Joël Le Pavous
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Chaque 20 août, en Hongrie, les Magyars se souviennent du souverain catholique Saint-Etienne fondateur du royaume en l’an mil, et à cette occasion, deux nouvelles pâtisseries nationales, sacrées par des spécialistes, investissent le pays.
La date n’a pas été choisie au hasard. Ce jour-là, en 1083, les restes du roi Etienne 1er, enterré dans la basilique de Székesfehérvár, furent sortis du cercueil et placés dans une urne d’argent sur l’autel après cinq jours de canonisation. Un traitement digne de l’unificateur, pacificateur et évangélisateur de la plaine de Pannonie transformée en royaume prospère par le proclamé saint-patron de la Hongrie. La fête, religieuse sous le règne de Louis Le Grand, dévouée au culte de la Sainte-Dextre (la main droite du roi défunt) sous Marie-Thérèse d’Autriche, décrétée fériée par François-Joseph et transformée en apologie de la Constitution sous le communisme, la célébration est redevenue fête nationale en 1991.
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Derrière la coutume du pain nouveau et des feux d’artifices illuminant les bords du Danube à Budapest, cette date est aussi celle où les Hongrois découvrent leurs deux gâteaux nationaux élus par des experts. Une drôle d’initiative gourmande, voulue en 2007 par le gouvernement socio-démocrate de l’époque qui anoblit une riche tradition pâtissière magyare où tarte Dobos, crêpe Gundel, flódni, rétes, zserbó, Rigó Jancsi, bejgli, túrógombóc, somlói galuska, Eszterházy szelet et gesztenyepüré trônent en majesté. Les préparations primées s’offrent un tour d’honneur inaugural lors d’un festival culinaire coté près du château de Buda avant d’atterrir dans des dizaines de cafés reproduisant les recettes à travers le pays.
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La grande gagnante de cette année s’intitule «Gamine de Komárom» et s’inspire d’une vieille comptine évoquant la ville accolée à la Slovaquie qui héberge l’établissement du pâtissier vainqueur. Ádám Sztaracsek s’est attiré les faveurs des juges avec un biscuit miel-noix agrémenté de crème vanille, de cannelle et de gingembre. La compétition compte aussi depuis 2012 une catégorie sans sucre soutenue par une fondation de lutte contre le diabète touchant près de 770.000 personnes en Hongrie. La lauréate 2018 (Triple Convoitise) issue de la pâtisserie Nándori propose un mélange griotte-fromage blanc sur biscuit chia-noix-amandes et contient seulement 242 calories pour une part de 90 grammes.
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«Si le gâteau est trop compliqué, trop français ou trop cher, personne ne le dégustera en dehors d’une partie restreinte de la population. Les candidats doivent donc forcément trouver un bon compromis», explique le portail 24.hu. «Les membres du syndicat national des fabricants de pâtisseries recevant les recettes gagnantes signent une déclaration stipulant qu’ils ne se détourneront pas de la préparation originale et maintiendront sa qualité. Néanmoins, certains professionnels rompent volontairement cet engagement en utilisant des ingrédients moins onéreux, afin de réduire au maximum le coût de revient. Deux pâtisseries de province ont d’ailleurs été radiées de l’institution l’an dernier», développe l’article.
Vitrines des saveurs magyares (prune de Szatmár en 2008, abricot de Kecskemét en 2011, pomme de Szabolcs en 2012, eau de vie à la pêche de Pannonhalma en 2015), les gâteaux de l’année n’en restent pas moins chers par rapport aux standards locaux et coûtent presque le double d’une douceur lambda. L’assemblage goût mousse de noisette récompensé lors de l’édition 2017 se vendait entre 750 (2,30€) et 850 forints (2,60€) dans les pâtisseries budapestoises alors que les Hongrois déboursent généralement 350 (1,1€) à 500 forints (1,50) pour manger un classique francia krémes ou Rákóczi túros. Selon l’explication officielle, l’utilisation d’ingrédients premium justifierait ce prix jugé parfois dissuasif.
Au-delà des bisbilles tarifaires, l’intense activité marketing entourant la distinction ne manque pas de faire grincer des dents parmi la confrérie des confiseurs. Certains dénoncent un trophée gadget et auto-congratulateur, éclipsant un important écart de niveau entre la Hongrie et le reste de l’Europe, alors que Budapest était l’un des phares de la pâtisserie continentale au début du vingtième siècle. D’autres critiquent une compétition où les intérêts des pontes du fouet influenceraient le verdict et où la physionomie du jury sans sucre réunissant personnalités médiatiques et professionnels émérites de la pâtisserie favoriserait un aspect «paillettes» dénaturant la vocation gastronomique du concours.
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«Nous sommes conscients que la pâtisserie magyare doit s’améliorer et compenser un certain retard. Le système est loin d’être parfait, mais le concours rend notre métier attractif auprès du grand public», répond le vice-président du syndicat des pâtissiers et responsable de la compétition László Selmeczi. «Nous prêtons particulièrement attention à l’harmonie des saveurs en bouche, au côté novateur et au rapport qualité/prix des préparations. Le gâteau de l’année s’adresse à l’ensemble de la Hongrie et pas seulement aux plus favorisés. Il doit symboliser l’esprit de fête tout en étant populaire et accessible. Une douceur aux fruits exotiques n’a que très peu de chances d’arriver en finale», clarifie le spécialiste.
Simple projet politique à l’origine, ce critérium culinaire s’est transformé au fil des éditions en événement médiatique d’envergure suscitant la curiosité des adeptes locaux d’entremets gourmets. Préparer le gâteau de l’année dans sa cuisine ou acheter plusieurs parts pour le repas familial du dimanche après-midi revient presque à accomplir un geste patriotique sur fond de coup de fourchette. L’armée s’est même prise au jeu pendant deux ans (2014 et 2015) en sortant son propre dessert national, et le concours sans sucre inclut une catégorie dédiée aux amateurs avec liste d’ingrédients de base. Les bons vieux krémés cheap et margarinés ont encore de la marge, mais les palais magyars s’affinent.
Joël Le Pavous
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