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« Le Franc Cfa sera-t-il dévalué ? » Cette question a dominé dans les colonnes de la presse d’Afrique centrale ces dernières semaines jusqu’à vendredi où les chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) réunis à Yaoundé dans le cadre du Sommet de crise sous-régionale ont répondu par la négative. « Le France Cfa ne sera pas dévalué », twittait alors le président camerounais Paul Biya à l’issue de la rencontre. Ceci étant, la parité fixe du Franc Cfa avec l’euro reste inchangée, soit 1 euro pour 655,957 Fcfa.
Les Etats membres de la CEMAC entendent plutôt faire « des efforts d’ajustement sur les plans intérieur et extérieur, assortis de réformes structurelles adéquates », afin de sortir la sous-région de la crise, indique le communiqué final paraphé par les six chefs d’Etat. Ces derniers privilégient les mesures qui vont notamment « préserver la soutenabilité et la viabilité » de la dette publique ou encore « élargir l’assiette fiscale » afin d’améliorer les recettes et la qualité des dépenses des Etats, dans le but de préserver un solde soutenable du déficit budgétaire. Lequel est actuellement à 7,9 % selon les dernières données du comité de politique de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC).
En effet, la CEMAC connait globalement un ralentissement économique qui devrait se traduire par un repli de sa croissance cette année. La situation est telle que la BEAC s’attend finalement à seulement 1% de croissance en 2016, contre 1,7 à 2% projeté il y a quelques mois. En cause ? la chute des prix du pétrole, principal catalyseur de l’économie des pays de la sous-région, notamment au Gabon, au Congo, en Guinée équatoriale, au Tchad et dans une moindre mesure au Cameroun.
Actuellement, certains économistes ont un discours très alarmiste, estimant que la CEMAC finira « tôt ou tard » par dévaluer sa monnaie. C’est notamment le cas de Dieudonné Essomba, économiste camerounais, interrogé par BBC Afrique quelques heures avant la fin du Sommet de Yaoundé.
« La situation des pays de la zone CEMAC requiert tout un ajustement. D’abord ajustement interne qui consiste à réduire les dépenses, notamment les salaires et les engagements de l’Etat. […] Mais lorsqu’on sait que ces pays ont connu un long ajustement -comme au Cameroun de 1987 à 2010. Aujourd’hui, le Cameroun ne peut plus appliquer un ajustement interne, il ne peut plus diminuer les salaires, la dévaluation est nécessaire, elle s’impose. »
Comme lui, plusieurs économistes et observateurs ont réagi à la décision des six chefs d’Etat soutenant dur comme fer la dévaluation et estimant que la CEMAC prenait la mauvaise trajectoire en s’y opposant. D’autres experts en revanche ne voient pas en la dévaluation la solution à la crise économique et financière que traverse l’Afrique centrale. C’est le cas de l’économiste gabonais Mays Mouissi qui, bien avant le Sommet de Yaoundé, doutait de l’éventualité d’une décision de dévaluation.
« On a dévalué en 1994, qu’est-ce que cela a changé ? La Centrafrique est toujours l’un des pays les moins avancés, le Niger, le Burkina Faso font toujours partie des pays les plus pauvres… », fait-il remarquer dans un entretien avec La Tribune Afrique.
Le 11 janvier 1994, le communiqué est lu par le ministre camerounais de l’Economie et des Finances d’alors, Antoine Ntsimi. Entouré du ministre français de la Coopération, Michel Roussin, du directeur du Fonds monétaire international (FMI), Michel Camdessus, et le gouverneur de la BCEAO, Charles Konan Banny, l’officiel camerounais annonce la décision des chefs d’Etat de la zone Franc de « modifier la parité du Franc Cfa » en la réduisant de 50%.
Fcfa
Le geste, historiquement vu comme une mesure imposée par la France, aura de lourdes conséquences sur le pouvoir d’achat des citoyens dans un contexte où, en Afrique centrale surtout, les salaires n’augmenteront pas. « On ne dévalue pas pour la dévaluer. 1994 en est un exemple concret », lance Mouissi, estimant que l’essor des pays qui n’ont pas le Fcfa comme monnaie nationale en est « la preuve ». « Quand on regarde le Nigéria, l’Angola …qui n’ont pas encore connu la dévaluation de leur monnaie, on peut constater qu’ils ont avancé beaucoup plus rapidement que nous qui avons fait une dévaluation ».
De plus, l’économiste estime que la situation économique de la zone CEMAC bien qu’illustrant un certain ralentissement n’est pas aussi catastrophique que celle du début des années 90. « Il est vrai que la croissance sous-régionale d’un point de vue global régresse, mais la majorité des pays de la sous-région affichent encore une croissance positive », indique-t-il.
Les chiffres montrent effectivement que la croissance atteindra les 4,5, voire 5% cette année. Certes le pays de Paul Biya s’érige en modèle sous-régional, mais le Tchad (2,5% prévisionnel), le Gabon (2,9%), le Congo (2,6%) sont tous le vert et même la Centrafrique qui sort à peine de crise devrait afficher plus de 5% de croissance du PIB en 2016, selon les projections du FMI. Seule la Guinée équatoriale est dans le rouge (et sérieusement !). Le pays de Théodoro Obiang Nguema, pour lequel le FMI craint même une croissance négative jusqu’en 2020, devrait voir son taux de croissance s’établir à -9,9% cette année. Au regard de ces données, Babissakana, économiste camerounais rompt avec toute théorie alarmiste, il estime que la zone CEMAC « ne connait pas la crise qu’on lui prétend ».
