Leurs 78 maisons ont fait du luxe un atout pour notre économie. Ils fêtent leurs 60 ans.
Paris Match. Le Comité Colbert a choisi le château de Versailles pour célébrer ses 60 ans. Est-ce parce qu’il symbolise dans le monde la quintessence du luxe à la française ?
Guillaume de Seynes. Versailles et Colbert ont une valeur doublement symbolique pour notre comité. Le château, parce qu’il illustre la période d’apogée des arts décoratifs français qui s’est poursuivie au XVIIIe siècle. Et puis nous rendons hommage à notre célèbre « parrain », Jean-Baptiste Colbert, dont nos fondateurs ont choisi le nom parce que, principal ministre de Louis XIV, il a beaucoup encouragé et dynamisé l’orfèvrerie, la miroiterie, la tapisserie, l’ébénisterie… cela dans un souci de grandeur de la France et de “compétition” face à l’Italie, très talentueuse également à l’époque dans les arts déco.

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Votre oncle, le légendaire Jean-Louis Dumas, président d’Hermès durant vingt-huit ans, a présidé le Comité Colbert pendant quatre ans, de 1988 à 1991. Lui, le visionnaire, quel rôle y a-t-il joué ?
 Jean-Louis s’est passionné pour le comité, dont Hermès est membre depuis l’origine. C’est lui qui a eu l’idée d’offrir des bourses aux jeunes créateurs et de promouvoir les métiers de la main. C’est lui aussi qui a encouragé le regroupement de nos maisons, concurrentes dans la vie de tous les jours, pour porter haut l’image de notre créativité, de notre savoir-faire, de notre patrimoine français. Il était très investi dans l’idée que de grandes sociétés de luxe doivent exprimer leur solidarité à l’international avec des maisons plus petites ou plus récentes, à l’occasion d’événements pilotés par le comité.

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De gauche à droite : 1. Antoine Arnault (Berluti), 2. Pierre Hermé (Pierre Hermé Paris), 3. Thierry Gardinier (Taillevent), 4. Philippe Guettat (Martell), 5. Olivier Mellerio (Mellerio dits Meller), 6. Michael Burke (Louis Vuitton), 7. Elisabeth Ponsolle des Portes (Comité Colbert), 8. Christophe Salin (Château Lafi te-Rothschild), 9. Barthélémy Jobert (La Sorbonne), 10. Diane de Selliers (Diane de Selliers Editeur), 11. Nadine Gavillon (Dalloyau), 12. Sidney Toledano (Christian Dior Couture), 13. Dominique Hériard Dubreuil (Cognac Rémy Martin), 14. Patrick Frey (Pierre Frey), 15. Daniel Tribouillard (Leonard), 16. Michel Bernardaud (Bernardaud), 17. Catherine Pégard (Château de Versailles), 18. Guillaume de Seynes (Hermès), 19. Bruno Pavlovsky (Chanel), 20. Franka Holtmann (Le Meurice), 21. David Caméo (Les Arts Décoratifs), 22. Margareth Henriquez (Champagne Krug), 23. Jean-Michel Delisle (Delisle), 24. Geof roy d’Anglejan (La Maison du Chocolat), 25. Françoise Montenay (Parfums Chanel), 26. Jérôme de Lavergnolle (Saint-Louis), 27. Jérôme Philipon (Champagne Bollinger), 28. Michel Rouget (Ercuis), 29. Florence Ollivier (Breguet), 30. Alain Flammarion (Flammarion Beaux Livres), 31. Françoise Lehmann (Lancôme), 32. Didier Le Calvez (Hôtel Le Bristol), 33. Christopher Descours (Bonpoint), 34. Jean Cassegrain (Longchamp), 35. Fabrice Trivero (Hédiard), 36. Hélène Dubrule (Puiforcat), 37. Christophe Caillaud (Christian Liaigre), 38. Romain Alès (Caron), 39. Romane Sarfati (Sèvres-Cité de la céramique), 40. Dominique Frémaux (Yves Delorme), 41. Guy Savoy (Le restaurant Guy Savoy Paris), 42. Laurent Boillot (Guerlain), 43. Michèle Huiban (Jeanne Lanvin), 44. Thierry Maman (Parfums Givenchy), 45. Irina Eris (Dr Irena Eris), 46. Guy Job (L’atelier de Joël Robuchon Etoile), 47. Nicolas Bussière (Bussière), 48. Jean- Louis Leimbacher (Hôtel du Palais), 49. Bruno-Georges Cottard (Jean Patou Paris), 50. José Silva (Four Seasons Hotel George V), 51. Daniela Riccardi (Baccarat), 52. Olivier Mauny (Eres), 53. Pierre Hardy (Pierre Hardy), 54. Jean-André Charial (Oustau de Baumanière), 55. Alain Ducasse (Plaza Athénée), 56. Jean-Michel Duriez (Rochas), 57. Hervé Van der Straeten (Hervé Van der Straeten), 58. Jean-Marc Gallot (Champagne Veuve Clicquot Ponsardin), 59. Pierre Bouissou (Boucheron), 60. Jiri Riha (Moser), 61. Yves de Talhouët (Faïenceries de Gien), 62. Pierre-André Maus (Lacoste), 63. Geoffroy de la Bourdonnaye (Chloé), 64. Lorenz Bäumer (Lorenz Bäumer Joaillier), 65. Christophe Beaux (La Monnaie de Paris).

