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Hongrie. Vingt ans après la chute du communisme, l’ancien dissident cède à la tentation autoritaire.
Temps de lecture : 6 min
Il a tout de l’erreur de casting, ce jeune homme qui monte à la tribune élevée sur la place des Héros de Budapest, le 16 juin 1989. Face à un parterre de notables communistes et de galonnés soviétiques venus assister au transfert des cendres d’Imre Nagy, le symbole de l’insurrection de 1956 pendu sur ordre de Moscou, l’orateur fait tache avec ses 26 ans, ses joues creuses et ses cheveux longs. L’impression se confirme lorsqu’il prend la parole : face à un auditoire médusé, le fondateur de l’Alliance des jeunes démocrates (Fidesz) exige rien de moins que l’organisation d’élections libres et le départ de l’Armée rouge. Ses voeux seront exaucés l’année suivante.
Comment croire qu’en deux décennies le briseur de tabous plein de panache se soit mué en un Premier ministre toujours plus autoritaire que l’Union européenne doit rappeler à ses devoirs démocratiques et ses engagements communautaires (lire aussi le Bloc-notes de Bernard-Henri Lévy p. 122) ? La silhouette de l’ancien footballeur semi-professionnel s’est empâtée, la mise négligée du Jeune-Turc a cédé la place à des costumes plus conformes à la fonction de chef du gouvernement, l’anticommuniste libéral et libertaire est devenu un conservateur nationaliste, mais, fondamentalement, Viktor Orban n’a pas changé.
Le sens de la provocation est intact, qui cible aujourd’hui voisins et partenaires comme hier l’URSS. L’ambition, qui ne s’exprimait à l’époque qu’en cercles restreints, s’est rapidement affirmée aux dépens des convictions initiales. S’y est ajoutée la certitude que lui seul, décidément, était à même d’incarner la Hongrie. Grande, de préférence. Dernière étape en date de ce parcours en forme de dérive : l’entrée en vigueur, le 1er janvier, d’une série d’amendements à la Constitution jugés suffisamment choquants pour jeter dans la rue des dizaines de milliers de Hongrois dénonçant l'”Orbanistan” et la “démocrature”.
Mortifié. La République de Hongrie devient la Hongrie ; un détail en apparence mais, dans ce pays encore mortifié par le traité de Trianon qui l’a privé de près des deux tiers de son territoire, c’est dans ce genre de détail que se cachent le diable et ses penchants irrédentistes. Par ailleurs, la loi électorale est revue dans un sens beaucoup plus favorable au Fidesz, la Banque centrale passe sous la coupe du politique. Et, parallèlement à l’introduction d’une dimension religieuse (“Dieu bénisse les Hongrois”), ce protestant marié à une catholique dont il a eu cinq enfants a infléchi la loi fondamentale dans un sens restrictif sur les questions de société, qu’il s’agisse de l’avortement ou des droits des homosexuels.”Autoritaire, Viktor Orban l’a toujours été,commente un analyste.Simplement, auparavant, il n’avait pas les moyens d’assumer cette dimension.” Depuis les élections législatives du printemps 2010, qui lui ont donné une majorité des deux tiers au Parlement, il les a et il en joue. Ce n’est pas pour autant un dictateur : il a toujours respecté le verdict des urnes. Mais il a été tellement traumatisé par ses échecs qu’il s’arrange désormais pour ne plus en subir, la démocratie dût-elle en souffrir.
Nommé pour la première fois “ministre-président”, c’est-à-dire chef du gouvernement, en 1998, Orban est contraint de former une coalition et donc de réfréner ses ardeurs. Mais au terme de cette expérience qui révèle déjà un style musclé, le bilan, notamment dans le domaine économique, est suffisamment convaincant pour qu’il envisage le scrutin de 2002 avec sérénité. Le jeu des alliances joue cependant en faveur des socialistes, pour beaucoup d’anciens communistes que le sortant méprise.
Nostalgie.“C’est à ce moment-là qu’il a basculé, note le politologue Attila Agh.Au cours des huit années d’opposition qui ont suivi cet échec et dans l’espoir de reconquérir le pouvoir, il a tout promis et laissé libre cours à ses penchants populistes.” Une de ses armes favorites consiste à jouer sur la nostalgie de la grandeur passée, symbolisée par la dynastie des Arpad au Moyen Age, et à entretenir le rêve d’une reconquête des territoires perdus après la Première Guerre mondiale au profit de la Tchécoslovaquie, de la Roumanie, de la Serbie. L’arrière de sa voiture s’orne alors d’un autocollant aux contours de la grande Hongrie.
L’ancien étudiant à Oxford, grâce à une bourse de la Fondation Soros, a-t-il toujours porté en lui ce nationalisme teinté de revanchisme ? Ou bien use-t-il cyniquement de ce qu’il sait n’être qu’un fantasme pour mieux rassembler ? Toujours est-il qu’il y a deux ans, touchés de plein fouet par la première crise financière et trompés par le chef du gouvernement socialiste, Ferenc Gyurcsany, les Hongrois se rallient massivement au charisme d’Orban. Des déclarations, qui n’étaient pas destinées à être publiées, ont été fatales à Gyurcsany.”Nous avons merdé(…)menti matin, midi et soir(…)personne en Europe n’a fait de pareilles conneries sauf nous !” avouait sous embargo le chef du gouvernement.
