le premier mois
sans engagement
Détruite pendant la guerre, la mosquée ottomane de Banja Luka, capitale de l’entité serbe de Bosnie, a rouvert samedi 7 mai.
réservé aux abonnés
Lecture en 3 min.
En Bosnie, une mosquée symbole du vivre-ensemble
Prière pendant la cérémonie d’inauguration de la mosquée reconstruite de Banja Luka (Bosnie-Herzégovine), le 7 mai.
Dado Ruvic/Reuters
Suleiman se tient bien droit, silencieux, au milieu de la foule. Son visage est impassible malgré le soleil qui inonde la place devant la mosquée de Fehrat-Pacha, mais sa voix est chargée d’émotion. Ce retraité bosniaque (musulman de Bosnie) est venu de Sanski Most, une petite ville située à quelques kilomètres de Banja Luka, en République serbe de Bosnie, pour assister à la cérémonie de réouverture de la mosquée. « Je n’aurais jamais cru vivre ce jour », dit-il en désignant le bâtiment flambant neuf.
Suana Grbic, graphiste bosniaque qui a vécu toute sa vie à Banja Luka, a pleuré après la nuit du 6 au 7 mai 1993, quand les forces serbes de Bosnie ont dynamité le bâtiment. La réouverture de la mosquée vingt-trois ans plus tard est « l’un des plus beaux moments » de sa vie. « Je suis fière de notre ville », déclare-t-elle.
Construite en 1579, lorsque la Bosnie était sous domination ottomane, la mosquée, surnommée Ferhadija par les habitants, était l’un des symboles de la ville où cohabitent Serbes orthodoxes, Croates catholiques et Bosniaques musulmans.
Sur la scène érigée pour l’occasion devant Ferhadija, le Grand Mufti Husein Kavazovic, chef de la communauté musulmane de Bosnie-Herzégovine, a salué l’événement comme un symbole de cohabitation et de paix. « La haine recule, la confiance grandit et la réconciliation va renforcer nos esprits ébranlés » par la guerre, a-t-il déclaré.
« Ferhadija est un symbole de notre ville », a poursuivi l’évêque de Banja Luka, Franjo Komarica. « Il est de notre responsabilité à tous, particulièrement les croyants, de faire le bien et non le mal », a-t-il poursuivi sous les applaudissements de près de 8 000 personnes.
La mosquée n’est pas le seul bâtiment religieux à avoir souffert de la guerre. L’église catholique Saint-Anthony à Petricevac, localité rattachée à Banja Luka, a également dû être reconstruite.
Antonela Plisnic, étudiante serbe en littérature, est ravie de voir à nouveau Ferhadija dans le centre-ville. Elle se tient à l’écart de la cérémonie « à cause de la foule », mais elle « espère que nous saurons valoriser la mosquée en tant que patrimoine », dit-elle, pressée de pouvoir la visiter.
Après des années de relations tendues entre les trois communautés, la réouverture de l’édifice a eu lieu sous haute surveillance : plus de 1 000 policiers et un hélicoptère mobilisés, fouille des sacs aux abords de la mosquée et fermeture du centre-ville à la circulation. Il s’agit pour les autorités, qui ont fait de cette cérémonie l’un des plus grands événements de l’année, de ne pas répéter le 7 mai 2001. La cérémonie de pose de la première pierre qui devait marquer le début tant attendu des travaux de reconstruction de la mosquée fut marquée par de violentes émeutes de nationalistes serbes qui se sont soldées par un mort bosniaque et trente blessés.
Milorad Dodik, président de la Republika Srpska (République serbe de Bosnie), pourtant connu pour ses discours empreints de nationalisme serbe, a ouvertement soutenu le projet de reconstruction, offrant il y a quelques semaines des tapis pour le sol de la mosquée. « Nous devons construire une société pacifiée tous ensemble », a-t-il déclaré en amont de la cérémonie.
Certains commentateurs critiquent une tentative politicienne de redorer l’image de l’entité, mais la population dans son ensemble se réjouit. « Tout n’est pas parfait et nous avons encore du mal à parler calmement de ce qui s’est passé pendant la guerre, mais notre société a progressé », assure Zinajda.
Musulmane, elle a vécu presque toute sa vie à Banja Luka, y compris pendant la guerre, et y élève ses deux fils de 9 et 11 ans. « À l’école, leurs amis sont orthodoxes, catholiques, cela n’a pas d’importance. Nous vivons tous ensemble et cette journée prouve que nous en sommes capables », se réjouit-elle alors que la prière de midi commence à la mosquée de Ferhadija, marquant la fin de la cérémonie.
————————————————–
Un pays, deux entités
Les accords de paix de Dayton, en 1995, auxquels est adossée la constitution de la Bosnie-Herzégovine, entérinent la partition du pays en deux entités autonomes.
La Fédération de Bosnie-Herzégovine, dite aussi fédération croato-musulmane, totalise 51 % du territoire. Sa capitale est Sarajevo.
La Republika Srpska (ou République serbe de Bosnie), terme souvent utilisé pour éviter toute confusion avec la République de Serbie, couvre 49 % du territoire. Sa capitale est Banja Luka. Chaque entité dispose d’institutions propres (présidence, gouvernement, Parlement) au sein desquelles sont représentées les trois ethnies « constitutives » du pays : les Serbes (orthodoxes), les Croates (catholiques) et les Bosniaques (musulmans).
Vous devez être connecté afin de pouvoir poster un commentaire
Déjà inscrit sur
la Croix ?
Pas encore
abonné ?
Bosnie-Herzégovine : actus sur ce pays du sud-est de l'Europe
La Bosnie-Herzégovine officiellement candidate à l’entrée dans l’Union européenne
En Bosnie-Herzégovine, un scrutin marqué par la défaite de figures nationalistes
En Bosnie-Herzégovine, les ingérences croates à la veille des élections
La Croatie de Predrag Matvejevic, renié en son pays
En Croatie, le pont de la réunification
Les calculs pro-russes des Serbes de Bosnie
En Bosnie, le déminage sans fin
Comment être bosnien en Bosnie
Aux portes de l’Otan, la Suède et la Finlande face à l’obstruction croate