— Temps de lecture : 16 min
Léa Polverini et Robin Tutenges
Tout est lourd à Beyrouth. Lourd, le soleil qui colle à la peau; lourds, les gravats des immeubles détruits; lourdes, les confidences des habitants à bout de nerfs; lourde, l’attente d’une nouvelle catastrophe. Cela va faire un an que le port a explosé, emportant la ville avec lui, et pourtant, peu de choses ont changé. On retrouve régulièrement la trace des bris de verre qui avaient recouvert la capitale libanaise le 4 août 2020: sur les trottoirs, dans les maisons, dans les corps. En fait, les débris de l’explosion sont à l’image de la classe politique qui a plongé le pays dans le chaos: persistants et mortifiants.
Il y avait bien eu un simulacre de renouvellement au sein du gouvernement dans les semaines suivant le désastre: le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab avait cédé sa place à l’éphémère Mustapha Adib, sans que cela ne suscite un véritable espoir de changement. De fait, dès le mois d’octobre, c’est Saad Hariri qui reprenait le poste tout sourire, un an après avoir été chassé par les révolutionnaires du 17 octobre 2019. Le camouflet devait entériner une fois de plus le mal libanais: ici, ce n’est pas la population qui est résiliente, c’est la classe politique. Neuf mois plus tard, le jeudi 15 juillet, Saad Hariri jette l’éponge faute d’avoir réussi à former un gouvernement, et c’est un milliardaire accusé de malversations financières qui lui succède. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, le même clan politique a su se maintenir au pouvoir, recyclant les anciens chefs de guerre et les carnets de famille.

Les 4 août 2020, 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé dans le port de Beyrouth, dévastant la ville. Un an après, le port comme la capitale restent en chantier. Beyrouth, Al Marfa’a, le 16 juillet 2021. | Robin Tutenges
EN IMAGES «Beyrouth est triste»: un an après l’explosion, la lente cicatrisation
Si la raillerie le disputait au fatalisme ces dernières années, la plupart des Libanais s’accommodant –à défaut d’avoir le choix– d’un pays qui fonctionnait à l’embrouille et aux arrangements petits et gros, la situation est aujourd’hui insupportable. «Les choses du quotidien sont devenues toxiques. Rien que s’assurer un accès aux besoins primaires prend 50% de ton temps. Je perds deux heures pour faire le plein d’essence. Je dois planifier ma journée en fonction des coupures de courant. Il y a des coupures d’eau. On n’a plus de médicaments. La livre libanaise ne fait qu’augmenter… C’est en train de nous tuer petit à petit», raconte Mélanie Dagher.
Éventré par l’explosion, son ancien appartement donne sur une petite cour intérieure de la rue d’Arménie, à Mar Mikhael. Il faut monter quelques étages en s’assurant de ne pas déraper sur des marches encore chargées de gravats pour avoir une vue sur le quartier, qui permet de se rendre compte de l’ampleur des dégâts, au-delà des ravalements de façades. «Tu sens que la ville est en train de mourir doucement. Il n’y a pas une lumière dans la rue le soir. On a l’impression que c’est un décor de film de zombies, que là, on a fini de filmer, qu’on range tout et qu’il y a encore quelques gens qui errent», lâche la trentenaire, qui évite désormais de revenir sur ces lieux où elle a senti son voisin mourir dans ses bras, il y a un an.
À LIRE AUSSI «Je me suis retrouvée par terre, la tête en sang, mais consciente»
De fait, les rues sont désertes à Beyrouth. Avant le Covid-19 et le 4 août, on reconnaissait les étrangers à ce qu’ils étaient déjà bien les seuls à marcher dans la ville. Les Beyrouthins, eux, se pressent dans des taxis services, des minibus bringuebalants ou des 4×4 beaucoup trop larges. Mais certains quartiers ne désemplissaient pas. Dorénavant, même la rue d’Arménie, autrefois bordée de bars et de rires, fait triste mine le vendredi soir.

