A Budapest, le chef du gouvernement, Viktor Orban, s’empare peu à peu de tous les leviers du pouvoir et façonne une Constitution à sa botte. Tandis que les pays de l’Union, qui ont d’autres soucis, tardent à réagir.
Hungarian Prime Minister Viktor Orban attends a news conference in Budapest, October 12, 2011. Orban said he would do everything in his power to help Hungary's troubled foreign currency mortgage borrowers switch to forint loans. REUTERS/Bernadett Szabo (HUNGARY – Tags: BUSINESS POLITICS)
L'Express
Plusieurs millions de Hongrois ne l’ont pas su. Lundi 2 janvier au soir, dans les rues de Budapest, une manifestation hostile à Viktor Orban, le Premier ministre, a attiré plus de 70 000 personnes – un chiffre considérable, dans ce petit pays de 10 millions d’habitants, où les rassemblements politiques sont rares. Sur l’avenue Andrassy et devant l’Opéra, alors que les slogans dénonçaient la dérive autoritaire du chef du gouvernement, la télévision publique montrait des images… d’une avenue déserte, seulement peuplée d’un cordon de policiers! Une manipulation grossière mais efficace: en province, loin de la capitale, ils sont plusieurs millions de Hongrois à capter uniquement la télévision publique.
La désinformation officielle illustre le climat sur les rives du Danube, au coeur de l’Union européenne, où règne depuis dix-huit mois un “Hugo Chavez de droite”, selon le mot de l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, dans une allusion au président populiste du Venezuela. Revenu aux affaires en mai 2010, après avoir dirigé le pays une première fois entre 1998 et 2002, Orban gouverne en maître absolu grâce à la position dominante de son parti, le Fidesz: avec 54% des voix, il a en effet obtenu deux tiers des sièges au Parlement. Depuis, il met en oeuvre une politique qui consiste à verrouiller, l’un après l’autre, les contre-pouvoirs: médias, justice, banque centrale, etc. Objectif, un brin mégalo: perpétuer son régime, rendre l’alternance impossible ou presque, et surtout entrer dans l’Histoire comme un personnage grandiose qui aura façonné en profondeur le destin de son pays.
Entre abattement et consternation, un diplomate européen mesure la gravité de la situation: “La Hongrie ne répond plus clairement aux critères de l’Etat de droit tel que nous le concevons en Europe. Ce n’est pas un régime policier comme la Biélorussie de Loukachenko, mais, depuis un an et demi, la masse critique des sujets de contentieux avec l’Union européenne a été dépassée.” En clair: la Hongrie est au bord de la dictature. Et de la faillite, aussi.”
A l’instar de tous les régimes autoritaires ou dictatoriaux, celui de Viktor Orban s’est d’abord attaqué à la liberté d’information. A peine réélu, le Premier ministre place les médias publics sous la tutelle des membres de son parti. Licencie 600 journalistes et techniciens de l’audiovisuel réputés hostiles au Fidesz. Instaure une loi qui impose une information “équilibrée” et “objective” – notions vagues – et supprime la protection des sources. “La loi n’a même pas besoin d’être appliquée; dans une période de crise économique où chacun craint pour son emploi, sa simple existence engendre une autocensure généralisée”, explique un journaliste hongrois.
Parallèlement, les rares médias d’opposition sont asphyxiés: les grandes entreprises publiques n’y passent plus de publicité tandis que les sociétés privées, soucieuses de ne pas déplaire au sommet de l’Etat, renoncent également à le faire. Enfin, il y a quelques semaines, Klubradio, la seule radio indépendante qui accordait une large place aux débats politiques sans craindre de critiquer le pouvoir, a perdu sa licence.
L’institution judiciaire est l’autre contre-pouvoir mis en pièces par Viktor Orban. Sans débat parlementaire préalable ni consultation des organisations professionnelles concernées, le Parlement a écarté le président de la Cour suprême – du jamais-vu dans l’Europe des Vingt-Sept. Dans la foulée, une loi a revu à la baisse l’âge de la retraite des juges, porté de 70 à 62 ans, soit le plus bas niveau au sein de l’UE, entraînant le départ de près de 300 juges et la nomination de remplaçants plus “fiables”. “Cet appel d’air va causer une pagaille indescriptible, explique sous le couvert de l’anonymat un magistrat. Par le jeu des chaises musicales, 900 juges vont changer de poste et 40000 dossiers d’instruction sont placés entre de nouvelles mains !” Enfin, une présidente de conseil prud’homal, Tünde Hando, a été propulsée à la tête de l’organisme chargé de nommer les juges et d’attribuer aux tribunaux leurs budgets de fonctionnement. Celle-ci n’est autre que l’épouse du président du groupe parlementaire Fidesz au Parlement européen de Strasbourg et la marraine des enfants d’Orban.
