre affiche déjà une inflation de 10%, par exemple. Ces taux d’inflation sont déjà impressionnants et l’histoire nous montre qu’il est impossible d’endiguer l’inflation quand les taux d’intérêt réels sont inférieurs aux taux d’inflation.
P.S. :
Partant de l’exemple anglais, cela signifie qu’il faudrait des taux d’intérêt supérieurs à 10%. Ce qui n’est pas près d’arriver.
B B. :
Combien d’Américains pourraient rembourser leur emprunt immobilier avec un taux d’intérêt de 10% ?
P.S. :
Aucun.
B B. :
Comment le gouvernement peut-il donc rembourser sa dette avec un taux d’intérêt de 10% ? Si les obligations du Trésor à 10 ans avaient un taux d’intérêt de 10%, cela représenterait une charge d’intérêt de 3 000 Mds$ chaque année.
D’où viendrait l’argent pour payer cela ? Cela ne fonctionne pas. Nous fonçons donc droit dans le mur. Et la crise que je vois se profiler à l’horizon est le résultat de ce mélange de fantasmes au sujet de la monnaie, du pouvoir, de la façon dont les gens vivent, de la façon dont ils pensent.
Nous allons au-devant d’une énorme crise, d’une grande catastrophe. Nous nous apprêtons à connaître le même sort que l’Argentine. J’aime l’Argentine, donc je ne me plains pas.
P.S. :
Tu y vas souvent, tu as pris les devants.
B B. :
Je ne m’en plains pas, mais la vie est difficile là-bas.
P.S. :
Quelle est la solution pour le foyer américain lambda ? Comment peuvent-ils s’en sortir dans un monde devenu fou ?
B B. :
C’est une bonne question.
P.S. :
Cela a en tout cas une incidence sur la façon dont les gens interagissent. Car, sans argent, les gens ne se font pas confiance.
B B. :
Exactement. C’est la raison pour laquelle je pense que cette crise sera pire que toutes celles que nous avons connues jusqu’à présent. Car les pauvres Argentins par exemple ne peuvent rien y faire. Ils descendent dans la rue, ils se réunissent, ils manifestent, ils votent et obtiennent des aides de l’Etat. Cela fait bien longtemps que les Argentins de la classe supérieure ont compris qu’il fallait posséder des comptes bancaires libellés en dollars et domiciliés hors d’Argentine. Les banques de Miami abritent une grande quantité d’avoirs argentins.
Dans tous les pays d’Amérique latine, la classe moyenne a toujours acheté des biens immobiliers. Ils achètent des appartements, des maisons, des terrains, car ils savent que les prix peuvent augmenter ou baisser, mais ce sont des actifs qui ne disparaîtront pas. Ce sont des stratégies qu’ils ont toujours utilisées et je pense que les ménages américains useront des mêmes stratégies, plus ou moins. Sauf que nous n’irons pas à Miami pour ouvrir des comptes bancaires libellés en pesos argentins. Nous ne disposons pas de cette option.
Peut-être que ce sera le bitcoin ou l’or, fort de son statut d’actif refuge. J’aime bien l’or, mais qui sait s’il s’en sortira mieux ? Cependant, ce n’est pas un secret : l’important est surtout de comprendre ce qui se passe. Or, ce sera très difficile pour les Américains, car ils n’ont jamais eu à le faire auparavant. Les Argentins ont l’habitude. Ils savent que, lorsque le gouvernement leur dit quelque chose, il s’agit d’un mensonge.
P.S. :
Exactement.
B B. :
Les Américains pensent toujours que le gouvernement leur dit la vérité. Il faut donc apprendre.
P.S. :
Oui, et c’est marrant car, en l’absence d’argent digne de ce nom, tout devient de plus en plus politisé, car les gens doivent s’organiser pour obtenir une hausse des salaires qui leur permet de faire face à l’inflation. Cela se traduit donc par une montée du syndicalisme. Et bien entendu, cela tend à diviser les gens.
B B. :
Il y a un point sur lequel il convient d’insister : avant 1971, pour gagner plus de monnaie, il fallait le mériter. Pour gagner de la monnaie, il fallait fournir un bien ou un service à quelqu’un d’autre, ce qui se traduisait par de la création de richesse. Après 1971, dans un monde faisant la part belle à la monnaie sans valeur, il est devenu possible de gagner de la monnaie sans le mériter. Depuis cette date, les gens peuvent obtenir de la monnaie s’ils sont en première ligne pour obtenir des aides et des prêts.
