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Arpenter le marché d’Angoulême sans la remarquer, ce serait demeurer le nez en l’air, collé à la charpente métallique du 19e siècle. Car, dès que le regard navigue dans les travées commerçantes, elle interpelle. La “Paëlla Anderson” est préparée par Brice Cardonna et relève des curiosités du lieu. Une spécialité généreusement vantée par le restaurateur des halles, bien plus qu’une petite monnaie dont le pictogramme cherche sa place entre la caisse et la tirelire. Combien de clients payent en Bulle chaque semaine ? “Pas beaucoup !“, coupe court un de ses collègues. Deux, trois peut-être. “Mais si le marché ne le fait pas, ça craint ! On représente quand même les produits locaux !”, mobilise le patron.
C’est, depuis le tournant des années 2010, le rêve entrepris par des monnaies locales complémentaires (MLC) que de proposer une alternative à l’euro par des devises locales favorisant le commerce de proximité. A Bordeaux, avec la Miel, au Pays basque, avec l’Eusko, et ailleurs, elles sont environ 80 aujourd’hui dans le pays, dont la Bulle, représentante charentaise en cours de déploiement sur tout un département et ses centres urbains. Celle-ci est pensée depuis 2014 au sein de l’association Poivre MLC, avant d’être lancée en mars 2019. Et qui, avec quelques 150.000 Bulles en circulation (soit autant d’euros), ne symbolise encore qu’une coloration imperceptible de l’économie
monnaie locale La Bulle Angoulême
Les commerçants acceptant les paiements en monnaie locale le signalent grâce à un pictogramme. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Il fallait bien qu’on prenne le temps, sinon on nous aurait pris pour des illuminés… Bon, ça n’a pas empêché“, rejoue Olivier Tourvieille. Le membre cofondateur de l’association, “intéressé d’abord par l’expérience économique du projet“, fait les comptes et s’enthousiasme à l’heure du café matinal sous les halles d’Angoulême. En un an, la Bulle a converti – car on parle bien d’un idéal de société – plus de 200 nouveaux professionnels. Fin 2021, 300 commerçants charentais acceptent ainsi les paiements par Bulle. Ce qui a permis de gagner aussi des utilisateurs : de 600 fin 2020, la monnaie en compte aujourd’hui plus de 2.000. “On a professionnalisé le fonctionnement et industrialisé notre déploiement” illustre Valérie Girard, chargée de développement depuis bientôt deux ans.
L’adhésion
60€
Pour les professionnels, adhérer à la Bulle coûte 60 euros par an pour une structure qui compte jusqu’à 10 salariés. Au-delà, l’adhésion est affichée à 300 euros. Quant aux particuliers, ils versent une cotisation annuelle libre. Ces revenus permettent de faire fonctionner et de développer l’association.
60€Pour les professionnels, adhérer à la Bulle coûte 60 euros par an pour une structure qui compte jusqu’à 10 salariés. Au-delà, l’adhésion est affichée à 300 euros. Quant aux particuliers, ils versent une cotisation annuelle libre. Ces revenus permettent de faire fonctionner et de développer l’association.

Une mobilisation qu’il était temps de mener si la monnaie charentaise ne voulait pas buller dans un coin. Ou faire “pschiit“. Ou même éclater. Après avoir convaincu quelques curieux de disposer de bouts de papiers d’une autre couleur dans leur portefeuille avec, pour épater la galerie marchande, un billet de 16, comme le numéro du département, comment diffuser la monnaie auprès d’un public varié ? Car, si “c’est marrant cet argent qui bouge” comme le mime un commerçant, demandons-le clairement et dans l’intérêt du consommateur : cette Bulle va-t-elle lui faire gagner des ronds ?
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Non, pas de miracle, puisqu’une Bulle équivaut à un euro. Mais “on sort des euros du système spéculatif” tout en “finançant les entreprises locales” se complètent Olivier puis Valérie. Et ça marchera (un peu) seulement si un nombre élevé de personnes s’empare de la Bulle en adhérant à l’association. Plus de 2.000 Charentaises et Charentais l’utilisaient fin novembre 2021, avec même des pôles actifs dans plusieurs villes du nord au sud du département (Mansle, Cognac, Barbezieux…). 15.000 Bulles circulaient alors en billets et 55.000 en numérique. Mais ça, attention, c’était avant l’opération Déclic.
monnaie locale La Bulle Angoulême
Le billet de 16 Bulles est un emblème, mais la monnaie numérique lui est préférée. (Crédits : Maxime Giraudeau)

5.300 bons d’achat d’une valeur de 50 euros – pardon 50 Bulles – à distribuer aux agents du Grand Angoulême ayant participé à l’effort de vaccination (infirmières, médecins libéraux, pharmaciens…). Telle est la voie trouvée par les élus de l’agglomération pour faire grossir significativement la Bulle. Une injection de 265.000 euros, soit une des plus grosses aides jamais versées par les politiques publiques à une monnaie locale française. Avec un potentiel de sensibilisation inédit puisque “les bénéficiaires n’habitent pas que sur le grand Angoulême” relance Valérie Girard.
