A la caserne d’Auteuil, dans le 16e arrondissement de Paris, ceux qui étaient de garde dans la nuit du 4 au 5 février dernier s’en souviendront longtemps. Ils venaient d’éteindre un feu de poubelle quand l’alerte retentit au centre de secours. « On part à sept pour un feu sur un palier, au deuxième étage, c’est la seule info qu’on avait », se souvient Jérôme*, adjudant de 41 ans, le chef ce soir-là. « On ne s’attendait pas à ce qu’on a trouvé là-bas », complète Baptiste, 28 ans, son second, grand sergent brun au regard clair.
Devant le 17 bis, rue Erlanger, règne un calme trompeur. Baptiste et ses hommes traversent un long couloir pour accéder à une cour et découvrent, face à eux, ce qui sera le plus grand incendie que Paris ait connu depuis 2005. « Imaginez une cheminée de neuf étages », suggère Christophe, caporal-chef, un petit brun à la musculature imposante. Reclus dans leurs appartements ou assis sur les corniches, prêts à sauter, 74 habitants sont prisonniers des flammes.
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« Baptiste nous dit tout de suite “sauvetage”, un ordre très clair qui signifie qu’il faut faire vite », reprend Aurélien, un grand Savoyard de 29 ans au grade de caporal. Impossible de rapprocher le camion et sa grande échelle jusqu’à la façade.
Aurélien, en tenue de feu avec 15 kilos de matériel sur le dos, escalade donc le bâtiment, étage après étage, à l’aide d’une échelle qui ne repose que par deux crochets aux rambardes des fenêtres. Il enchaîne quatre allers-retours, jusqu’au sixième étage, et sauve la vie de sept personnes. Un exploit sportif, au milieu des cris, des fumées et des flammes.
En parallèle, Christophe pénètre dans la cage d’escalier entièrement embrasée et défonce une à une les portes des appartements à coups de pied. « Dès que je voyais quelqu’un, je lui mettais une cagoule sur la tête, alimentée en oxygène, et je le descendais sur mes épaules », raconte-t-il. Six personnes lui doivent la vie.
Au total, 64 habitants ont été sauvés et 10 sont morts, asphyxiés ou après avoir sauté, dont une femme tombée du septième étage aux pieds d’Aurélien.
Comme il est d’usage après de telles épreuves, ceux qui étaient en service ont tous rencontré un psychologue et débriefé les événements collectivement, puis individuellement. « Mes gars ont fait des trucs inimaginables et pris des risques énormes », décrypte Jérôme, admiratif.
« Ce sont des gestes réflexes, qu’on a réalisés des centaines de fois à l’entraînement », explique Christophe. Chaque jour, les pompiers de la caserne font deux heures de sport le matin et deux le soir, entrecoupées de deux heures d’exercices pratiques, notamment avec l’échelle à crochets. Sauf s’il faut partir en intervention, ce qui arrive en moyenne quinze fois à Paris lors d’une garde de vingt-quatre heures (qui peut durer quarante-huit heures).
Jérôme, Baptiste et Aurélien (de g. à dr.) posent sur la grande échelle à la caserne d’Auteuil, à Paris (16e), le 20 mars. Ils sont intervenus lors du terrible incendie de la rue Erlanger. (Serge Picard pour Le Parisien Week-End)
Pour être déclaré apte au départ en mission, ils doivent passer en tenue de feu le test de la planche, qui consiste à se hisser sur un promontoire fixé à 2,40 mètres de haut. « Tout est prévu pour qu’on soit en place le jour J, c’est ce qui fait la force de la Brigade des sapeurs-­pompiers de Paris (BSPP) », insiste Jérôme.
Grâce à cette exigence de chaque instant, la brigade, qui protège Paris et la petite couronne, est considérée comme l’élite de la profession. Ses 8 600 membres, des hommes à 97 %, sont triés sur le volet, après des tests herculéens et une formation intense.
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Avec le bataillon des 2 400 marins-pompiers de Marseille, la BSPP est la seule unité militaire de France. Sa devise, « Sauver ou périr », diffère de celle des quelque 236 000 sapeurs-pompiers civils de France, « Courage et dévouement ». Ces derniers sont chargés du reste du territoire. On y compte 16 % de femmes, et 79 % de volontaires, qui travaillent auprès de pompiers professionnels, fonctionnaires ou contractuels. Incontournable en France, le statut de volontaire est remis en cause par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, et pourrait faire l’objet d’une directive après les élections européennes, fin mai.