« De façon générale, il y a certes le Congo qui est en difficulté et la Guinée équatoriale qui est en récession, mais la situation de la CEMAC n’est pas catastrophique. La crise suppose que l’ensemble de la région entre en récession. Or, à l’heure actuelle, la récession ne concerne encore qu’un seul pays, au sens large deux, sur six », explique-t-il dans un entretien avec La Tribune Afrique.
Faisant remarquer que le Gabon dispose encore de réserves « d’un niveau acceptable » et d’un endettement « assez faible ». La Guinée équatoriale même en récession a un taux d’endettement « très faible » autour des 20% du PIB et dispose encore d’importantes réserves. Babissakana estime que « le Congo est le seul pays qui, avec une déficit budgétaire de presque 18% en 2015 et un taux d’endettement qui est à presque 70%, a besoin d’un ajustement assez important, mais cela n’exige pas que tous les chefs d’Etats se réunissent ».
D’après lui, le fait que le pétrole soit à l’origine du ralentissement économique des pays de la CEMAC fait de la décision du 30 novembre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) une source d’espoir pour l’avenir à court terme de l’économie sous-régionale. Concrètement en effet, si l’Opep respecte son engagement de réduire sa production à 32,5 millions de barils de pétrole par jour à compter du 1er janvier 2017, contre 33,6 millions de barils actuellement d’une part et que d’autre part les pays non membres répondent à leur engagement de réduction, le marché retrouverait son équilibre. Ce qui ouvrirait la porte à de meilleurs jours pour les pays pétroliers et revivifierait le secteur dans les pays de la zone CEMAC.
Mais cela ne serait vrai que s’il y a respect des engagements. A l’approche du 1er janvier 2017, le cours a renoué avec la hausse si bien que le Brent dépasse les 57 dollars à l’ouverture des places financières ce mercredi 28 décembre. Cependant, le spectre de la “tricherie” dont font souvent preuve certains pays membres de l’Opep dans ce type d’accord de baisse de la production maintient encore le suspens quant au respect de leurs engagements.
Qu’à cela ne tienne, le problème de l’économie d’Afrique centrale ne résiderait pas fondamentalement dans le Franc Cfa en tant que monnaie, à en croire ces deux économistes. Selon Mays Mouissi, l’économie sous-régionale n’aurait pas autant pâti de la chute du cours du pétrole si la gestion interne des Etats était plus efficiente.
« Les Etats de la CEMAC ont ceci de particulier, ce sont des Etats qui ont un train de vie distendu, avec des gouvernements très larges, très ouverts, qui coûtent excessivement chers. Il faut faire des économies à ce niveau avant de penser à solliciter des prêts auprès du FMI ou toute autre institution internationale », explique-t-il.
L’autre « erreur économique » qu’il faudrait corriger d’après lui, c’est la question de l’emploi. La fonction publique en Afrique centrale reste encore le premier employeur, ce qui ne laisse pas vraiment de marge de manœuvre aux gouvernements. Dans le cas d’un pays comme le Gabon qui compte 1,8 million d’habitants, la fonction publique emploie environ 100 000 personnes, soit 60 à 70% de la population active. Les salaires pèsent près de deux tiers (environ 700 milliards Fcfa) dans le budget de l’Etat évalué à 2 000 milliards de Fcfa.
« Dans une économie normale, le premier employeur c’est le secteur privé. Les emplois, on les trouve dans le secteur marchand, dc le privé. Or nous avons pris dans nos pays la mauvaise habitude de faire des ajustements du marché du travail par l’emploi publique. Non seulement cela fragilise les politiques de l’Etat du point de vue structurel, dans le sens où au lieu de travailler à la création et à la valorisation du secteur privé, on concentre tout sur l’administration publique. Ce n’est pas une bonne chose. Ensuite il y a le coût que cela représente. Les emplois dans l’administration publique sont des emplois à vie. Cela veut dire que l’Etat est tenu d’assurer le traitement de ces fonctionnaires jusqu’à leur retraite. Donc ce sont des emplois qui sont une charge substantielle », explique Mays Mouissi.
De même, plutôt que de parler de dévaluation du Franc Cfa, l’économiste Babissakana pour sa part, martèle sur un point : la transformation économique en Afrique centrale. « Cela devrait être au centre des politiques des Etats de la sous-région », insiste-t-il. Une orientation qui, selon lui, ne nécessite pas uniquement des ajustements conjoncturels, (budget, dette publique,…) comme prévus par les six Etats membres de la CEMAC à l’issue du Sommet de Yaoundé.
« Pour moi, la question de la dévaluation est un détournement de l’opinion des questions qui sont critiques, parce que à l’heure actuelle la zone Franc a une structure désuète et les institutions financières étrangères ne vont pas avantager la transformation économique des pays d’Afrique, alors que c’est à cela qu’il faut travailler, et ce, urgemment ! », conclut Babissakana.
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