Mais la partie n’est pas jouée. Après avoir fait profiter de cette prime de fin d’année à dépenser chez les commerçants locaux, il faudra encore convaincre qu’il ne s’agit pas là d’un gadget financier.
Il a fallu beaucoup plus de pédagogie que ce qu’on imaginait au départ, admet Vincent You, vice-président du Grand Angoulême en charge des circuits économiques de proximité. Le dialogue doit se faire au cas par cas avec les commerçants.
Augmenter le réseau de membres, pour multiplier les bonnes raisons d’utiliser la monnaie. Et de créer un compte qui servira au-delà de la seule dépense du bon d’achat, sans quoi le quart de million d’euros investi ne circulera qu’entre les déjà convaincus.
Dans les rues de la capitale charentaise, on sent déjà une émulation depuis les confinements. “Beaucoup de clients m’en parlaient alors qu’au départ, il y avait très peu de débouchés. Maintenant, ça commence à prendre” avise Stéphane Leroy, torréfacteur qui utilise la monnaie depuis fin 2019. Dans une pâtisserie quelques rues plus loin, on a en mémoire, qu’il n’y a pas si longtemps, “on savait exactement quels clients allaient payer en Bulle.” Le gain d’intérêt suscité depuis est le fruit des efforts du collectif citoyen à professionnaliser le projet, combiné à l’appui financier de l’agglomération. Mais pour les responsables de l’association, ce soutien politique a des limites.
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« Les monnaies locales mises en place par les collectivités elles-mêmes n’ont pas fonctionné, relève Valérie Girard. Si le mouvement ne vient pas de la base, il est tronqué. Il faut que les citoyens portent le projet sinon il dépend uniquement des aides publiques. » Et tout le sens impulsé se retrouve perdu.
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Valérie Girard et Olivier Tourvieille réfléchissent à l’avenir sans toujours tomber d’accord, à l’image des discussions du collectif. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Une question qui suscite de nombreux débats dans les collectifs de MLC comme le rapporte un article scientifique paru en juillet 2021 dans la revue Management international.Des difficultés sont susceptibles d’apparaître dans le degré d’indépendance souhaité vis-à-vis des institutions publiques qui sont mises à distance mais qui peuvent aussi se révéler nécessaires pour permettre aux différents dispositifs de se développer et d’avoir un impact réel.
Au Grand Angoulême, on a bien conscience de ce besoin d’autonomie, en même temps de reconnaître que la question “n’est pas encore complètement réglée“. “C’est intéressant d’avoir un outil qui soit citoyen, et en même temps il se doit d’être professionnalisé” estime Vincent You. D’autant que rien ne garantit que la Bulle vole d’elle-même après l’opération Déclic. Quand d’ailleurs les porteurs de la monnaie jugeront-ils que leur but est atteint ? A 100.000 utilisateurs ? 1 million de bulles en circulation ? Difficile de parler de chiffres quand on convoque des idées. Dont celle de faire comprendre aux citoyens que la monnaie est un bien commun qui, si son usage est massifié sur la Charente, dépassera les premières volontés de ses créateurs.
Parmi elles, il y a “l’envie de promouvoir le commerce local“, de “défendre la Charente” ou encore de mener “l’expérience écologique face aux dérives de la mondialisation“. Les mêmes ambitions que portaient le candidat Pierre Hurmic à Bordeaux, lors de la campagne des élections municipales, au sujet la Miel, homologue bordelaise de la Bulle. Des volontés qui trouvent forcément un écho dans les temps actuels d’urgence politique et sociale à relocaliser les chaînes de valeur, mais qui doivent se matérialiser dans les usages partagés et cultiver leurs valeurs propres. Sans quoi, comme l’illustre un rapport présenté en 2019 lors d’un colloque sur les inégalités au Québec, “les monnaies locales, et quelques échecs le prouvent déjà, ne seront bien que des gadgets, des monnaies « de Monopoly », des monnaies ludiques en quelque sorte“.
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