Tous, néanmoins, partagent la même vocation. « A 7 ans, j’ai voulu devenir pompier », se souvient Christophe, qui a d’abord rejoint les 28 000 Jeunes sapeurs-pompiers (JSP), des adolescents formés aux rudiments du métier, avant de s’engager, à 16 ans, comme volontaire en Eure-et-Loir, puis de rejoindre la BSPP. « Ce qui m’intéressait, c’était le sport, la rigueur et l’aventure », confie-t-il. « Et bien sûr aider les autres », complète Aurélien.
Ce n’est pas l’argent qui motive les troupes. Le salaire à la BSPP après six mois de formation initiale est de 1 750 euros net. Pour les 196 000 volontaires, qui assurent souvent des gardes en complément d’un autre travail, la rémunération est encore plus basse : 7,60 euros de l’heure, pour le sapeur de base. Pas cher payé pour risquer sa vie et sauver celle des autres.
Le 12 janvier, rue de Trévise, à Paris (9e), des pompiers éteignent un incendie après une explosion qui a coûté la vie
à deux d’entre eux. (Thomas Samson/AFP)

Depuis le début de l’année, quatre hommes ont péri dans l’exercice de leur fonction à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et à Paris, dans l’explosion d’un immeuble, rue de Trévise (9e).
Ces vingt dernières années, le nombre d’interventions s’est envolé. « En 2018, on en a fait 4,6 millions, contre 3,5 millions en 1998 », compare le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).
Avec les fermetures d’hôpitaux et le manque de médecins en province, les pompiers sont désormais le recours automatique en cas d’urgence. La société est aussi devenue plus consumériste, estime le colonel. « Des gens nous appellent quand ils ont oublié leurs clés chez eux ou qu’ils se sont fait tomber un objet sur le pied », regrette-t-il.
L’année ­dernière, à Paris, une intervention sur cinq n’a pas nécessité de geste de secours. Pour mieux les trier et améliorer la coordination entre Samu, forces de l’ordre et pompiers, la fédération milite pour le remplacement du 15, du 17 et du 18 par un seul numéro d’urgence, le 112.
Les sollicitations abusives pèsent sur le moral des troupes, également mis à mal par les agressions, de plus en plus fréquentes, dont elles sont victimes. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, leur nombre a triplé entre 2008 et 2017, pour atteindre 2 813 cas. « Quand je travaillais à la caserne d’Aix-les-Bains, mon camion s’est fait caillasser dans une cité, ça arrive à presque tous les pompiers », témoigne Stéphane, adjudant-chef au centre de secours de Saint-Alban-Leysse, en Savoie.
« Les violences, du coup de tournevis aux menaces de mort, viennent aussi de M. et Mme Tout-le-Monde », avertit Grégory Allione, surtout en cas de consommation d’alcool ou de stupéfiants. Pour y remédier, une loi a été adoptée au Sénat, le 6 mars, permettant aux pompiers victimes de déposer plainte de manière anonyme.
Les Français, dans leur immense majorité, savent toutefois se montrer reconnaissants. En 2017, selon un sondage Ifop, 96 % d’entre eux avaient une bonne image de la profession. « Des personnes secourues nous apportent souvent des chocolats, des fleurs ou du champagne à la caserne », se réjouit Jérôme. « Certains habitants de la rue Erlanger sont même venus, en larmes, nous voir et nous prendre dans les bras, ajoute Aurélien, pour nous dire merci, tout simplement. »
* Les noms de famille des pompiers n’ont pas été cités, à la demande de la BSPP.
