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Des Russes de partout dans le monde ont signifié leur opposition à la guerre menée par la Russie en Ukraine.
Photo : afp via getty images / STEVEN SAPHORE
Les manifestations contre la guerre en Ukraine se succèdent partout dans le monde. Même en Russie, malgré les risques que cela implique, des citoyens sont sortis dans des dizaines de villes pour dénoncer l’attaque russe. Plus de 14 000 manifestants ont été arrêtés depuis le 24 février, d'après l'ONG OVD-Info.
L’opposition populaire pourrait-elle prendre assez d'ampleur pour faire chanceler le gouvernement russe?
Pas à court terme, croient les analystes.
Le mouvement antiguerre est minoritaire et rejoint des gens qui étaient déjà critiques de Vladimir Poutine, estime Guillaume Sauvé, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Cette protestation reste marginale dans la société russe, avance M. Sauvé.
Il rappelle qu’il y avait eu une importante vague de manifestations lors du retour du dissident Alexeï Navalny en Russie, en janvier 2021, un mouvement qui a fini par s’estomper sans résultats concrets. Après un certain temps, ça se calme, parce que les gens comprennent bien que ça ne donne pas grand-chose de risquer leur carrière et leur liberté. Le régime est déjà verrouillé contre ce genre de protestations.
« On est dans une logique répressive qui laisse difficilement imaginer un scénario révolutionnaire. »
Un homme qui tient une pancarte sur laquelle est écrit : « Non à la guerre avec l’Ukraine! Poutine, démissionne!» est arrêté à Moscou, le 24 février 2022..
Photo : Getty Images / KIRILL KUDRYAVTSEV
Le président Poutine est déterminé à aller de l’avant coûte que coûte et ce ne sont pas quelques manifestants qui le feront changer d'avis, estime, pour sa part, Yann Breault, professeur d’études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean.
« La volonté de revanche de Poutine sur l'Ukraine et sur l'OTAN le fait basculer dans un univers représentationnel où il ne se préoccupe pas de l'opposition de sa population à ce conflit. »
Qui plus est, les Russes l’appuient encore fortement, rappelle Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie au Conseil européen sur les relations extérieures. Le taux de popularité de Poutine est de l'ordre de 71 % [selon un sondage du centre Levada réalisé avant le début de la guerre] et a plutôt tendance à augmenter [il était de 63 % en novembre]. Dans une situation de crise, il est habituel de voir un effet de ralliement autour du drapeau.
Le président Poutine a annoncé l’opération militaire en Ukraine dans un discours diffusé à la télévision.
Photo : Reuters / Sputnik / Kremlin / Alexey Nikolsky
L’appui des Russes à leur président peut se comprendre aussi en partie par le fait qu’ils n’ont pas accès à toute l’information, précise Mme Dumoulin. La grande majorité de la population est informée uniquement par les chaînes de télévision officielles qui, depuis des années, expliquent que l'Ukraine est aux mains de l'OTAN et que c'est un État failli dirigé par des nazis.
En conséquence, croit-elle, les gens attribuent la responsabilité du conflit aux pays occidentaux.
« On ne leur dit pas que la Russie est en train de bombarder des civils et des hôpitaux, mais plutôt qu'il s'agit d'une opération spéciale qui cible des objectifs militaires et qui a pour but de débarrasser l'Ukraine de ses nazis. »
Dès le lendemain de l’invasion de l’Ukraine, le 26 février, l'accès aux réseaux sociaux Facebook et Twitter a été restreint par le Kremlin. Le 11 mars, l’accès à Instagram aussi a été limité. Les médias, pour leur part, sont tenus d'utiliser les informations émanant de source officielle de l’État lorsqu’ils abordent la guerre. Parler d’offensive, d’invasion ou de guerre est interdit. Les personnes accusées de discréditer les troupes russes sont passibles d’amendes ou d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans.
L’accès aux sources d’information étrangères, comme la BBC, la Deutsche Welle et Radio Free Europe, a également été limité.
Ce sont plutôt les conséquences économiques de la guerre, notamment les sanctions occidentales, qui pourraient, à moyen terme, faire bouger la population, croit Guillaume Sauvé.
