L’écrivain Mickael Korvin revient, mais cette fois-ci sans insulter personne. Dans ce manifeste spirituel, il expose simplement ses arguments pour éviter à la langue française un destin de “patois local”.
[Express Yourself]
Le 3 juin 2004, après des décennies de tergiversations et malgré les violentes pressions des opposants à la réforme orthographique de l’allemand, son introduction a été rendue obligatoire dans les écoles germanophones outre-Rhin, en Autriche et en Suisse. L’écriture des langues ayant une orthographe plus ou moins en accord avec la prononciation, telles que le finnois, le serbe, l’italien, le portugais et l’espagnol, est bien plus aisée à maîtriser. En français, comme en anglais et en irlandais d’ailleurs, non seulement la prononciation a évolué depuis l’instauration des règles d’écriture, mais de plus celles-ci sont devenues anachroniques et peu homogènes. Nos règles grammaticales sont parmi les plus draconiennes de l’Histoire des langues. Dans les colonnes qui suivent je vais démontrer qu’une reforme encore plus ambitieuse de la langue française est non seulement dans l’ordre de notre évolution linguistique mais également nécessaire à sa diffusion, et donc à sa survie.
Dans le passé récent, de nombreuses langues ont subi d’importantes réformes orthographiques et grammaticales. La romanisation du chinois dans les années 50 et sa simplification; le “livret vert” de la réforme orthographique hollandaise de 1995; le grec s’est débarrassé de ses archaïsmes; l’indonésien s’est mis en phase avec la langue parlée malaisienne, la plus répandue; en 1946, les Japonais ont éliminé des caractères ne correspondant plus à la prononciation moderne; le portugais a supprimé les redondances dues à une épellation étymologique, réduit le nombres de mots marqués de diacritiques et rapproché les orthographes brésilienne et afro-européenne; les soviétiques ont effacé du russe quatre lettres obsolètes; les catalans ont standardisé leur orthographe au début du 20e siècle; en 1948, les Danois se sont alignés sur les autres pays scandinaves en abandonnant la capitalisation des noms communs, ainsi que le digraphe Aa/aa et le W est devenu une lettre à part entière (et non plus une simple variation du V); le suédois, en 1906, a homogénéisé l’orthographe de /v/ et a changé sa terminaison adverbiale et adjective neutre -dt par -t ou -tt selon la longueur de la voyelle précédente…
Le français aussi: en 1990, 2000 mots ont été modifiés, et une poignée de règles grammaticales simplifiées, approuvées par la France, la Belgique et le Québec en 2004. Le Larousse 2012 incorpore tous ces changements. Mais ces petits aménagements entre amis sont loin d’être suffisants. Par exemple, l’une des grandes modifications de la reforme de 1990 fut de remplacer “réglementaire” par “règlementaire” avec un accent grave! C’est gravissime en effet!
L’opposition aux importantes et indispensables réformes de la “langue de Molière” s’appuie souvent sur trois arguments: la supposée inaccessibilité de la littérature classique, la supposée dévalorisation de la langue et de supposées conséquences imprévisibles (oralité progressive de la langue écrite, générations futures déculturées, anarchie grammaticale, etc.). Adressons ces trois freins:
– la littérature classique restera toujours autant accessible, mais maintenant classifiée “ancien français”, à l’instar d’une langue morte
– le “nouveau français” sera méticuleusement construit par des éminences pour tout gagner sans rien perdre. Plus accessible, moins sévère, il se répandra facilement parmi les milliards de citoyens du monde se sentant une affinité avec notre esprit unique au monde. Cette impulsion redonnera puissance, portée et valeur à notre sphère d’influence linguistique pour la première fois depuis un demi-siècle.
– quant aux conséquences imprévisibles, elles sont moins à craindre que les conséquences ô combien prévisibles du statu quo.
La suppression des graphèmes de lettres, tels les accents, répond également à un argument économique, celui du moindre cout de la production des matériaux écrits sur une durée d temps, concept défini par George Bernard Shaw en personne. Ajoutons à cela la perte de temps sur le clavier d’ordinateur et la télétransportation souvent périlleuse des accents sur Internet, lesquelles, une fois en ligne, peuvent se transformer en signes indéchiffrables selon le langage informatique utilisé.
N’oublions pas aussi que l’écrasante majorité des claviers mondiaux ne proposent pas spontanément les accents français: comment alors écrire notre langue sans de grandes manipulations sur les touches, manipulations trop ardues pour le plus grand nombre des aspirants à la francophonie, et donc à l’esprit français.
Mais les handicaps à l’apprentissage du français ne s’arrêtent malheureusement pas là. La difficulté à absorber les subtilités de la langue française sont telles que bon nombre se découragent dès les premières leçons. Il y a en français deux orthographes, celle des mots pris individuellement (lexicale) et celle des phrases (syntaxique). Quand faut-il mettre au masculin ou au féminin, comment accorder a avec b, les conjugaisons, les lettres muettes, les doubles consonnes, l’accentuation bien-sûr, autant de pièges. Le mot “vraisemblable” ne prend qu’un “s” car résultant de la soudure d’un composé – vray-semblable – l’Académie, dans sa magnanimité, en l’an de grâce 1762, a laissé aux deux éléments leur graphie d’origine. De tels phénomènes hérités du passé sont nombreux en français et extrêmement difficiles à dompter pour un débutant. Pourquoi écrit-on “linguistique” sans tréma et “ambigüité” avec? Pourquoi écrit-on “porte-monnaie” avec un trait d’union et “portefeuille” sans? Les exemples de difficultés sont légion! Certes les explications des grammairiens sont logiques mais nécessitent d’apprendre par coeur des milliers de cas particuliers, d’exceptions et de tolérances “qui résistent aux efforts de mémoire de l’usager” de l’aveu même d’orthonet, site spécialiste des embuches lexicales et syntaxiques. La seule solution : simplifier, harmoniser, rénover, actualiser, moderniser. Mais pas n’importe comment…
Une telle réforme ne peut être pilotée que par une table ronde des meilleurs cerveaux du domaine, comme l’ont fait les germanophones avec leur “Conseil des Sages”. Ce panel doit donc comprendre des pointures internationales de la linguistique française, issues de toute la francophonie, de jeunes ou moins jeunes auteurs reconnus et connus pour leur approche originale de la langue, des linguistes non-issus de la francophonie mais maîtrisant le français et ayant conduit de telles réformes avec succès outre-Rhin ou en Chine (peu de ces derniers étant encore vivants, il faudra en choisir des plus frais) ou bien ailleurs. Et pourquoi pas un rappeur de grand talent issu de l’immigration?