Depuis, le mâle dominant qui, à 48 ans seulement, peut envisager une carrière longue fait en sorte qu’elle le soit ; gouvernant en solitaire, contrôlant tout et tous, malmenant la sacro-sainte séparation des pouvoirs. En dix-huit mois, la présidence de la République, la Cour des comptes, la Cour constitutionnelle sont passées aux mains d’obligés et il exerce une pression de plus en plus forte sur les milieux culturels et les médias indépendants, à commencer par ceux qui font l’opinion : la radio et la télévision, où son camp détient un quasi-monopole. Le Premier ministre a même anticipé un éventuel échec aux législatives de 2014. La nouvelle Constitution stipule ainsi que les mandats des principaux responsables de l’appareil d’Etat sont portés de neuf à douze ans ; en clair, cela signifie que, même rejeté dans l’opposition, le vaincu aurait les moyens de saper l’autorité de son successeur.
La “poutinisation” de la Hongrie n’est pourtant pas inéluctable. Certes, il ne faut pas trop compter sur la pression de la rue pour réfréner les pulsions de celui qu’elle a très confortablement élu : hors Budapest et les cercles intellectuels, son discours simpliste continue à séduire une majorité assommée par la crise, les mesures d’austérité et la dégringolade historique du forint, la monnaie nationale.”Les gens qui ont massivement voté pour son parti ne veulent pas se déjuger et, de toute façon, il n’y a pas vraiment d’alternative”, souligne Andras Kadar, coprésident du Comité Helsinki. En effet, les socialistes sont trop discrédités pour constituer une menace à court terme. Quant à la formation qui a le vent en poupe, le Jobbik, elle constituerait un remède pire que le mal : ultranationaliste, antisémite, anti-Roms, anti-tout.
Fierté. En revanche, Orban, qui s’est fait le chantre de la fierté et de l’indépendance hongroises, peut bien vitupérer contre l'”ère des banquiers et de l’Occident”, il va devoir composer avec les uns et l’autre. L’Union européenne, en premier lieu, qui a jusqu’à présent assez mollement réagi aux coups de canif portés aux règles communautaires, mais qui pourrait couper le robinet à crédits pour protester contre les atteintes à l’indépendance de la Banque centrale. Idem pour le FMI, dont une délégation avait écourté son voyage à Budapest le mois dernier et avec lequel il vient de reprendre langue. Or la Hongrie a urgemment besoin de 15 à 20 milliards d’euros, malgré la nationalisation à la hussarde des 11 milliards détenus par les fonds de pension privés. Mais on peut faire confiance à Viktor Orban pour concéder le minimum nécessaire à l’obtention du pactole, tout en expliquant à son opinion publique qu’il s’agit là d’une grande victoire personnelle contre la finance internationale.
Pour Viktor Orban, il ne s’agit que de patriotisme économique ; les investisseurs étrangers, eux, y voient plutôt une violation des règles de la concurrence. Déjà échaudés par le manque de visibilité dans un pays où un projet de loi peut être présenté le matin, voté l’après-midi et appliqué le lendemain, ceux-ci sont désormais soumis à l’arbitraire. A commencer par les entreprises françaises rivales de sociétés hongroises, qui doivent désormais acquitter une ” taxe de crise “. Premières concernées : Auchan, Suez, EDF, Veolia ; d’autres devraient suivre.
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“Et, parallèlement à l’introduction d’une dimension religieuse (“Dieu bénisse les Hongrois”), “

L’hymne de la Hongrie depuis un siècle est une prière qui commence par cette phrase : “Dieu bénisse les Hongrois”. Monsieur Orban n’a rien introduit, mais applique une notion que d’autres pays membres de l’Union ont souhaité faire figurer dans le traité créant l’Union européenne. Monsieur Giscard d’Estaing a oeuvré dans ce sens, mais sa proposition était rejetée. Les Polonais, eux, font toujours référence dans leur constitution à leurs origines chrétiennes.
On écrit toujours que la nouvelle constitution hongroise viole les principes établis par Bruxelles. Les commentateurs sont tellement peu certains de ce qu’ils affirment, que pas un ne cite précisément les griefs soulevés.
Les Hongrois qui vivent au centre de l’Europe géographique, aux croisées des chemins, sont habitués depuis des siècles d’être décriés par leurs voisins et par tous ceux qui passent à travers leur pays. Ils ont fait leur le proverbe arabe : “Les chiens aboient, la caravane passe”. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils survivent depuis plus de mille ans, depuis qu’ils sont arrivés dans le bassin des Carpates.
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Hymne national hongrois :
Bénis le Hongrois, ô Seigneur,
Fais qu’il soit heureux et prospère,
Tends vers lui un bras protecteur
Quand il affronte l’adversaire !
Donne à qui fut longtemps broyé,
Des jours paisibles et sans peines,
Ce peuple a largement payé
Pour les temps passés ou qui viennent.
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