Le fonds créé en 2001 a réussi à se faire une place de choix dans la biotech. Au coeur de ce succès, une expertise dans les brevets et des liens étroits avec les meilleures universités mondiales.
L'entreprise Carmat a vu son cours de bourse grimper de 47% en 2020
afp.com/THOMAS SAMSON
Si la France a échoué dans la course au vaccin contre le Covid-19, elle ne désespère pas de sauver l’honneur en sortant un médicament de portée internationale. L’institut Pasteur a annoncé au printemps qu’il développait des anticorps monoclonaux pour traiter les malades atteints du Sars-CoV-2 et prévenir l’évolution vers des formes graves. L’institution collabore pour ce projet avec le fonds BioMedTech de Truffle Capital. Un investisseur parisien, bien connu des chercheurs, qui a réussi à se faire une place de choix dans l’industrie tricolore de la santé.
Truffle Capital, c’est d’abord un “track record” impressionnant, comme le disent les anglo-saxons. Le fonds a créé en vingt ans 33 sociétés biotech et medtech, dont onze sont entrées en Bourse sur Euronext, à l’instar de la pépite Carbios, qui a développé un procédé novateur de recyclage à l’infini du plastique à l’aide d’enzymes. Sa valeur a quadruplé l’an dernier. Sa technologie a été mise en avant par la prestigieuse revue Nature qui en a fait sa couverture, fait rare pour une entreprise, a fortiori pour une PME. Deux autres “bébés” de Truffle, l’entreprise Carmat, qui fabrique un coeur artificiel, et la biotech Abivax, qui fabrique des médicaments innovants contre les maladies inflammatoires, ont également flambé en Bourse l’an dernier (+47% et +53%, respectivement). Un autre fait d’armes : en 2017, la startup toulousaine Vexim a été rachetée pour 183 millions d’euros par l’américain Stryker. L’entreprise française, dont Truffle était actionnaire, a conçu un implant permettant de réparer en trente minutes une fracture grave de vertèbre.
Derrière ces trois success stories se cache un chercheur, Philippe Pouletty. Docteur en médecine, diplômé d’un master en immunologie et en virologie de l’institut Pasteur, il décolle en 1986 pour la Californie où il fait son “post-doc” à Stanford. Il y découvre et brevète une technologie disruptive d’amplification des gènes, qui rapporte chaque année 20 millions de dollars en redevances à la célèbre université. Cela lui vaut de figurer dans l’illustre “Hall of fame” des inventeurs issus de Stanford. Le médecin crée dans les années qui suivent trois sociétés de biotechnologie, dont une entrera en Bourse à Toronto et une autre sera revendue 600 millions de dollars à l’américain Genzyme (racheté depuis par Sanofi). Fort de ces succès, Pouletty crée Truffle Capital en 2001 aux côtés de l’ingénieur Jean-François Fourt (qui divorcera avec fracas en 2014), du financier Henri Moulard et de Bernard-Louis Roques, ancien trader chez HSBC, en charge des investissements dans les fintech.
Dès l’origine, le fonds s’est positionné comme une équipe d'”entrepreneurs-investisseurs”. A l’opposé d’un actionnaire passif qui se contente de repérer des sociétés prometteuses et d’y injecter des fonds en attendant que ses parts prennent de la valeur, Truffle Capital crée des entreprises à partir de rien. Pour cela, il part d’innovations radicales identifiées au sein des “des cinquante meilleurs universités mondiales”, avec un ticket d’entrée s’élevant en général à 500 000 euros. “Le nerf de la guerre, c’est la protection intellectuelle. Une petite société qui détient des brevets forts peut empêcher des géants comme Johnson & Johnson ou Sanofi de l’imiter et de la dépasser”, martèle Philippe Pouletty.
Truffle se source ainsi auprès du CNRS mais aussi du MIT, de Harvard ou de l’université de Chicago. “Les universités américaines sont ravies quand on les approche pour demander un brevet ou une licence exclusive. Il n’y a rien de pire qu’un brevet qui reste en jachère ! D’autant que nous attribuons à l’université 5% du capital et des redevances sur les ventes”, poursuit le dirigeant. Ses équipes passent en revue 300 à 500 demandes de brevets par an, analysant à chaque fois la portée de l’innovation et la concurrence existante.
Une fois qu’il se lance dans un projet, le fonds s’efforce d’associer des chercheurs de premier plan. Truffle a ainsi convaincu le japonais Tasuku Honjo, prix Nobel de médecine en 2018, de rejoindre le conseil scientifique de sa biotech Diaccurate, qui développe des médicaments contre les cancers incurables. Les premières années, Truffle détient la plupart des actions pour faciliter le dialogue avec le management et la prise de décision. “Nous détenons toujours 44% des droits de vote d’Abivax, six ans après l’entrée en Bourse”, illustre Philippe Pouletty.
Pour le serial-entrepreneur, qui a été président de l’association France Biotech de 2001 à 2009, l’innovation radicale est paradoxalement moins risquée car elle permet de disposer de puissants brevets. Truffle Capital se focalise sur les besoins médicaux massifs et pressants. Les maladies inflammatoires chroniques, auxquelles s’attaque Abivax, représenteraient ainsi un marché mondial potentiel de 90 milliards d’euros. Pour gagner en productivité, le fonds encourage les synergies entre ses sociétés. Un directeur financier s’occupe par exemple de gérer trois entreprises du portefeuille.
La stratégie a beau être affutée, la recherche médicale n’est pas un long fleuve tranquille. “Nous ne faisons pas de business plans de polytechniciens, nos prévisions ressemblent plutôt à une traversée de l’Atlantique, l’hiver, sur un bateau de neuf mètres”, évoque Philippe Pouletty. Les échecs sont monnaie courante dans la santé. Mais en misant des sommes modestes à un stade très précoce des projets, Truffle Capital limite le risque. Le fonds indique n’avoir fermé que trois sociétés sur 31, ce qui représente seulement 3% des montants qu’il a investis depuis son origine dans les biotech et medtech.
Bien que la recherche tricolore en biologie décline depuis trente ans, Truffle Capital a fait le choix de localiser toutes ses sociétés en France. Les entrepreneurs dans la santé disposent en effet dans l’Hexagone de nombreuses aides publiques – du crédit impôt-recherche au statut de jeune entreprise innovante en passant par les subventions de Bpifrance. “L’écosystème français est bon quand on sait l’utiliser”, résume Philippe Pouletty. Truffle s’attaque à présent à la chirurgie mini-invasive à l’aide de robots, une autre technologie de pointe qui pourrait bien révolutionner les blocs opératoires. La truffe de la finance a décidément du flair.
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