Dans l’économie, la police, l’armée et même à l’Opéra national, le Premier ministre nomme des proches aux postes à responsabilité, souvent pour une durée de neuf ou douze ans, dans l’espoir de pérenniser le “système Orban”, au cas où son architecte viendrait à disparaître de la scène politique. Hypothèse peu réaliste depuis que la loi électorale a été modifiée afin de favoriser le Fidesz par un découpage électoral avantageux.
“La Hongrie est devenue une usine à fabriquer des lois qui tourne à plein régime, mais, hélas, sans aucun contrôle de qualité”, ironise l’avocat Balazs Dénes, président de l’Union pour les libertés civiles hongroises. Une frénésie législative s’est en effet emparée du gouvernement afin de donner une apparence de légalité à la “démocrature” hongroise: 200 lois et près de dix modifications constitutionnelles ont été votées en l’espace d’un an. Le tout sans transparence ni débat véritable. Et, souvent, en l’absence des journalistes politiques dont l’accès est désormais soumis à des procédures d’accréditation compliquées.
“Les projets et propositions de lois sont généralement déposés le lundi, votés le mardi et promulgués le lundi suivant”, poursuit Balazs Dénes, éberlué. Dans ce maelström législatif, certains textes, à caractère nationaliste, sont carrément délirants, comme celui instituant la “préférence canine”, qui exempte d’impôt sur les toutous les propriétaires de chiens de race hongroise! Une autre loi, inapplicable, punit le vagabondage de l’équivalent de 480 euros, alors que les SDF rêveraient de posséder une telle somme! Beaucoup plus choquant encore, un texte supprime la scolarité obligatoire pour les enfants handicapés… “Orban, qui oublie qu’1 million de Hongrois vivent dans la misère, considère les faibles et les improductifs comme des parasites”, décrypte le pasteur Gabor Ivanyi, de l’Eglise méthodiste, qui accueille chaque jour 1500 sans-abri et scolarise quelque 3000 enfants pauvres.
Mais le “chef-d’oeuvre” de Viktor Orban est assurément la nouvelle Constitution, de style baroque. Promulguée dans les derniers jours de décembre et entrée en vigueur le 1er janvier, elle grave dans le marbre le caractère nationaliste et droitier de l’Etat hongrois. Ainsi l’appellation “République de Hongrie” disparaît au profit de “Hongrie” tout court. Une référence explicite à Dieu (“Dieu bénisse les Hongrois”) figure au préambule. Le forint, la monnaie nationale, est sanctuarisé. Le taux d’imposition sur les revenus est fixé à 16%. La personne du Premier ministre est déclarée “intouchable”. L’embryon humain est considéré comme un être humain dès le premier jour de la grossesse. Et le mariage est explicitement décrit comme une union entre un homme et une femme, afin d’empêcher tout débat sur le mariage gay.
De plus, la Constitution rend rétroactivement responsables les actuels dirigeants du Parti socialiste (ex-communistes) des “crimes commis sous le régime communiste jusqu’en 1989”. Et elle instaure une réforme de la banque centrale, qui a perdu, de fait, son indépendance. En contradiction radicale avec les règles communautaires de l’Union européenne, cette réforme a contribué à faire plonger la monnaie et, par conséquent, à aggraver la dette. Elle a aussi suscité la réaction de José Manuel Barroso, qui, pendant les fêtes de Noël, a adressé deux courriers à Viktor Orban. Ses missives s’ajoutent aux déclarations d’Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, inquiète de la dérive autoritaire du pays, et à celles d’Angela Merkel, à Berlin, et du ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé.
Le nouvel imperator de Budapest pourrait bientôt être rattrapé par la réalité: lors des fêtes de fin d’année, les petits épargnants filaient en Autriche placer leurs économies de l’autre côté de la frontière. “Sans être massif, le phénomène est déjà significatif”, note un économiste européen en poste à Budapest. A Vienne, les banques ont embauché des conseillers parlant hongrois et sont submergées par les demandes de rendez-vous.
Comment ce pays, autrefois surnommé la “baraque la plus gaie du camp soviétique”, en est-il arrivé là ? Le retour d’Orban aux affaires, en mai 2010, s’explique d’abord par le rejet de la coalition de gauche sortante, dont les membres étaient empêtrés dans la crise économique et discrédités par de nombreux scandales de corruption. La persévérance, la démagogie, le discours volontariste et nationaliste du leader du Fidesz ont fait le reste.
Désormais, l’Union européenne est placée devant un choix cornélien. Sanctionner la Hongrie? Cela ressouderait les partisans de Viktor Orban et les partisans de la théorie du complot contre la Hongrie. Mais s’abstenir de le faire reviendrait à renoncer au projet d’une Europe politique et démocratique.
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