Dans le quartier de Mar Mikhael, les destructions font partie du quotidien des habitants. Beyrouth, Mar Mikhael, 21 juillet 2021. | Robin Tutenges
Dans les bistrots et restaurants, certains produits deviennent inaccessibles: ici, on ne sert plus de café faute d’électricité pour activer la machine, là, c’est le poisson qui a pourri dans les réfrigérateurs, incapables de maintenir la chaîne du froid. L’Électricité du Liban (EDL), établissement public censé assurer la couverture électrique du pays, ne fournit plus que quelques heures de courant par jour –quand il les fournit–, après quoi les générateurs privés prennent le relais. Mais, ces derniers mois, même ce palliatif périclite, à cause de l’aggravation de la pénurie de fuel, nécessaire pour alimenter les groupes électrogènes. Lorsqu’on est chanceux, on peut miser sur un peu plus de quinze heures d’électricité par jour, pour un prix qui rivalise parfois avec certains salaires mensuels (le salaire minimum, qui était autour de 450 dollars en 2019, est tombé à 30 dollars [25,40 euros] en juillet 2021).
Abu Ahmad, qui vivait dans le quartier pauvre de la Karantina avec son épouse Kamela et ses cinq enfants, a vu son immeuble s’effondrer quelques minutes après la déflagration. L’hiver, ils l’ont passé au milieu des ruines, avant qu’une ONG ne vienne réparer le bâtiment, six mois plus tard. Aujourd’hui, ce Syrien qui avait quitté Raqqa il y a treize ans pour s’installer au Liban, travaille comme valet de parking, et parvient à gagner 500.000 livres libanaises par mois, soit environ 22 dollars. La livre, qui était indexée sur le dollar américain depuis 1997 au taux fixe de 1.500 livres pour 1 dollar, caracole désormais à 22.000 dans les bureaux de change, frappée d’un double mouvement de dépréciation et d’hyperinflation.
Entre les séquelles de l’explosion et la crise économique, le pays a plongé dans une spirale infernale. Les pénuries touchent désormais tous les secteurs: électricité, fuel, médicaments, biens de consommation… On mange mal, on vit mal, on dort mal, et on redoute de tomber malade, car on sait maintenant qu’on aura aussi du mal à être soigné. Rien que dans les pharmacies, il est devenu fréquent d’acheter des médicaments non pas en boîtes, mais en plaquettes, ou en simples comprimés, faute de stocks suffisants.

La nuit, Beyrouth est plongée dans le noir faute d’électricité pour alimenter lampadaires, enseignes lumineuses et habitations. À la recherche de fraîcheur, les Beyrouthins s’installent sur les balcons. Beyrouth, Achrafieh, le 12 juillet 2021. | Robin Tutenges
«Évidemment, l’explosion est une horreur qui va marquer les Libanais à jamais, mais l’agonie de la ville a commencé avant, et l’explosion était l’incarnation du mal absolu qui frappe le Liban depuis des années», souligne le chercheur et politiste Ziad Majed, qui enseigne à l’université américaine de Paris. «Pour le moment, il y a ce sentiment d’impuissance face à un pays qui coule, et économiquement parlant, il est extrêmement difficile de le voir debout de nouveau avant quelques décennies. Le redresser un peu, améliorer la situation, c’est possible, mais ça va prendre quand même des années», estime-t-il.
Alors que les heures passent et se ressemblent, souvent conditionnées par l’interminable attente du «bip» qui annoncera le retour –pour combien de temps?– de l’électricité, le temps est précisément ce qui a manqué aux Beyrouthins pour panser leurs blessures. «On s’est retrouvés pris dans un engrenage incroyable de problèmes et de deuils», se désole Jennifer el Hage, qui habite dans le quartier de Badaro. Après l’explosion, elle avait passé quatorze heures à chercher jusque dans les morgues sa tante Rita, dont personne n’avait de nouvelles. Victime d’une hémorragie cérébrale, cette dernière est sortie du coma au bout de vingt-huit jours, mais ses cicatrices menacent toujours de se rouvrir et de s’infecter.
À LIRE AUSSI «En journée on a le balai pour nettoyer, le soir on a le casque pour faire la révolution»
Au lendemain du 4 août, c’est la population beyrouthine, toutes classes et origines confondues, qui était descendue dans les rues pour balayer les débris et sauver ce qu’il restait à sauver, face à l’inaction du gouvernement. Les ONG sur place se sont mobilisées, certaines se sont même constituées pour l’occasion, et puis tout s’est enchaîné très vite: il a fallu soigner, enterrer, réparer, reconstruire, tout en travaillant, dans une urgence qui s’étirait à mesure que la crise économique s’aggravait.
À ce jour, même le nombre de victimes reste incertain. Le ministère de la Santé libanais ne mentionne sur son site officiel qu’une liste de 191 noms, qui n’a pas été actualisée depuis septembre dernier; la plupart des institutions gouvernementales font état de «plus de 200 morts»; et les associations de victimes parlent plutôt de 217.