P.S. :
Ou alors grâce à la hausse des prix. Vous possédez une maison, vous la vendez pour récupérer des dollars, les dollars ont perdu de la valeur donc vous en obtenez plus… Mais, dans la tête des gens, il s’agit de revenus.
B B. :
Un autre exemple : si vous dirigez une entreprise, vous pouvez emprunter de l’argent à des taux inférieurs à ceux du marché. Vous prenez cet argent, vous rachetez vos propres actions, et vous vous accordez un bonus pour vous récompenser de la hausse du prix des actions. Ça devient tellement ridicule, tellement ubuesque, que les gens ne savent plus quoi penser.
P.S. :
Et donc au fil du temps, la productivité recule par rapport à la hausse des salaires et des prix.
B B. :
C’est cela. La mauvaise allocation du capital entraîne une contraction de la croissance et des bénéfices.
P.S. :
Penses-tu qu’il y aura un investisseur ou un type d’investissement en particulier qui s’en sortira mieux que les autres ? Dans les années 1970, Warren Buffet et les investisseurs « value » [NDLR : qui investissent dans des titres qu’ils considèrent comme sous-valorisés en Bourse] ont signé d’excellentes performances boursières.
Certains types d’investissement sont aussi plus performants durant les périodes de chaos et d’inflation. Ce sera l’inverse de ce que à quoi nous avons assisté jusqu’à présent. Nous savons que les valeurs technologiques ne seront pas à la fête avec les taux d’intérêt élevés…
B B. :
Effectivement.
P.S. :
… En revanche, il se pourrait que le cuivre signe de bonnes performances, par exemple, car le cours va augmenter. La demande en cuivre devra augmenter.
B B. :
Oui. Eh bien, je pense que c’est la nature des choses lorsque l’économie prospère, lorsqu’elle croît. Le réseau des relations financières et commerciales s’étend. La mondialisation a lieu et il est possible de faire du commerce avec des gens du monde entier, que vous n’avez jamais rencontrés, dont vous ne parlez pas la langue.
Lorsque l’économie se contracte, c’est l’inverse. Les choses vous reviennent en pleine figure. Les prix baissent car vous anticipez une baisse de vos bénéfices. Le monde des affaires plombe votre activité.
Nous assistons à ce phénomène, à la démondialisation de l’économie mondiale. Les gens s’appauvrissent car le commerce mondial se contracte. C’est fini, les fraises en provenance du l’autre bout du monde. C’est un phénomène de démondialisation et de définanciarisation de l’économie. Les prix retombent à des niveaux plus réalistes.
Par conséquent, mieux vaut investir dans les entreprises qui parviendront à survivre à l’effondrement de nos fantasmes. Il faut donc rester à l’écart de Spotify et de l’informatique sur le cloud, entre autres.
Il serait plus judicieux d’investir dans les entreprises qui produisent du cuivre, des fraises, des produits alimentaires et des minéraux… Des entreprises solides. Elles devraient vous permettre de tirer votre épingle du jeu.
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Bill Bonner est le co-auteur de plusieurs best-sellers comme L’inéluctable faillite de l’économie américaine, L’empire des dettes et Hormegeddon. Dans son dernier livre, Gagner ou Perdre, il explore l’avancée de nos sociétés modernes, leurs hauts et leurs bas – et révèle en chemin la règle unique qu’une société doit suivre si elle espère progresser… tout en montrant ce qui arrive à ceux qui ignorent cette règle. En 1978, Bill a fondé Agora – désormais le plus grand réseau de recherche indépendante au monde. Il a lancé des entreprises partout dans le monde – dont les Publications Agora en France… emploie des milliers de personnes… a investi sur cinq continents… a acquis plus de deux douzaines d’entreprises… possède des centaines de milliers d’acres de terrain… parcourt plus de 150 000 km chaque année… et a lancé plus de 1 000 produits. Ses notes quotidiennes, publiées notamment dans La Chronique Agora, sont lues par plus de 500 000 personnes dans le monde – dont près de 40 000 en France. Bill s’est donné pour mission d’identifier les meilleures opportunités d’investissement – et de montrer où les investisseurs particuliers commettent les erreurs les plus coûteuses. En deux mots, Bill offre un regard lucide sur le monde de l’économie et de l’investissement — un point de vue contrarien et sans concession, que vous ne retrouverez nulle part ailleurs.
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