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Et ce beau projet s’est poursuivi au long de ces soixante ans ?
Sans interruption. Depuis les années 1980, les grandes maisons continuent d’emmener les petites à l’étranger à l’occasion d’opérations exceptionnelles. Nous avons commencé dans les années 1990 par Tokyo, puis New York, puis la Chine à Shanghai et à Hongkong, Moscou en 2007, Dubai en 2010 et Istanbul l’an dernier. Chaque fois, les maisons majeures, déjà implantées dans ces pays, comme Chanel, Vuitton ou Hermès, accueillent dans leurs murs les plus petites, leur donnant l’occasion d’avoir une vitrine sur ces marchés et de s’y implanter. C’est une démarche de solidarité exclusive dans l’industrie française, qui explique en partie l’explosion des ventes du luxe tricolore à l’international, soit 86 % des 39 milliards de chiffre d’affaires de nos 78 membres.
Les “bébés marques” de luxe ne sont-ils pas étouffés au sein du comité par les grandes et vénérables maisons ?
Au contraire, ils prospèrent. A l’origine, en 1954, notre association comptait 15 maisons ; aujourd’hui, elle en rassemble 78. Celles créées au XIXe ou même au XVIIIe siècle cohabitent très bien avec les jeunes entreprises du XXIe siècle comme Pierre Hermé, Pierre Hardy, Hervé Van der Straeten ou Lorenz Bäumer. Cette belle dynamique est un atout pour notre pays.