Quelques minutes à peine avant l’explosion du 4 août, dix pompiers se sont rendus au port après un appel d’urgence pour un début d’incendie. Ils y laisseront leur vie. Dans leur caserne du quartier de la Karantina, cette mort brutale reste traumatisante pour leurs camarades. Beyrouth, Karantina, le 13 juillet 2021. | Robin Tutenges
«Le problème du Liban, c’est qu’on est toujours confrontés à l’inconnu, souffle Jennifer. Il n’y a jamais de réponses, on n’a même pas de livres d’histoire [les manuels scolaires libanais s’arrêtent en 1946, avec le départ des troupes mandataires françaises, ndlr], personne ne connaît la vérité, on vit dans un tourbillon de mensonges et d’ignorance, et ça nous ronge. On a tout fait pour étudier, pour rester éveillés par rapport à ce qui se passe, on voyage, on ramène tout ce qu’on peut à notre pays, et à la fin c’est tes propres parents qui te mentent toute la journée.»
Parmi les jeunes générations, la rancœur est tenace, et se mêle déjà à une lassitude. Beaucoup de celles et ceux qui avaient cru en la révolution en sont sortis désabusés. «L’idée qu’on est tous ensemble pour avancer, moi je n’y crois plus. Notre génération, la génération avant la nôtre, et celle d’avant encore, tout le monde a vécu un truc similaire, et je ne vois pas pourquoi notre génération va pouvoir changer quelque chose», lâche Anthony Seeman dans un haussement d’épaules. Il n’y a pas si longtemps pourtant, ce trentenaire était de toutes les manifs, avec la rage d’en finir avec le gouvernement.
À LIRE AUSSI «Pourquoi doit-on deviner qui veut nous tuer à chaque fois?»
Il faut remonter au 17 octobre 2019, pour trouver la flamme révolutionnaire qui avait animé le Liban. L’annonce d’une taxe WhatsApp avait mis les rues en feu: rapidement des routes avaient été bloquées, des pneus cramés, et tandis que les révolutionnaires de la première heure sillonnaient le Ring montés sur leurs bécanes, les rangs des manifestants grossissaient à vue d’œil. «La révolution était une réappropriation de l’espace public. Énormément de sujets ont été abordés pour la première fois. On n’a pas distingué entre les réclamations politiques, au niveau des élections et des réformes, et les réclamations d’ordre social, pour les droits des femmes, la justice sociale, la solidarité avec les peuples de la région, contre le racisme, contre le confessionnalisme… Il y a eu des slogans, des manifestations et des débats sur toutes les questions de la société libanaise», détaille Ziad Majed.
«Tout le monde n’était pas d’accord sur les mêmes priorités et les mêmes principes, mais tout le monde était d’accord sur la nécessité de changer et de tourner la page de cette classe politique corrompue et médiocre, poursuit le chercheur. Il y avait au moins un sentiment que tout est possible, que la lutte face aux dirigeants peut se poursuivre, et qu’un rapport de force peut être établi dans le pays, permettant des réformes, des chantiers différents, où chaque tendance politique, chaque mouvance, chaque groupe peut militer pour ses valeurs et ses aspirations.»

