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les gos de nuits d'abidjan
La dignité et la beauté retrouvées des «Go de nuit» d’Abidjan
Les « Go de nuit », ce sont, en nouchi, en argot ivoirien, les « filles » de nuit  d’Abidjan. C’est ainsi que les a baptisées l’anthropologue et cinéaste Éliane de Latour qui leur consacre actuellement une exposition de photographies à la Maison des métallos à Paris. Elle nous plonge dans l’intimité de ces jeunes filles de 10 à 25 ans qui occupent le plus bas de l’échelle de la prostitution dans la capitale économique ivoirienne. Une exposition qui s’accompagne aussi d’un projet de réinsertion professionnelle et sociale de ces jeunes filles. Entretien.
RFI : Qui sont celles que vous avez baptisées les « Go de nuit d’Abidjan » ?
Éliane de Latour : Ce sont des jeunes filles qui se vendent dans les ghettos. C’est une prostitution de ghettos. Ce ne sont pas des professionnelles. Ce sont plutôt des jeunes filles en rupture avec leurs familles. Elles ont été victimes de violence familiale, de crises extrêmement fortes… Et elles quittent leur famille pour un besoin d’autonomie. Elles sont très largement musulmanes.
Dans ces familles-là, on contrôle les jeunes filles qui sont virtuellement porteuses de la lignée. Donc celles-ci, avec cette rupture, transgressent une valeur collective extrêmement importante puisque non seulement elles souillent leur corps, mais elles souillent le sang de la famille.  Donc elles apportent le déshonneur et elles sont maudites. Elles sont analphabètes pour la plupart et leur clientèle est pour l’essentiel constituée de jeunes désœuvrés, de petits dealers, de jeunes pauvres qui n’ont pas les moyens d’emmener une fille passer une soirée dans un maquis.
Elles vendent leur corps pour 1 euro 50, 1 000 Francs CFA. Il y en a une qui dit : « chair de femme vaut moins que poulet ». « Pour nous c’est 1 000 Francs CFA. Pour le poulet, c’est 4 000 ». Comment avez-vous rencontré ces filles ?
Quand je suis arrivée en 2009, j’avais envie de travailler sur les filles en rupture. La  première fois, j’ai été projetée dans un site comme ça, où il y avait plusieurs dizaines de filles. Donc j’ai fait une photo, un peu pour me donner une contenance. Une fille a commencé à poser pour moi. Et quand je suis revenue avec les tirages, toutes les filles qui étaient autour ont voulu les mêmes. C’était des portraits qui les réhabilitaient, qu’elles pouvaient donner à leurs familles, parce qu’elles n’avaient pas l’air de putes sur ces portraits-là. Elles se trouvaient belles. Comme ça j’ai eu l’idée d’une exposition sur cette beauté qu’elles pensent perdue et profanée.
Ca c’était le premier volet de votre travail, Go de nuit, les belles oubliées, une exposition qui s’est tenue il y a trois ans. Vous y êtes donc retournée, pour faire cette nouvelle série de photos ?
En fait, pour la première exposition, en 2011, il avait fallu les convaincre de la clandestinité. Je leur avais alors expliqué qu’on pouvait grandir ensemble : moi, je n’avais jamais fait d’exposition de photos; et elles pouvaient grandir en s’appuyant sur moi pour sortir des ghettos si l’exposition marchait. Avec un appel au don, j’ai recueilli 10 000 euros lors de cette exposition. C’est avec ça que je suis revenue ensuite. Je leur ai annoncé que j’avais de l’argent pour elles, à leur reverser sous forme de projet. J’ai pu à ce moment-là les filmer, les photographier, dans une intimité, une confiance qui étaient nouvelles.
«GO DE NUIT : ABIDJAN, LES BELLES RETROUVÉES», D’ELIANE DE LATOUR
On les voit dans ces moments qu’on pourrait appeler « le creux de la vie ». Il y en a une qui s’amuse avec une robe de mariée et je la photographie, une autre sur la plage qui est complètement défoncée, une troisième en train de se maquiller sans un mot avant d’aller faire le tapin… Ce sont des moments de silence. J’avais envie de prendre le contre-pied de l’image sociale qu’elles ont, c’est-à-dire l’injure, la violence, les bagarres à coups de lames, la saleté, la maladie…
Pourquoi était-ce si important de prendre le contre-pied ?
Pour montrer qu’on ne peut jamais réduire un être humain à une seule dimension.
Vous êtes retournée à Abidjan avec ces 10 000 euros que vous aviez récoltés pour monter des projets avec elles. Qu’est-ce que vous en avez fait ?
Je cherchais une ONG ou une structure à qui je puisse remettre les 10 000 euros, pensant que c’était eux les professionnels pour s’occuper de ces filles, et j’ai eu un mal fou à trouver. Parce que personne ne veut de ces filles en fait : elles font peur. Ce sont des filles qui ont grandi dans une immense violence et qui sont devenues totalement versatiles, incapables de la moindre discipline. Ce ne sont pas de bonnes pauvres. Les structures internationales aiment les bonnes pauvres qui sont tranquilles, qui disent merci.
Vous avez fait quoi alors ?
Du coup, j’ai fait toute seule. J’avais 10 000 euros et j’ai engagé mon argent personnel. J’ai loué un appartement où j’ai abrité une dizaine de filles. Pendant sept mois elles ont été totalement prises en charge. Aujourd’hui, elles sont toutes casées dans des écoles professionnelles avec des maisons individuelles. On a payé tous les loyers pour deux ans. Le tout c’est maintenant qu’elles aillent à l’école, ce qui n’est pas toujours facile. Quelques-unes vont s’en sortir…
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