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Quel est le secret du comité pour faire travailler ensemble autant de marques concurrentes ?
 Nous collaborons sur des thèmes d’intérêt commun. Je suis par exemple vice-président du Comité Colbert, et en même temps président de la commission métiers et ressources humaines. Notre objectif à tous est de valoriser les métiers. Ainsi, depuis plusieurs années, nous obtenons pour nos artisans des médailles de chevalier des Arts et des Lettres. Nous les leur remettons lundi, à Versailles, en couvrant le plus largement possible l’ensemble l’ensemble des métiers du Comité Colbert. Par ailleurs, nous souhaitons recruter. Pour encourager les vocations de jeunes et les attirer à nous, nous avons établi un programme avec le rectorat de Paris, qui contient des journées de démonstration à leur intention.
Le luxe est-il un secteur d’avenir pour les jeunes ?
Les chiffres le démontrent. Nos maisons représentent en France 47 000 emplois directs et 165 000 indirects chez nos sous-traitants. Ils sont en augmentation constante.
Le made in France est-il une condition de la garantie de l’excellence des produits ?
Certainement. Chez Hermès comme dans les autres maisons Colbert, nous voulons mettre en avant les savoir-faire d’excellence, les meilleurs du monde, que la France a su cultiver depuis des décennies dans la soie, la joaillerie, la mode, la gastronomie, le cuir, etc. Aujourd’hui, par exemple, Hermès possède en France treize sites de production pour le cuir, et deux nouveaux vont ouvrir pour répondre à une demande en expansion.
Le luxe français n’est donc pas menacé par le “French bashing” ?
Clairement, l’origine française reste un point très fort de la renommée de nos maisons. Le mot “France” est synonyme de qualité, de patrimoine et de créativité. Dans la mode, notamment. La semaine parisienne de la mode est le moment phare de toute la saison. Elle est beaucoup plus importante que la fashion week de New York en matière de créativité et par le nombre de créateurs internationaux qui viennent défiler à Paris. Ne vous y trompez pas, même si Milan et New York font parfois plus de bruit médiatique que Paris.
Dans l’ensemble, le luxe tricolore semble échapper à la récession mondiale. Hermès, par exemple, prévoit une augmentation de ses ventes cette année à plus de 4 milliards d’euros. Est-ce grâce à la multiplication des millionnaires, presque 40 % de plus cette année dans le monde, y compris 4 000 ultra-riches recensés dans l’Hexagone ?
 Depuis plusieurs années, la dynamique du luxe français est portée par l’enrichissement d’une nouvelle clientèle en Chine, en Amérique du Sud (notamment au Brésil), au Moyen- Orient, en Corée, à Singapour, en Indonésie, en Thaïlande. Ces clients sont gourmands de nos produits. En Chine, où vous avez démarré en 1997, vous possédez aujourd’hui 22 boutiques et venez d’ouvrir une cinquième maison Hermès à Shanghai.
Quel rapport les Chinois entretiennent-ils avec le luxe ?
Ce qui est très frappant, c’est la sophistication des clients chinois. Il y a dix ou quinze ans, ils achetaient sans doute pour obtenir un signe de reconnaissance ou pour suivre la mode présentée dans les magazines. Aujourd’hui, ils ont affirmé leurs goûts et leurs envies. Cela a été très rapide. La consommation en Chine de ces produits est en train d’évoluer car elle était très masculine. Elle a tendance aujourd’hui à s’équilibrer, la clientèle féminine, pour le prêt-à-porter et les accessoires notamment, est de plus en plus importante. Vous faites de la créativité un signe distinctif du luxe français.
Chez Hermès, comment la traduisez-vous ?
Pour échapper au risque de la banalisation, la seule réponse est en effet la créativité, le renouvellement, l’extension du territoire, afin de surprendre le client. Cette année, à l’ère du tout numérique, nous avons lancé un stylo, le Nautilus, en référence à Jules Verne. Nous avons aussi créé tout un univers d’écriture : papier à lettres, cahiers… Ces nouveaux objets rencontrent vraiment un beau succès. Ce qui ne nous dispense pas, pour accompagner nos clients, de leur proposer des étuis pour iPad, iPhone…
Vous aimez souligner que les familles qui détiennent Hermès sont attachées aux valeurs protestantes : philosophie du travail bien fait, culte du long terme, goût de la discrétion. N’oubliez-vous pas d’ajouter la fierté de gagner de l’argent ?
 Il est vrai que dans la philosophie protestante il n’y a aucune honte ni aucun opprobre à gagner de l’argent si c’est grâce au travail et à l’effort. Certains penseurs, dont Max Weber, ont même développé la théorie selon laquelle les pays influencés par le protestantisme, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ont une réussite économique plus facile.
Alors que nous, les Français, avons fait fuir les protestants ?
Exact. Colbert, c’est bien, Versailles, c’est formidable, mais la révocation de l’édit de Nantes, ce n’est pas terrible !
Pour vous, quel est le prototype de la femme élégante ?
 Ma cousine Pascale Mussard. Elle a l’art de mélanger Hermès avec une pièce originale. Je l’ai vue porter un manteau léger beige. Je lui ai demandé : “C’est très chic, mais, c’est quelle collection ?” Elle m’a répondu : “Mais non, c’est un tablier de cuisinier japonais que je porte à l’envers !”
Et le summum de l’homme élégant ?
En tant que président de John Lobb, c’est celui qui a de jolies chaussures parfaitement cirées.
Depuis septembre, vous avez signé la paix avec LVMH en stabilisant votre actionnariat familial. Le capitalisme familial est-il la garantie d’excellence dont vous faites votre credo ?
 Il est fondamental, pour une grande maison de luxe, d’offrir à la clientèle une cohérence sur le long terme. En clair, de ne pas faire de zigzags, d’avoir une stratégie explicite qui permet de faire grandir une marque avec des valeurs très lisibles, un esprit cohérent. Et il est vrai que cette cohérence est donnée par un actionnaire stable qui est, en effet, souvent un actionnaire familial.

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