"La question des gains territoriaux russes depuis le 24 février va être un point de crispation important dans les négociations en cours", estime notamment l'ancienne diplomate Marie Dumoulin.
Sputnik via AFP
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Une première éclaircie dans les pourparlers russo-ukrainiens, mais pas encore la fin de la guerre. Loin de là. A l’issue d’une nouvelle salve de discussions, mardi 29 mars à Istanbul, les négociateurs des deux pays ont salué des avancées “substantielles”. Les diplomates ont même évoqué une possible rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine pour trouver une issue au conflit. Plus tôt dans la journée, le vice-ministre russe de la Défense avait indiqué que Moscou allait “réduire radicalement son activité militaire en direction de Kiev et Tcherniguiv”, dans le nord du pays, pour “accroître la confiance” autour d’un possible “accord sur la neutralité et le statut non nucléaire de l’Ukraine”, deux revendications clés de Moscou.
Pour autant, une sortie de crise semble encore lointaine à ce stade. “La réduction de la présence militaire russe dans le nord de l’Ukraine – même si elle reste à confirmer – serait une avancée. Mais pour le moment, les combats continuent de faire rage dans l’est et le sud du pays”, pointe Carole Grimaud Potter, fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, basé à Genève. De même, Kiev fait toujours du retrait complet des troupes russes de son territoire un préalable à la signature de tout accord. Ce qui pose la question de l’avenir des gains territoriaux conquis par Moscou depuis le début du conflit.
“Quelle que soit à terme l’ampleur des territoires que la Russie aura sous son contrôle, on peut supposer qu’elle ne souhaitera pas les rendre à l’Ukraine. De la même manière, on peut supposer que l’Ukraine ne souhaitera pas reconnaître la souveraineté russe sur ceux-ci, estime Marie Dumoulin, ancienne diplomate et directrice du programme Europe élargie à l’European Council for Foreign Relations (ECFR). La question des gains territoriaux russes depuis le 24 février va donc être un point de crispation important dans les négociations en cours.”
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De leur côté, Washington et Londres n’ont pas caché leur scepticisme à l’égard des avancées dans les pourparlers entre Moscou et Kiev. “Je n’ai rien vu qui puisse suggérer qu’il y a un véritable mouvement parce que nous n’avons pas vu de signes de réel sérieux de la part de la Russie”, a estimé le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken dans la foulée. “Il y a ce que dit la Russie et ce que fait la Russie. Nous nous concentrons sur ce qu’elle fait”, a-t-il nuancé, ajoutant que les Ukrainiens négocient avec “un pistolet littéralement sur leurs têtes”.
Dimanche, le chef du renseignement militaire ukrainien, le général Kyrylo Boudanov, avait affirmé que Moscou envisagerait “un scénario coréen pour l’Ukraine”, visant à “imposer une ligne de division entre les régions inoccupées et occupées”. Après trois années de guerre opposant les deux Corées entre 1950 et 1953, la signature d’un armistice avait mis fin aux hostilités et scellé la division de la péninsule en deux pays distincts. La création, à l’époque, d’une zone démilitarisée de 248 kilomètres de long pour quatre kilomètres de large, suivant l’ancienne ligne de front au niveau du 38e parallèle nord, fixe la frontière depuis lors entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
“Une partition de l’Ukraine pourrait entraîner la création d’une zone pro-russe, dont le statut reste à définir, à l’est et dans le sud de pays, permettant notamment à Moscou d’avoir un corridor terrestre entre le Donbass et la Crimée. A l’ouest du pays, on pourrait en revanche imaginer une zone neutre et partiellement démilitarisée, qui garde Kiev comme capitale et soit sous contrôle du gouvernement de Zelensky, dresse Carole Grimaud Potter. On peut imaginer que la Russie va continuer de faire peser une pression militaire sur l’Ukraine pour la pousser à céder davantage de territoire.”
Moscou avait déjà annoncé vendredi réduire ses ambitions dans le Nord pour “concentrer le gros des efforts sur l’objectif principal : la libération du Donbass”. Dans cette région, deux républiques séparatistes pro-russes – reconnues par Moscou – combattent les forces ukrainiennes depuis 2014. “Les occupants essaieront d’unir les territoires occupés en une seule entité quasi-étatique, qui s’opposera à l’Ukraine indépendante. Nous assistons déjà à des tentatives de création d’autorités parallèles dans les territoires occupés, qui obligent les gens à renoncer à la monnaie ukrainienne”, dresse le renseignement ukrainien.
En ce qui concerne spécifiquement la question du Donbass, le leader du territoire séparatiste pro-russe de Lougansk a annoncé qu’il pourrait prochainement organiser un référendum visant à rejoindre la Russie. Une menace qui n’est pas sans rappeler le précédent de la Crimée. En 2014, la péninsule avait autoproclamé son indépendance après avoir été envahie par des forces russes, puis été rattachée à la Russie à la suite d’un référendum non reconnu par la communauté internationale.
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