À l’approche du 4 août, les manifestants se remobilisent. Ils brûlent régulièrement des pneus pour bloquer les routes et manifestent devant le domicile de ministres pour réclamer le départ de la classe dirigeante corrompue, et que justice soit rendue pour les victimes de l’explosion. Beyrouth, Gemmayzeh, le 22 juillet 2021. | Robin Tutenges
Au départ, le vocabulaire était hésitant: était-ce une intifada (insurrection)? Un hirak (mouvement)? Finalement, c’est la thawra qui s’est imposée: une révolution. La rue s’était ressaisie d’un slogan qui avait émergé quatre ans plus tôt lors de la crise des déchets: «kellon yané kellon», «tous, ça veut dire tous». Même le Hezbollah, même Hariri, même Aoun, tous. Mais l’euphorie des premières semaines s’est vite estompée.
«Il y a eu une première phase de désenchantement qui a commencé avec le coronavirus, qui a été un virus contre-révolutionnaire. En obligeant les gens à rester chez eux, il les a empêchés de manifester. C’est la première bouée de sauvetage dont a bénéficié la classe politique libanaise, pointe Karim Émile Bitar, doyen de l’Institut de Sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Et comme après chaque révolution, une contre-révolution s’est enclenchée. Les partis de l’establishment ont été déstabilisés, les politiciens ne pouvaient plus sortir dans les restaurants sans être invectivés, mais progressivement, ils se sont reconstruit une assise sociale au fur et à mesure que la crise économique grandissait, et que la paupérisation de la population allait croissante.»
L’explosion du port a été le coup de massue. En terrassant la capitale, elle a émietté les espoirs de lendemains plus libres. Naturellement, la pauvreté est un terrain propice pour le clientélisme, et les partis traditionnels le savent, qui ont su ramener dans leur giron une partie de leurs anciens soutiens à coups d’allocations opportunistes.
Tandis que la monnaie locale continuait sa chute vertigineuse et que les produits subventionnés par le gouvernement peinaient à couvrir les besoins de première nécessité des familles libanaises –le prix des denrées alimentaires a augmenté en moyenne de 700% au cours des deux dernières années–, le Hezbollah a été l’un des premiers partis à organiser son repêchage électoral: dès le mois d’avril, il proposait aux sympathisants chiites deux cartes de paiement, la carte Al-Nour et la carte Sajjad, permettant d’acheter des produits de consommation ou de financer des consultations médicales.

Dans les rues de Bourj Hammoud, quartier arménien qui regroupe de nombreuses populations immigrées, les câbles électriques emmêlés lacèrent le ciel. Beyrouth, Bourj Hammoud, le 19 juillet 2021. | Robin Tutenges
«Même si beaucoup de gens rejettent le système à l’échelle nationale, il y a encore énormément d'”esprits captifs”, des gens qui continuent de suivre les milices traditionnelles et les leaders de l’establishment politique», commente Karim Bitar. Peu à peu, les crispations communautaires dont les révolutionnaires avaient cru pouvoir se débarrasser reviennent. Alors que des cordes à destination des politiciens avaient été dessinées sur les murs et suspendues aux ponts dans la foulée du 4 août, le dénuement oblige la fidélité partisane. Tel maronite excuse le président Aoun par les incompétents qui l’entourent, tel sunnite l’ex-Premier ministre Hariri par les pressions dont il fait l’objet, tel chiite sauve encore Nasrallah comme le dernier rempart protecteur de la communauté…
Ayah Takidine, une Syrienne habitant le quartier chiite de Ras el Nabaa’, connu pour son soutien historique au mouvement Amal, a vu son voisinage évoluer au cours des derniers mois: «Tout le monde est tellement désespéré que même s’ils restent loyaux envers Amal, ils se fichent de tout désormais, car ils sont tous fatigués: ils se démènent pour avoir de l’électricité, mettre les enfants à l’école, vivre simplement au jour le jour. La chose qu’ils soutenaient le plus n’a fait que détruire leurs vies.»
À LIRE AUSSI «On a trop longtemps romantisé la résilience des Libanais»
Du Nord au Sud, on remarque que de nombreuses plaques d’égouts ont été enlevées sur les routes: des ferrailleurs à la sauvette les arrachent pour les revendre, afin qu’elles soient fondues et trouvent un second usage. Les emplois informels, déjà nombreux avant la crise, deviennent de plus en plus visibles, et trahissent la précarité croissante de la population. Des cireurs de chaussures qui arpentent la rue Gouraud aux chiffonniers qui plongent dans les rares bennes à ordures, en passant par ceux qui ont perdu leur emploi et guettent le coucher du soleil depuis une chaise en plastique plantée sur le trottoir, tous semblent attendre la fin d’un trop long film catastrophe en mal d’action.

