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Accusée de blanchir de l’argent, de financer le terrorisme ou encore la cybercriminalité, la cryptomonnaie est aussi réputée extrêmement polluante. Est-ce pour autant une fatalité ?
Temps de Lecture 8 min.
Officiellement investi dans le bitcoin avec la trésorerie de sa société Tesla, Elon Musk a jeté l’opprobre sur la cryptomonnaie en mai dernier en annonçant ne plus accepter ce moyen de paiement pour ses automobiles tant que sa production serait « dépendante de combustibles riches en carbone […], en particulier du charbon ».
Le 20 mai, l’ONG Greenpeace expliquait au Financial Times renoncer à percevoir ces dons pour des raisons écologiques. Tout aussi lapidaire, Bill Gates n’a pas dit autre chose auprès du New York Times en mars dernier : « Le bitcoin n’est pas terrible pour le climat » – ce qui n’a pas empêché Microsoft de lancer au même moment un système décentralisé d’identité numérique ancré sur la blockchain du bitcoin, ION.
La fonction initiale du bitcoin est de propager et sécuriser les transactions de ses utilisateurs, et de les ancrer définitivement dans un registre numérique public, la fameuse « blockchain ». Une « chaîne de blocs », où les blocs seraient autant de pages d’un carnet de comptabilité virtuel, publique et identifiable par tous, qui permet de faciliter entre 500 millions et 14 milliards de dollars de transactions par jour, selon Blockchain.com.
Dans le cas du protocole « proof-of-work », ou preuve de travail, implanté par le créateur du bitcoin (un développeur connu sous le pseudonyme Satoshi Nakomoto), la création d’une nouvelle page de ce registre numérique est conditionnée à la résolution d’une équation cryptographique. Ce travail de résolution mathématique est opéré par un ordinateur, c’est le « mineur ». Lorsque ce dernier résout l’équation nécessaire à la poursuite de l’écriture du registre, il est récompensé par 6,25 bitcoins et des frais ponctionnés sur les transactions des usagers (eux-mêmes conditionnés à la rapidité avec laquelle l’utilisateur veut confirmer son paiement et à la congestion du réseau).
Si, au départ, un simple ordinateur suffisait à miner du bitcoin, sa valeur croissante a rapidement suscité des vocations : or, la difficulté des calculs nécessaires au minage s’ajuste automatiquement en fonction du nombre de machines candidates à ces opérations. Ainsi, plus il y a de mineurs et plus les calculs sont complexes. Avec un cours qui dépasse aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’euros, il est inutile d’essayer de miner du bitcoin avec un simple ordinateur de bureau : le secteur est si concurrentiel que des puces consacrées à ces calculs sont commercialisées : les Asics.
Les modèles les plus récents, comme l’Antminer Pro S19 de la firme chinoise Bitmain, sont vendus entre 7 000 et 9 000 euros. Compte tenu de la puissance de 3 250 watts indiquée par le constructeur (et par ailleurs, souvent sous-estimée), la consommation électrique d’un tel appareil est de 28 470 kWh/an s’il fonctionne en continu. A titre de comparaison, la consommation annuelle d’un congélateur est estimée entre 200 et 500 kWh/an, par le fournisseur d’énergie Engie.
Pour autant, un seul exemplaire n’est guère utile pour parvenir à ses fins : les plus gros mineurs de bitcoin disposent de parcs de centaines de machines, soigneusement entretenues et constamment ventilées, pour éviter leur surchauffe : ce sont des fermes de minage. Certaines des plus grosses, comme celle de Northern Data au Texas, évoquent une consommation de 1 GWh/an, soit la production de 3,1 millions de panneaux photovoltaïques, selon une estimation du site Energy.gov en 2019.
Une débauche d’énergie justifiée par la manne financière que représente le bitcoin : « la consommation électrique est corrélée au prix du bitcoin », confirme Marc Bevand, business angel et ex-ingénieur pour Google. Un rapport aisément vérifiable par l’observation des courbes logarithmiques du prix du bitcoin et de la puissance totale allouée au minage de celui-ci.
C’est un fait : le réseau du bitcoin est consommateur d’électricité, comme, chacune à leur échelle, l’ensemble des cryptomonnaies. Selon l’université de Cambridge, qui propose sur son site Internet un index pour évaluer cet impact, la consommation annuelle du bitcoin est actuellement estimée à près de 115 TWh. D’après les données de l’agrégateur de statistiques IndexMundi, cofondé par un ancien chercheur du MIT, les Emirats arabes unis (113 TWh) ou les Pays-Bas (109 TWh) consommaient moins en 2020.
« On peut préférer comparer cette consommation à celle d’une grande ville, comme Los Angeles », nuance, depuis son jardin californien, Marc Bevand, auprès du Monde. Ce dernier a conseillé Cambridge, qui avait remarqué ses travaux relatifs à la consommation annuelle du bitcoin, effectués en réaction à une autre estimation du site Digiconomist, reprise à l’époque par de nombreux médias, tels que The Guardian, Le Temps ou Libération.
S’il reconnaît le caractère pionnier de tels travaux, ceux-ci surestiment, selon lui, du simple au double la consommation réelle du bitcoin. Un scepticisme notamment partagé auprès de CNBC par d’autres observateurs, tels Christian Catalini, professeur au MIT, ou Jonathan Koomey, chercheur pour la politique énergétique à l’université de Stanford.
A noter qu’il existe plusieurs milliers de cryptomonnaies, et des centaines s’appuient sur un protocole similaire à celui du bitcoin. C’est, par exemple, le cas de l’Ethereum, de Monero ou encore de ZCash, pour les plus connues. Là encore, la plus grosse part du gâteau est réservée aux propriétaires des meilleures puces électroniques, généralement celles des cartes graphiques normalement consacrées au jeu vidéo, ce qui explique en partie leur pénurie. Selon une estimation de chercheurs de l’université de Munich et du MIT parue en décembre 2020, la blockchain Ethereum consommerait environ l’équivalent de 16 % de la consommation du bitcoin. Le site Digiconomist évoque environ 40 %.
