Les EAU veulent-ils prendre la place de la Russie, en Syrie notamment, pour préparer l’après ? se demande Sébastien Boussois.
Si les Occidentaux retiennent souvent des EAU la fête, les plages de Dubaï, les filles en bikini, l’alcool à gogo, les influenceurs français, ils en oublient le blanchiment d’argent, la prostitution, l’accueil de dirigeants obscurs avec leurs valises de billets, tels que Pervez Musharraf, l’ancien président pakistanais, Mohammed Dahlan, l’éternel opposant palestinien à Mahmoud Abbas, ou encore l’ancien président afghan Ashraf Ghani, comme nombre d’anciennes élites afghanes corrompues qui ont vidé en vingt ans l’Afghanistan des capitaux qui auraient dû servir à la construction d’un Etat viable.
Le rapprochement officialisé de Mohammed ben Zayed avec Bachar al-Assad, ces derniers jours, et l’arrivée de nombreux jets privés d’oligarques russes voulant mettre à l’abri leur fortune en dépit des sanctions, prouvent à quel point, une fois encore, les EAU se fichent de la législation internationale en matière financière. Ces derniers jours, des avions ont fait la liaison de la Russie vers le Golfe, et ce depuis que Vladimir Poutine a haussé le ton auprès des oligarques qui commençaient à ronchonner contre le conflit en Ukraine. L’argent n’a pas d’odeur, on le sait. Et Dubaï ne refuse jamais une main qu’on lui tend, surtout lorsqu’elle est pleine de dollars. A tel point qu’aux Emirats, il n’y a aucune loi de transparence financière vous obligeant à déclarer l’origine des fonds que vous virez sur place. Tout est vraiment fait pour simplifier la vie du nouveau client.
Ceci est un exemple parmi tant d’autres de l’opacité totale dans laquelle Abou Dhabi mène ses affaires, déjà considéré comme un paradis fiscal phénoménal dans la région, roi du blanchiment d’argent dans le Golfe avec Dubaï, entrant et sortant régulièrement des listes noires de l’Union européenne, et menant des opérations financières en permanence à la limite de la légalité. Les affaires se succèdent. Pourtant, c’est un de nos partenaires économiques privilégiés, pour nos armes, pour lutter contre le terrorisme, se battre contre l’islam politique, et continuer à nous permettre de croire que les Emiratis sont le meilleur exemple de modèle de développement dans la région. Pourtant, tout est loin d’être clair : c’est même devenu une religion, celle de l’obscurantisme monétaire. La nouvelle Suisse du Moyen-Orient !
Un autre pavé dans la mare avait éclaboussé la réputation financière des EAU à l’été 2020. L’affaire de l’ancien Premier ministre malais, Najib Razak, proche ami de Mohammed ben Zayed, semblait conforter la thèse selon laquelle ce dernier aurait demandé le soutien des EAU pour couvrir et blanchir un détournement d’argent de plusieurs milliards de dollars d’argent public. D’autres faits plus anciens encore : en mai 2018, l’affaire des « Dubaï Papers » avait secoué la ville en révélant l’existence sans scrupules d’années de pratiques financières douteuses et un système de paradis fiscal à Dubaï, contre lequel Abou Dhabi s’érigera un temps, en s’appuyant notamment sur le secteur militaire et l’énergétique pour sécuriser son économie et non le blanchiment. Mais en réalité, la contagion a gagné toute la confédération.
La visite officielle du président Bachar al-Assad à Abou Dhabi, dernièrement, et l’officialisation de ses relations anciennes avec Mohammed ben Zayed, est un nouveau pavé dans la mare contre le droit international. Ce rapprochement entre EAU et Syrie est une longue histoire. Il est bien loin le temps où les Emirats armaient les opposants à Bachar al-Assad en 2011. Cette visite récente, pour sortir le président syrien de son isolement, et pendant que Vladimir Poutine est bien occupé sur le front ukrainien, est le dernier épisode de la longue entreprise de drague émiratie à l’égard de Damas. « MBZ » a vu une opportunité unique avec un pays détruit comme la Syrie : l’opportunité en or de la reconstruction en dépit de toutes les sanctions internationales qui pèsent sur le pays depuis dix ans. Déjà en 2012, les hommes d’affaires émiratis étaient à l’affût. Dix ans plus tard, les délégations économiques émiraties se succèdent en Syrie malgré les sanctions toujours existantes, car il faut reconstruire et vite.
La priorité de MBZ en Syrie est triple : l’immobilier, le transport et le commerce. Et les hommes d’affaires émiratis ne semblent pas bouder leur plaisir. Côté transports, les EAU ne comptent pas être en reste. En 2017, ils constituaient le septième ou le huitième marché des exportateurs syriens, représentant 44,5 millions USD. Toutefois, la balance commerciale était clairement en faveur des EAU, les exportations émiraties à destination de la Syrie ayant atteint 968 millions USD la même année, y compris les machines, le matériel et les pièces électriques (479 millions USD) ; tabac (280 millions USD) ; machines (64 millions USD) ; et plastique (20,7 millions USD).  
Alors des mesures de rétorsion ont-elle été prises par les États-Unis contre les EAU ? Non, rien : « Les exportations émiraties à destination de la Syrie ont continué d’augmenter en 2018 pour atteindre 1,5 milliard USD, bien que cette croissance soit principalement imputable aux produits chinois transitant par Dubaï et renommés de la sorte aux Émirats Arabes Unis afin de bénéficier des avantages de l’accord de la zone de libre-échange arabe (GAFTA) », ont révélé les Dubaï Papers. Aujourd’hui, 240 000 Syriens vivent aux EAU et y opèrent essentiellement dans la construction, les médias, la santé et le tourisme. La boucle est bouclée au moment où tous les médias sont focalisés sur l’Ukraine et l’embourbement russe. MBZ voudrait-il la place de Poutine en Syrie en prenant le relais économique sur place, maintenant que le président russe est empêtré dans les sanctions et pour longtemps hors-jeu ? L’accueil des oligarques et de leur argent n’est-il pas un signe supplémentaire de l’opération d’éclatement de la bulle poutinienne en Syrie pour préparer l’après que compte bien orchestrer Mohammed ben Zayed ? 

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