Parmi les chiffonniers, on trouve de nombreux enfants des rues, qui parcourent dès l’aube la ville et ses poubelles. Beyrouth, Syoufi, le 23 juillet 2021. | Robin Tutenges
«C’est tout un système qui s’effondre, et laisse place au sentiment que le pays agonise et qu’on est incapables de le sauver. Ce sentiment d’impuissance est déprimant, et terrible. Tout le monde dit que la classe politique est composée de voleurs, mais qu’ils sont en plus criminels, et en plus médiocres, et c’est ça qui est un peu plus humiliant encore. Malgré leur médiocrité, et malgré leur niveau, que la plupart des Libanais méprisent, ils gouvernent quand même, ils restent au pouvoir quand même, ils pillent quand même, ils nous humilient quand même», scande Ziad Majed.
Alors que 55% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, 23% ont sombré dans l’extrême pauvreté, selon les derniers chiffres du Lebanon Crisis Response Plan, datant de mai 2020. C’est sans compter l’ensemble des populations immigrées, qui représentent près d’un tiers de la démographie totale du pays, et sont confrontées à des discriminations croissantes. Accusés de tous les maux, Syriens et Palestiniens sont, aux côtés des travailleuses domestiques venues d’Asie et d’Afrique, parmi les premiers récipiendaires de la violence sociale et économique qui pressurise le pays.
«S’il y a un problème d’électricité, c’est à cause des Syriens. S’il n’y a plus d’emplois, c’est à cause des Syriens. Si un criminel s’avère être syrien, sa nationalité est la première chose que tu apprendras aux infos. Tu peux travailler pour les Libanais comme un esclave, au moindre problème, on trouvera n’importe quel prétexte pour se débarrasser de toi», raconte Mustafa, qui a quitté Manbij pour Beyrouth quelques années après le début de la guerre en Syrie. Cet homme de 27 ans qui travaillait sous contrat illégal pour une ONG locale a été renvoyé par trois fois: manque de financements des projets, révolution, pandémie de Covid-19. L’instabilité chronique du pays interdit de se projeter sur le long terme, tant le quotidien est soumis à de multiples aléas. Aujourd’hui, Mustafa essaye de quitter le pays pour s’installer en France et poursuivre ses études.
À LIRE AUSSI «Même si on se faisait tirer dessus, personne ne voulait partir»
Si la grande majorité des réfugiés du Liban souhaite rentrer dans son pays d’origine (déjà 80% en 2019), les conditions de possibilité de ce retour sont rarement réunies. Alors que le gouvernement libanais fait campagne depuis des années pour un retour des immigrés syriens au motif que la guerre serait achevée, la Syrie de Bachar el-Assad demeure un terrain miné pour celles et ceux qui ont dû fuir le pays, et ne sont attendus que par les moukhabarats (services de renseignements) ou la misère.