Certains créateurs de cryptomonnaies ont fait le choix de protocoles supposés plus écologiques. L’ether, la monnaie de la blockchain Ethereum, est encore produite par du minage, mais ses développeurs travaillent pour une transition vers le protocole « proof-of-stake », soit la « preuve d’enjeu », par opposition au « proof-of-work » utilisé par le bitcoin. Un système déjà inauguré par des cryptomonnaies comme Peercoin ou Nxt, aujourd’hui quasi disparues.
Ici, pour créer des blocs supplémentaires, un « validateur » doit prouver la possession d’une certaine quantité de monnaies et les verrouiller. En échange de cette participation, il reçoit en récompense un intérêt proportionnel au capital mis sous séquestre, à l’image d’un livret bancaire. Pour la future version de l’Ethereum, cet émolument est estimé à environ 6 % par an.
En théorie, ce protocole ne nécessite pas plus qu’un simple ordinateur, même si certaines implémentations pénalisent un validateur qui resterait hors ligne trop longtemps. S’il semble idéal sur le papier, ses détracteurs estiment qu’aucune implémentation n’a fait ses preuves en matière de sécurité. Pour Pierre Rochard, économiste de la plate-forme américaine d’échanges de cryptomonnaies Kraken, ce protocole, qu’il qualifie de « ploutocratie », ne présente même aucune amélioration par rapport au système financier traditionnel, puisqu’il favorise les plus gros portefeuilles. A titre d’exemple, il faudra détenir 32 ethers (soit près de 65 000 euros à la date du 11 juin 2021) pour devenir un validateur dans la prochaine itération de l’Ethereum. « La preuve d’enjeu consomme bien moins d’énergie que la preuve de travail, mais le revers de la médaille est qu’elle suscite bien plus de centralisation », insiste l’économiste auprès du Monde.
D’autres, comme Tezos ou EOS, se sont tournées vers « la délégation de preuve d’enjeu » où des utilisateurs délèguent leurs monnaies à des validateurs, triés selon différents critères, et parfois de manière si opaque que ces blockchains sont soupçonnées d’être régies par des « cartels » : des validateurs qui conspirent et mettent à mal le principe de décentralisation. Un point notamment soulevé par l’équipe de recherches de la plate-forme d’échanges de cryptomonnaies Binance.
De fait, jusqu’à aujourd’hui, aucun protocole alternatif n’a prouvé pouvoir assumer les mêmes promesses d’une cryptomonnaie décentralisée, publique et sécurisée avec une empreinte carbone négligeable. La conversion verte de l’Ethereum est d’ailleurs en travaux depuis plus de quatre ans en raison de difficultés techniques. « Si nous découvrons un jour un mécanisme de preuve d’enjeu sans compromis négatif, les utilisateurs du bitcoin l’adopteront », assure Pierre Rochard, en soulignant que le « code source du bitcoin est ouvert à tous ».
Face aux interrogations légitimes qu’implique l’urgence climatique, les acteurs de cet écosystème répondent à l’unisson. Pour Sébastien Gouspillou, cofondateur de l’entreprise consacrée au minage BigBlock DataCenter, cette technologie inciterait même à abandonner les combustibles fossiles : « Au Kazakhstan, je représente une aubaine pour l’opérateur de la centrale hydraulique. Il produit du surplus, je le consomme. Pour lui, son coût est nul », relate-t-il au Monde. Comme lui, de nombreux mineurs aspirent à s’éloigner du charbon chinois et à atteindre la neutralité carbone : selon une étude de Coinshares de 2019, celle-ci concernerait 70 % des bitcoins minés, une estimation néanmoins abaissée à 40 % par Cambridge en 2020.
La société Square, fondée par le créateur de Twitter Jack Dorsey, estime dans un article publié le 21 avril que cette cryptomonnaie pourrait même devenir une source de financement pour les infrastructures d’énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire. « Nous sommes très sollicités par des producteurs d’électricité, des constructeurs d’éoliennes, qui réalisent que nous sommes une manne pour leur rentabilité », abonde Sébastien Gouspillou.
Une semaine après avoir critiqué le bitcoin pour son empreinte carbone, Elon Musk s’est félicité d’avoir initié une coalition de mineurs nord-américains pour opérer cette transition énergétique. Plus surprenant, l’autoritaire président du Salvador vient d’annoncer la construction d’une centrale de minage alimentée par la vapeur d’eau issue des volcans du pays.
I’ve just instructed the president of @LaGeoSV (our state-owned geothermal electric company), to put up a plan to o… https://t.co/Di92ET6zCt
« J’ai demandé au président de l’entreprise publique d’énergie géothermique de proposer un plan pour créer un centre de minage de bitcoin alimenté par l’énergie, bon marché, 100 % propre, 100 % renouvelable et sans émission polluante, de nos volcans. »
Ouvert au débat énergétique, le Français Marc Bevand souligne que ce qu’apporte le bitcoin est « un système financier, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, au contraire des banques ». Et d’oser une dernière comparaison : « 115 TWh par an, c’est seulement la production annuelle de la plus grosse centrale hydraulique du monde, le barrage des Trois Gorges, en Chine ».
En mai dernier, la firme Galaxy Digital évaluait la consommation énergétique inhérente au système bancaire et à l’industrie minière de l’or, deux écosystèmes que le bitcoin aspire à concurrencer, comme étant deux fois supérieure à celle de la devise numérique.
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