Le rouble s’est effondré face au dollar et à l’euro au cours des dernières semaines.
Photo : Getty Images / AFP/ALEXANDER NEMENOV
Mastercard et Visa ont suspendu leurs opérations en Russie et des multinationales comme Ikea ou Apple ont fermé leurs magasins. La monnaie russe, le rouble, a subi une dépréciation marquée.
Les conséquences économiques et la perte de l'accès à certains produits de consommation vont rejoindre une Russie plus profonde, des sympathisants de Vladimir Poutine ou des personnes plutôt indifférentes à la politique, estime M. Sauvé.
« Les Russes sont maintenant habitués à un niveau de vie qui n'est plus celui qu'ils avaient à l'époque soviétique. Si, tout d'un coup, cela disparaissait, ce serait un choc très important qui porterait ombrage au régime. »
Mais cet impact économique pourrait aussi fonctionner dans l'autre sens et rallier les Russes contre l’Occident, remarque Marie Dumoulin. Les autorités peuvent jouer du discours sur l'Occident russophobe qui cherche à détruire la Russie, qui s'attaque à notre économie et qui adopte de manière indiscriminée des sanctions qui touchent les civils. D'ailleurs, regardez : vous n'avez plus de médicaments. Le narratif est déjà écrit.
Certains rêvent de voir des membres de l’entourage de Vladimir Poutine se retourner contre lui, mais il s’agit d’un fantasme, note Yann Breault. S’il est possible que certains haut placés soient en désaccord avec le président, il est peu probable que cela mène à un quelconque renversement, croit le politologue.
« L'appareil de sécurité est très bien rodé et d'une grande loyauté. Ç'a été la clé de la construction de la verticale du pouvoir, en Russie, de miser sur une équipe qui n'est pas nécessairement compétente, mais loyale envers son dirigeant. »
Peu probable également que les oligarques se retournent contre la main qui les a nourris, même s’ils ont été directement visés par les sanctions occidentales. Vladimir Poutine les a d’ailleurs rencontrés dès le début de l’offensive pour les en informer, rappelle Marie Dumoulin. Mais ils sont dans une relation de dépendance avec le pouvoir politique, affirme-t-elle, et n’ont pas vraiment la capacité d’agir contre le président.
Même chose pour l’armée, qui a toujours été au service du politique, souligne Guillaume Sauvé. Le pire qui pourrait arriver, c'est que l'armée fasse de la résistance passive, retarde l'application des ordres ou rechigne à faire ce qu'on lui demande. Mais je ne m'attends pas à un coup d'État militaire contre Poutine.
La guerre en Ukraine, ses conséquences économiques et le durcissement politique pourraient toutefois avoir des effets à plus long terme sur la stabilité du régime, estiment les analystes. Les jeunes, notamment, n’adhèrent pas aux discours du Kremlin.
Poutine a perdu le contact avec les 30 ans et moins, comprend très peu le sentiment général de ces jeunes, plus mondialisés et sceptiques face à la perpétuation du narratif sur la Grande Guerre patriotique, note Yann Breault.
Un certain nombre d’entre eux expriment leur dissidence en prenant le chemin de l’exil, remarque Guillaume Sauvé. On assiste à un exode assez impressionnant de la jeunesse urbaine éduquée, des journalistes, des professions libérales, qui fuient à pleines portes la Russie en ce moment parce qu'ils ont peur de tomber sous le coup des nouvelles lois sur la censure de guerre. C’est une fuite des cerveaux assez dramatique.
Une analyse partagée par Marie Dumoulin. Le fait qu'un très grand nombre de Russes ont quitté la Russie au cours des derniers jours, ce n'est pas nécessairement en signe de protestation contre la guerre. Ça peut être en anticipation des conséquences économiques et des sanctions. Mais il y a aussi, parmi les chercheurs, les journalistes, etc., des gens qui partent parce qu'ils savent qu'ils ne pourront plus exprimer leur opinion librement sur la guerre dans la Russie qui est en train d'advenir.
Selon Amnistie internationale, déjà plus de 140 personnes ont été détenues pour avoir utilisé le mot guerre et lancé des appels à la fin du conflit.
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