Hala, qui habite dans la rue d’Arménie, à quelques mètres du port, a vu sa maison être ravagée par l’explosion. Aujourd’hui, les travaux de reconstruction ne sont toujours pas terminés, et lorsqu’elle se rend à Beyrouth, elle loge à l’étage en dessous, chez sa voisine qui est aussi sa cousine. Beyrouth, Mar Mikhael, le 8 juillet 2021. | Robin Tutenges
Quitter le Liban n’est cependant une chose facile pour personne. Malgré la fuite des cerveaux et de tout type de travailleur qui parvient à trouver un emploi au-delà des forêts de cèdres, beaucoup sont encore réticents à laisser le pays et leurs parents derrière eux. «Je compare souvent ça au syndrome de Stockholm. T’es dans une relation toxique, mais t’arrives pas à partir. Pour moi, Beyrouth, c’est ça. J’avais d’une part la peur de me retrouver dans un pays où personne ne comprendrait ce qui s’est passé, et d’autre part, celle de me sentir encore sans identité, d’aller quelque part où je vais devoir prouver que je ne suis pas une terroriste même si je suis arabe, que je viens travailler légalement… Je n’avais pas la force de passer par tout ça. J’avais juste besoin d’être quelque part qui m’était familier, même si ça me faisait du mal», regrette Mélanie Dagher. Aujourd’hui, alors que tout son entourage a plié bagages, elle s’est elle-même résolue à quitter le pays prochainement.
De son côté, Anthony Semaan a réussi à décrocher une résidence de cinq ans à Londres, après avoir candidaté au Global Talent Visa. Début juin, il a embarqué son chien dans l’avion, et a quitté le Liban, avec un soulagement mêlé d’amertume: «Moi, j’ai 35 ans, j’ai envie de vivre sans explosion, sans maladie, sans accident. J’ai encore probablement quarante-cinq ans de vie devant moi, et je n’ai pas envie de les passer dans des conditions pareilles. Le Liban nous a offert plein de jolies choses, mais il ne nous donne plus d’opportunité de vivre ou de voir un progrès.» Hébergé chez des cousins et en recherche d’emploi, il lâche dans un sourire: «Je suis tellement heureux maintenant, j’avais oublié que je pouvais être heureux, juste en train de vivre une vie normale. Je marche dans le parc, je suis heureux, j’ai pas de boulot je suis heureux: tout ça c’est pas grave, tant que je me suis cassé du pays, ça va.»

Au Liban, tout le monde rêve de quitter un pays qui semble n’avoir plus rien à offrir à ses habitants. Beyrouth, sur la corniche, le 17 juillet 2021. | Robin Tutenges
Comme tant de jeunes qui semblaient résolus à rester après le désastre du 4 août pour rebâtir un nouveau pays enfin débarrassé de sa classe politique véreuse, ses derniers espoirs n’ont pas survécu à un an de violence sourde. Sur toutes les lèvres, c’est le parallèle avec la guerre civile qui revient: si les armes se sont tues pour l’heure, la guerre est d’usure, économique et psychologique. Une fois de plus, c’est le spectre de l’impunité qui revient hanter les Libanais: alors que les familles des victimes réclament justice et que Tarek Bitar, le dernier juge en charge de l’enquête sur l’explosion, s’escrime à vouloir faire lever l’immunité parlementaire de trois anciens ministres, aucune réponse n’a encore été donnée, aucun coupable désigné.
À l’approche du 4 août, la ville est partagée entre fébrilité et torpeur. Les traumas se réveillent, mais la haine est devenue atone. C’est le regard inquiet que les gens murmurent: «Ça va péter.»
Épisode 2 – Grand Format
«Beyrouth est triste»: un an après l’explosion, la lente cicatrisation
Par Robin Tutenges et Léa Polverini
Épisode 3 – Grand Format
Beyrouth, ville poussière
Par Robin Tutenges et Léa Polverini
Léa Polverini
En Syrie, l’école sous les bombes
Comprendre la révolte iranienne sans céder aux récupérations de tous bords
Une semaine dans le monde en 7 photos, du 24 au 30 septembre 2022
Robin Tutenges
Pourquoi les chiens détestent-ils certaines personnes?
L’année 2022 et ses images marquantes
Pourquoi dit-on «ça sent le sapin»?
Comment le rappeur Wegz a redéfini la musique en Égypte
L’artiste le plus streamé du monde arabe a activement participé à la popularisation du style hip-hop dans le pays des pharaons.
Donia Ismail 4 janvier 2023 Temps de lecture : 9 min
Pourquoi la Chine a brusquement mis fin à sa politique zéro Covid
En cessant brutalement ses drastiques contrôles sanitaires, Pékin a provoqué l’incompréhension. Alors que le nombre de cas explose dans le pays et que les Chinois recommencent à voyager, l’Occident renoue avec les tests dans les aéroports.
Richard Arzt 4 janvier 2023 Temps de lecture : 8 min
Vingt-trois morts chez les riches et les puissants: le mystère russe dont Poutine pourrait être la clé
Depuis janvier 2022, les décès étranges s’accumulent dans les hautes sphères du pays.
Repéré par Thomas Messias 3 janvier 2023 Temps de lecture : 3 min

source

Catégorisé:

Étiqueté dans :

,