« C’est quoi la peur ? J’aime la hauteur ! »
Mickaël, première classe du Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux. (Nicola Lo Calzo pour Le Parisien Week-End)
Au fort de la Briche, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Mickaël, 38 ans, première classe, évacue en rappel l’un de ses collègues du Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (Grimp), allongé sur une civière, à douze mètres de hauteur sur la paroi de béton d’un immeuble consacré à la formation des pompiers. « C’est notre manœuvre la plus habituelle », commente son chef Kevin, sergent. Cette équipe d’élite entre en action là où les pompiers traditionnels ne peuvent plus agir, sur les gratte-ciel, la tour Eiffel ou dans les catacombes. En février, tous les deux sont intervenus sur une plateforme de chantier qui menaçait de tomber du 33e étage d’un immeuble, à La Défense. Mieux vaut ne pas avoir le vertige. « C’est quoi la peur ? plaisante Mickaël, passionné d’escalade et moniteur de canyoning. On aime la hauteur, être sur les toits de Paris constamment, c’est top. »
« Au contact de l’eau, je me sens bien et utile »
Yannick, pompier au Centre de secours de La Monnaie. (Nicola Lo Calzo pour Le Parisien Week-End)
Par une matinée ensoleillée de février, un pompier en combinaison rouge et vert saute du pont des Arts, à Paris, dans une eau à 5 °C. Une vedette arrive à grande vitesse pour le repêcher. A bord, trois spécialistes en intervention aquatique, dont Yannick, caporal-chef dunkerquois de 27 ans qui a rejoint le Centre de secours de la Monnaie, une péniche aménagée sur la Seine, l’été dernier. Ce type d’exercice, effectué après une heure de course à pied et trois kilomètres de nage, fait partie de son entraînement quotidien, quand l’alerte n’est pas donnée pour un incendie de péniche, un malaise ou une tentative de suicide. « Il y a deux mois, on a rattrapé un homme qui s’était jeté à l’eau à trois heures du matin, vers l’île Seguin, se souvient Yannick. On l’a retrouvé conscient, accroché à une branche. » Cinq cents interventions sont menées tous les ans, dont une douzaine de sauvetages similaires. « Ici, au contact de l’eau et des bateaux, je me sens bien et utile », confie-t-il.
« Nous capturons les animaux dangereux »
Véronique Vienet, lieutenant-colonel du groupe animalier au Service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes. (Franck Bessière pour Le Parisien Week-End)
« Viens là, louloute », chuchote le lieutenant-colonel Véronique Vienet, 47 ans, chef du groupe animalier au Service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes, tandis qu’elle extirpe de son terrarium Marie, un boa constrictor de deux mètres de long. Derrière les vitrines de la pièce, chauffée à 27 °C, trois pythons, trois boas, un anaconda, une beauté bleue du Vietnam, un serpent vert d’Australie, une mygale rose et un gecko se contemplent, chacun dans leur box. La plupart ont été récupérés dans les rocambolesques missions de ces pompiers amis des animaux, qui interviennent aussi bien pour sauver des dauphins échoués que pour secourir des veaux sur l’autoroute. « Environ 60 % de nos sorties concernent la capture d’animaux dangereux », précise Véronique Vienet. « Par exemple, une dame aère sa chambre et part prendre son petit déjeuner. Quand elle revient, elle trouve un boa dans son lit », se souvient cette Cannoise, vétérinaire de formation, qui a fondé le groupe animalier en 2008. « En intervention, il faut nouer le contact avec l’animal, insiste-t-elle. Avec un prédateur, d’abord se jauger. Avec une proie, gagner sa confiance. Faire parler ce qui ne parle pas, c’est ça qui me plaît. »
« En altitude, l’erreur se paie vite cash »
Stéphane, adjudant-chef du Groupe montagne sapeurs-pompiers de Savoie. (Laurent Cousin pour Le Parisien Week-End)
Alors qu’une tempête de neige s’abat sur le col de Rosael, à 3 000 mètres d’altitude, Stéphane, 48 ans, adjudant-chef du
Groupe montagne sapeurs-pompiers de Savoie (GMSP 73), emmène ses hommes, skis au pied, pour un exercice de recherche de victimes d’avalanche. Sur une zone hors-piste pleine de poudreuse, tous déchaussent leurs skis et s’alignent derrière leur chef. « Sonde à l’épaule, un pas en avant, sondez ! » ordonne le Savoyard, sous la bourrasque. Parfois déposés en hélico à même la pente, capables d’évoluer sur la neige, la glace et dans les ravins, les hommes du GMSP interviennent hors des domaines skiables pour tirer d’affaire skieurs, randonneurs, VTTistes… « La condition physique joue vraiment. On est dans un milieu où l’erreur se paie vite cash », insiste ce guide de haute montagne, qui pratique le trail lors de ses jours de repos. Un de ses collègues, blessé par une avalanche, est en arrêt maladie depuis trois ans. « On ne s’entraîne jamais au même endroit, pour réagir à toutes sortes de situations, mais on ne peut pas tout prévoir », précise ce père de famille.
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