Pour inventer l’avenir du français, il existe de nombreuses pistes d’exploration dont voici quelques exemples, parmi des centaines de possibilités, tous très critiquables : le nouvo francet qui déjoue simplement les difficultés des doubles consonnes, des accents et des lettres muettes (voir ma Lettre de candidature à l’Académie française); le nousveau francaie, plus élégant, car ne lésinant jamais sur les fioritures inutiles ; le nouvel francois, pour les nostalgiques de Rabelais; le français ancien, c’est-à-dire la langue de Molière; le françaoui, mélange de nouveau français et de langage des cités, le françafrique qui nous replonge dans la magie moite des anciennes colonies subsahariennes, le multi-français qui combine les particularités les plus simplificatrices pour la langue de tous les francophones réunis; le nouveau français pure souche, qui refuse catégoriquement tout anglicisme, un “sure winner” garanti chez nos frères québécois; le nouveau francanadien, qui intègre systématiquement les anglicismes; le francillais, mariage de créole, de cannelle et de nouveau français; le franco-américain au délicieux goût d’anglais aux échalotes et ketchup; et je ne vais tout de même pas oublier le korvinisme (désolé je n’ai pas trouvé plus court), qui abolit de manière tyrannique et sans compromis les accents, la ponctuation et les lettres majuscules.
J’exclus de cette énumération, encore une fois non-exhaustive, le français phonétique, une aberration à mes yeux, ainsi que l’écriture SMS, une abomination absolue. Quel que soit le nouveau français que nous adopterons, une des priorités doit être l’intégration facilitée et accélérée des nouveaux mots par les Immortels de l’Académie française. Pour cela, il faudra certainement augmenter leurs doses de Juvamine.
L’idée de l’abolition des accents, de la ponctuation et des majuscules m’est venue après un week-end à Venise. En rentrant à Paris, j’ai regardé la page que j’étais en train de rédiger, et elle m’a paru “vénitienne” : les guillemets, les points, les points-virgules, les points d’exclamation, d’interrogation, les lettres capitales, les parenthèses, les accents… soudain tout cela me semblait “alourdir” l’écrit, comme un palais des doges inondé de milliers de décorations et dorures. Joli, mais pas très actuel. Cela m’a fait penser au film Fountainhead avec Gary Cooper, dans lequel un architecte, résolument moderniste et simplificateur des lignes, refuse tout compromis avec les conservateurs de sa branche professionnelle (un mot avec trois double-consonnes!) Le personnage joué par Cooper décide de faire exploser ses propres immeubles au design révolutionnaire plutôt que de les laisser garnir de pseudo-sculptures décoratives d’inspiration gréco-romaine.
Alors j’ai imprimé la feuille en question et je l’ai secouée, comme pour en faire tomber tout le superflu: j’ai imaginé les graphèmes et la ponctuation neiger sur le sol de mon bureau, et dans mon esprit, la première page libérée était née. En pratiquant consciencieusement cette discipline dans mon blog pendant plus de deux ans, j’ai compris, ainsi que je l’ai écrit dans Journal d’une cause perdue, que ce système permet également une interprétation plus active du lecteur, qui doit faire l’effort de donner un sens à la phrase, un peu comme l’art abstrait demande réflexion pour livrer son message. A l’ère d’Alzheimer, est-ce un mal de faire carburer le cerveau ? Il permet aussi d’écrire plus vite, sans être interrompu par les formalismes.
Depuis la sortie de mon Journal, j’ai reçu les témoignages de nombreux francophones flâneurs à ma boutique des Puces. Un bon nombre d’entre eux disent écrire une quantité non-négligeable de leurs courriels en minuscules et sans accents depuis longtemps. D’autres se plaignent de documents mal présentés une fois parvenus dans la BAL du destinataire, à cause de la mauvaise transmission électronique de l’accentuation, comme indiqué plus haut. C’est pour moi la preuve que le futur libéré de la langue est déjà une réalité pour beaucoup. Ils ne sont pas rares sont ceux qui pensent que le français doit rester tel qu’il est mais plus d’un s’est enthousiasmé à la perspective d’une grammaire et d’une orthographe moins figées.
Mon rêve: notre langue, tellement plus belle et plus riche que toutes les autres, revient parmi le trio de tête des langues apprises dans le monde (elle est actuellement neuvième). Et l’esprit français brille de nouveau à sa juste place, au firmament. C’est possible, si nous nous attaquons au problème dès aujourd’hui et sans préjugés. Attention, à défaut d’action, notre langue se transformera à n’en pas douter en patois local, au même titre que le breton ou le corse. Notre reforme se doit d’être exemplaire, la mère des révolutions linguistiques, la référence en la matière. C’est à ce prix, selon moi, que le français rayonnera de nouveau dans deux générations.
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